Attention : âmes sensibles ne pas s’abstenir ! Si vous vous aventurez dans cette ville de taille moyenne de Touraine, vous rencontrerez ou croiserez des personnages comme tout le monde et aussi singuliers que celles et ceux qui nous entourent habituellement. Mais voilà, souvent ceux que nous côtoyons, nous finissons par de ne plus les voir, souvent même, ils deviennent transparents ou participent seulement du décor ambiant.
Alors quand on débarque à La Fuye, à la fois sur le Cher et la Loire, on est loin de s’imaginer qu’il pourrait se produire là un événement bien particulier : l’histoire d’une Apocalypse qui se dessine : pour le pire ? et si c’était aussi pour le meilleur ? Les eaux possèdent cette double capacité : elles détruisent tout sur leur passage comme elles permettent une certaine forme renaissance… (voyons-le ainsi très concrètement)
À La Fuye, on peut miraculeusement apercevoir Paul Valadon, un bonhomme qui vit tout seul dans sa baraque qui tombe en ruines et, qui n’aspire qu’à une chose – depuis la mort de sa femme -, qu’on lui foute la paix, qu’on le laisse finir sa vie entre ses chats et ses chiens. Ah, oui, il faut préciser que Paul Valadon est atteint du syndrome de Diogène, inutile donc de préciser qu’il est quasiment impossible d’entrer chez lui sous peine d’étouffer sur toutes les immondices qu’il collectionne depuis des années et qu’il n’entend pas déblayer. Alors quand l’assistante sociale de la ville tente une approche, cela ne se passe pas très bien… accueil humide même !
À La Fuye, on peut aller prendre un petit « noir » chez Malick qui tient un des derniers « bistrots » digne de ce nom. Oh, il n’y a pas foule, le décor n’est pas des plus récents, mais Malick sait accueillir et ne vous fermera jamais sa porte, une fois les trois marches de l’estaminet grimpées. Lui aussi il est seul, le soir venu, pensant à sa femme qui n’est plus là. Et puis que ce serait La Fuye sans ses vieilles personnes qui semblent poser là depuis toujours, presque en attente d’une place en maison de retraite ou en EHPAD…
À La Fuye, si l’on commence à s’attacher aux personnes du centre, souvent peuplé de bobos, il y a celles et ceux qui vivent en haut au nord dans les tours érigées là d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ; il y a celles et ceux qui vivent au sud dans des quartiers en apparence plus calmes et protégés. Et au milieu de tout cela, il y a les deux bras de rivière qui aboutissent au Cher, à la Loire. Et de tous temps, les saisons passées au rythme de ces masses d’eau faussement paisibles n’ont pas été de tout repos ; il y a eu des moments d’angoisse lors de crues ; il y a eu des moments tragiques quand les eaux emportaient toutes formes de vie dans leur colère. Et pourtant la plupart des villes moyennes sont construites au bord des fleuves comme des rivières. Parce que l’eau est nécessaire au développement d’une cité, parce qu’elle offre un côté salvateur autant qu’elle peut soulever toutes les inquiétudes en matière d’infrastructures suffisamment solides pour résister au pire. Et le pire peut se produire… D’ailleurs le pire se produit toujours… L’existence manquerait de drôleries autrement… sans l’omniprésence d’une mort potentielle.
À La Fuye, impossible de passer à côté de drôles de zigues sans s’arrêter et observer les deux compères : Berthot, l’investisseur immobilier aux dents longues et Théo, son lieutenant en charge de proposer de racheter tout immeuble (maisons, commerces, friches, …) qui pourrait offrir un potentiel financier intéressant après réhabilitation. Se posent alors deux questions importantes : peut-on tout effacer pour tout recommencer d’abord et avant tout au nom du profit ? Peut-on s’arroger le droit d’effacer les vivants et les morts, la mémoire collective de lieux emblématiques et renvoyer l’Histoire sociale aux oubliettes ? Thématiques fort pertinentes abordées avec justesse par Sylvie Dazy.
Au terme, un roman fort où l’humanité résiste à chaque page, où la pitié n’a pas place, où le respect est omniprésent, celui des lieux, des bâtiments, des gens, de la nature, qui finalement prend ou reprend toujours le dessus. Et L’embâcle nous prouve que les plus faibles, en apparence, peuvent se révéler comme étant les plus forts.
L’embâcle – Sylvie Dazy – Éditions Le Dilettante – 256 pages. Parution : mars 2019. Prix : 18,00 €.
Couverture : Camille Cazaubon – Photo auteure Sylvie DAZY © babelio
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