Fin février 2015 la souscription pour le lancement des éditions Scylla prend fin. Xavier Vernet (librairie Charybde et Scylla, éditions Dystopia) gagne son pari et sort les deux premiers ouvrages des éditions Scylla : Il faudrait pour grandir oublier la frontière de Sébastien Juillard et Roche-Nuée de Garry Kilworth. Une nouvelle collection : III III, une contrainte formelle : une novella inédite et 111 111 signes de la première lettre de son titre à son point final. Pourquoi et comment ? Entretien avec son instigateur…
Unidivers : Après les éditions Dystopia tu lances les éditions Scylla, peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Xavier Vernet : Dystopia est une association à but non lucratif que nous avons créée il y a 5 ans avec Clément Bourgoin (à l’époque, il animait la librairie virtuelle Ys, qui était le partenaire sur le web de la librairie Scylla) et Olivier Tréneules (aujourd’hui un de mes associés de la librairie Charybde). En lançant une maison d’édition associative, nous souhaitions avoir un laboratoire d’expérimentation capable de (re)mettre en avant des œuvres délaissées par l’édition traditionnelle. Avec une diffusion et une distribution gérées en interne, un catalogue numérique et un rythme de publication de 2 ou 3 titres par an seulement, nous nous sommes donné les moyens de défendre ces œuvres sur le long terme. D’un point de vue financier, tous les intervenants sont payés sauf les éditeurs pour le travail sur les textes ou leur commercialisation. Nous avons donc développé un réseau d’une trentaine de librairies qui, aujourd’hui, défendent activement notre production. Ce réseau en pleine construction pourra – dans quelque temps – permettre à une structure éditoriale d’être rentable.
La librairie Scylla va devoir, quant à elle, muter à moyen terme : une librairie physique sur Paris a des frais fixes trop élevés pour continuer à être viable sur la spécialité SF, Fantasy, Fantastique. Je ne pourrai bientôt même plus en survivre. Rien de nouveau sous le soleil, rien de bien grave non plus d’ailleurs. Plutôt que de m’appesantir sur un âge d’or que je n’ai en fait jamais connu, j’essaie de me projeter sur le long terme. Dans le meilleur des cas, dans 10 ans, je maintiendrai mon salaire à son niveau d’il y a 5 ans, ce qui ne suffira plus avec l’augmentation inéluctable du coût de la vie.
Comme j’ai la chance de pouvoir m’adapter, la virtualisation est logiquement la prochaine étape de Scylla. En ajoutant une branche éditoriale dès aujourd’hui je commence à consolider cette double activité future : je me recentre sur les livres que je souhaite défendre et je crée – quand elle n’existe pas ou plus – l’offre qu’attend ma clientèle.
U : Comment s’est imposée la contrainte des 111 111 signes pour la collection ?
Xavier Vernet : Aucun doute, tout est de la faute de Léo Henry et de Jacques Mucchielli. Le tout premier titre publié par Dystopia en 2010, Bara Yogoï – Sept autres lieux, était le prolongement, le développement de la ville imaginaire de Yirminadingrad que ces deux auteurs avaient élaboré avec le dessinateur Stéphane Perger dans un premier recueil publié par un autre éditeur : Yama Loka terminus (L’Altiplano, 2008). L’écriture de ce cycle est sculptée par de nombreuses contraintes formelles, visibles, discrètes ou totalement invisibles pour le lecteur. Avoir travaillé sur ce type de jeux narratifs dès le premier projet m’a profondément marqué. C’est à la fois ludique et structurant. L’idée d’une collection de novellas de 111 111 signes m’est venue un été en travaillant sur les textes d’un autre recueil Dystopia, probablement Tadjélé – Récits d’exil, le troisième sur Yirminadingrad. C’est un format très peu exploité en France qui donne pourtant la possibilité à l’auteur de mieux développer qu’en une nouvelle sans pour autant se lancer dans un roman.
U : Comment s’opère le choix des auteurs, appel à textes, rééditions ?
Xavier Vernet : Pour les deux premiers titres édités par Scylla, j’avais besoin de textes courts pour limiter les coûts de fabrication et le temps de travail. Je suivais depuis un moment ce qu’écrivait Sébastien Juillard. Il me faisait lire régulièrement ses nouvelles jusqu’au jour où il m’informe qu’il travaillait sur son texte le plus long : il arrivait à 100 000 signes. Ça m’a remis en tête ce projet de collection de novellas de 111 111 signes que j’avais laissé de côté… Je lui ai soumis l’idée et il a accepté de s’essayer à l’exercice. C’est comme ça que Il faudrait pour grandir oublier la frontière est né. Je ferai sans doute un jour un appel à textes pour cette collection, mais j’ai besoin de plus de temps que je n’en ai actuellement pour m’occuper d’un tel projet… probablement quand la librairie Scylla sera virtualisée. De plus, pour maintenir un prix de vente à 5€ par novella, avec cette qualité d’impression, en payant tous les intervenants correctement, le recours à une campagne de financement participatif est obligatoire. Le crowdfunding est à mon sens la solution idéale pour les petits éditeurs, mais on ne doit pas y avoir recours trop souvent. En ce qui concerne Scylla et Dystopia, nous avons décidé d’en faire un par an maximum, si possible en alternant. En décembre 2014, Scylla lançait sa première campagne, en décembre de cette année, ce sera au tour de Dystopia. Pour Roche-Nuée de Garry Kilworth, c’est un texte publié une fois par Denoël et injustement oublié ou passé inaperçu à l’époque. Je savais qu’il était exactement ce qu’une bonne partie de ma clientèle recherchait dans la science-fiction.
U : Si la souscription n’avait pas atteint son but, aurais-tu fondé les éditions Scylla d’une autre manière ?
Xavier Vernet : Probablement pas. Contractuellement, le projet avec Sébastien aurait été annulé. J’aurais essayé de publier Roche-Nuée puisque beaucoup plus de frais avaient déjà été engagés, mais ça aurait été très risqué pour Scylla…
U : Peux-tu nous parler de ce que les éditions Scylla et Dystopia nous préparent pour la fin 2015 et le début 2016 ?
Xavier Vernet : Côté Scylla j’attends pour fin 2015 une deuxième novella de Sébastien Juillard et une de Léo Henry (je me doutais bien qu’il ne résisterait pas à l’appel de la contrainte formelle…). Si les deux textes me plaisent, ils feront l’objet d’une prochaine campagne de financement participatif.
Côté Dystopia, avant la fin de l’année va débuter la réédition de l’intégrale du Rêve du démiurge de Francis Berthelot. En unissant nos forces avec Le Bélial’, nous allons enfin regrouper les 9 romans qui composent ce cycle en 3 gros volumes. Chacun des volumes sortira en fin d’année. Afin de ne pas frustrer celles et ceux qui ont suivi l’auteur, nous allons publier Abîme du rêve, le neuvième et dernier roman et en même temps le premier tome de cette intégrale. Nous lancerons d’ailleurs une souscription (pas un crowdfunding, juste une souscription à l’ancienne) pour avoir une idée précise du tirage à demander à notre imprimeur sur ce titre.
Un chantier débute, un autre va se terminer : Adar, retour à Yirminadingrad est une anthologie dirigée par Léo Henry, développée par 12 auteurs invités à partir de 13 dessins de Stéphane Perger. Au sommaire : Stéphane Beauverger, David Calvo, Alain Damasio, Mélanie Fazi, Vincent Gessler, Sébastien Juillard, Laurent Kloetzer, luvan, Norbert Merjagnan, Jérôme Noirez, Anne-Sylvie Salzman et Maheva Stephan-Bugni.
Comme Yama Loka terminus et Bara Yogoï sont presque épuisés, nous allons lancer la première campagne de financement participatif de l’association Dystopia le 1er décembre prochain afin de rééditer ces deux recueils en même temps qu’Adar, retour à Yirminadingrad. Un an exactement après celle de Scylla nous espérons qu’elle rencontrera le même succès…
Avant la fin de cette année, nous aurons rattrapé le retard accumulé sur le catalogue numérique : Chants du cauchemar et de la nuit de Thomas Ligotti qui a rencontré un joli succès en version papier ainsi que Dernières nouvelles d’Œsthrénie d’Anne-Sylvie Salzman sont désormais disponibles.
Les chambres inquiètes de Lisa Tuttle ainsi que Cru de luvan vont être proposées dans les prochaines semaines sur notre plateforme. Enfin, nous allons poursuivre le travail sur l’œuvre de Jean-Marc Agrati et d’Yves et Ada Rémy. Jean-Marc doit nous envoyer son nouveau recueil avant la fin de l’année et le contrat de réédition de La maison du Cygne est signé depuis un moment… Bref, après cinq ans de publication, Dystopia n’est qu’au tout début du chemin.