DEUX SOEURS ELIZABETH HARROWER OU LA TRAGÉDIE DE LA PERVERSION

Australie années 40. À travers Deux soeurs Elizabeth Harrower dresse un drame psychologique. Un conte revisité de Barbe Bleue dans une ambiance hitchcockienne autour de deux sœurs sous l’emprise de ce que l’on appelle aujourd’hui… un pervers narcissique.

HARROWER DEUX SOEURS

Dans Deux soeurs Elizabeth Harrower campent Laura et Clare. À la mort de leur père, elles sont retirées du pensionnat où elles étaient promises à de belles études, par leur mère, Stella, une femme d’origine indienne qui ne s’est jamais beaucoup occupée d’elles.

À Sidney, Laura, 16 ans, qui voulait être médecin comme son père, se retrouve dans un cours de sténo dactylo. Ce sera à elle de financer le foyer et de prendre en charge le ménage et l’éducation de Clare, 9 ans. En dehors de ses partenaires du club de bridge, Stella Vaizey ne connaît personne et se languit de son Angleterre, allongée sur le canapé ou flânant dans les boutiques.

Cinq ans plus tard, Stella décide de rejoindre l’Angleterre, pourtant en pleine guerre, mais de laisser ses filles à Sidney. Elles sont de vraies Australiennes. Clare peut bien travailler, elle aussi. Laura n’a d’autre solution que d’accepter la proposition de mariage de son patron, Félix Shaw, de vingt ans son aîné. Il prendra soin d’elle et promet de veiller à l’éducation de Clare. Shaw est le propriétaire d’une belle maison dans laquelle les jeunes filles s’installent. L’homme achète des entreprises et les revend ensuite à de jeunes entrepreneurs qu’il lance en affaires. En dehors de ces quelques relations de travail éphémères, Félix a peu d’amis.

ELIZABETH HARROWERTrès rapidement, la vraie nature de Félix se révèle. Parfois, sous l’emprise de l’alcool, il dévalorise sa femme qu’il juge laide et aussi intelligente qu’une huître. Capable de vendre une entreprise ou la maison familiale sur un coup de tête à moindre prix, il peut aussi le lendemain acheter une bague en diamants à sa femme.

Les crises alternent avec des moments de réconciliation où Laura pense régulièrement que, cette fois, il va changer. « L’évidente intention de Félix n’était pas de créer un lien enchanteur, mais de créer une nouvelle situation lui permettant de mesurer son pouvoir. » Si Laura se soumet comme elle le faisait avec sa mère, Clare est plus lucide. Regardant au loin, comme d’une tour de guet, elle veut quitter cet endroit. Chaque fois, sa sœur use du chantage affectif pour la retenir, pensant que Clare a une bonne influence sur Félix.

Dans ce roman Deux soeurs Elizabeth Harrower arrive à nous déstabiliser sur bien de points. Difficile pour un lecteur non concerné de supporter la naïveté, la soumission de Laura. Comment peut-elle croire que Félix puisse changer ? Comment peut-elle faire subir à sa sœur un tel chantage ? En regard de cette incompréhension des personnages, de cette instabilité, le style se fait aussi parfois rude. L’auteur passe d’un paragraphe de fête à un récit de dispute sans plus de transition.

REBECCAComme Bernard, un jeune ouvrier d’origine hollandaise recueilli par Félix, le lecteur se demande comment Clare a pu rester autant de temps avec Laura et Félix. C’est en sortant de ce trio infernal que l’auteur esquisse une analyse des personnages. Ce roman psychologique traduit parfaitement les rouages de la manipulation et de la soumission. Les personnages ont cette complexité qui les rendent affables puis détestables, aveugles et enjoués, gentils et méchants à la fois.

Publié en 1966, avec Deux soeurs Elizabeth Harrower s’inscrit dans la lignée d’un grand classique comme Rebecca de Daphné du Maurier prend toute sa place aujourd’hui, avec sa première traduction en français, éclairant le sujet actuel de la manipulation conjugale des pervers narcissiques.

Deux sœurs Elizabeth Harrower, traduit de l’anglais (Australie) par Paule Guivarch, mai 2017, Rivages, 350 pages, 22.50 €

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ELIZABETH HARROWER
Elizabeth Harrower

Née en 1928 en Australie, Elizabeth Harrower a connu un succès fulgurant dans sa jeunesse avant de tomber dans l’oubli. En 2016, la France découvre enfin cette fabuleuse romancière avec Un certain monde (Rivages 2016), plébiscité par la critique et les libraires. Elle obtient le prix Patrick White en 1996.

Ouvrages :

  • Down in the City (1957)
  • The Long Prospect (1958)
  • The Catherine Wheel (1960)
  • The Watch Tower (1966)
  • In Certain Circles (2014), traduit en français sous le titre Un certain monde par Paule Guivarch, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. « Littérature étrangère »,
  • A Few Days in the Country: And Other Stories (2015)
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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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