Émilien Chesnot, jeune poète rennais vient de faire paraître Il est un air, un recueil qu’illustre somptueusement les travaux du peintre Jean-Noël Bachès.
Il est toujours intéressant de découvrir un jeune auteur. Surtout quand il est plein d’un talent prometteur, reconnu déjà chez un vrai et bon éditeur : les éditions AEncrages au catalogue prestigieux (Jacques Ancet, James Sacré, Bernard Noël, etc.) où vient de sortir son deuxième ouvrage intitulé Il est un air. Ce magnifique livre, tant par les mots que par les œuvres de l’artiste Jean-Noël Bachès qui l’accompagnent, est un regard posé par la jeunesse sur le monde « Chaque œil au singulier d’un monde / ouvert ». Rencontre avec une belle écriture, d’une étonnante maturité et d’une réelle modernité par un jeune Rennais promis à un bel avenir en littérature.

Émilien Chesnot : Pour reprendre les mots de la postface d’Armand Dupuy – difficile de faire plus juste – je dirais que j’ai d’abord ressenti le « sourd besoin de recueillir (recevoir, assembler) ». Deux termes m’importent particulièrement ici : « sourd » et « assembler » (si par commodité on laisse de côté le « besoin », non moins indispensable). En effet, « sourd », je le suis toujours lorsque j’écris, à savoir, je ne sais pas ce que je fais. Ni l’entendement ni l’entendre ne rentrent en ligne de compte, du moins pas en premier lieu. « Assembler » là est le jeu, l’excitation : quelque chose se construit, de manière plus ou moins bancale, avec plus ou moins de réussite, mais cherche en tout cas à tenir debout. Et comme la chose se passe de ma permission pour advenir, l’assemblage révèle d’emblée ses faiblesses, ses dysfonctionnements. J’ai donc cherché à assembler plutôt qu’exprimer. Mais, bien sûr, une fois le travail fait, j’allais dire : une fois le moment passé, on s’aperçoit que des zones de clarté se sont aménagées, qu’il s’est formé des nœuds de résistance, des liens… il subsiste toujours quelque chose de signifiant, à un niveau ou à un autre. Ce qui rend la lecture possible, et met simultanément en lumière les motivations du projet, que le texte laisse sourdre : le besoin de mieux respecter mon propre mystère.

Émilien Chesnot : Il me manque beaucoup trop de lectures, beaucoup trop de temps passé à réfléchir pour dégager des lignes, des tendances qui veulent vraiment dire quelque chose à mes yeux. En fait je m’aperçois que je ne saurais même pas donner une définition de « lyrique ». Je me contente donc d’un regard, comme vous dites, au sens le plus basique : je vois, à plat, ce qui se fait, je lis sans savoir où ranger quoi, sous quelle étiquette mettre qui, et surtout : sans chercher à le savoir. Il serait dommage d’immobiliser une œuvre, alors qu’il est si intéressant d’être agité par elle… je me laisse tout bêtement guider par les sensations que j’éprouve, les résonances naturelles. J’imagine que cela est plus ou moins pareil pour tout le monde : le besoin de ressentir précède très largement celui de comprendre. Bien sûr, ces deux besoins ne s’excluent pas, peuvent même s’approfondir l’un par l’autre. Mais si je suis sûr de ne pas pouvoir me passer du premier (sinon, pourquoi lire ?) je ne serais pas aussi catégorique sur le second. Le seul constat que je peux donc dresser sur la poésie contemporaine, c’est qu’elle me fournit énormément d’occasions de ressentir, ce qui m’incite à dire de manière très absurdement scolaire que j’y trouve mon compte.
U : On dit la poésie soit trop intello, soit ringarde, qu’en pensez-vous ?
Émilien Chesnot : C’est une question qui m’intéresse. Après avoir fouillé dans mes souvenirs, je peux dire que je n’ai que rarement rencontré ces deux discours. Pourtant, la double honte qu’ils inspirent, ainsi qu’une infinité d’autres, plus ou moins profondes, existent bel et bien, chevillées à ma pratique de lecture et d’écriture. D’ailleurs, je préfère éluder tout ce qui concerne cela dans mes conversations quotidiennes (mis à part celles que j’entretiens avec des amis proches). Ce qui fait que je n’y réfléchis pas très souvent. Comme ça, au débotté, et au risque de me répéter, je pense que la poésie est une affaire de sensations. Or, « sensation », mot très flottant, n’occupe pas de place précise par rapport aux qualificatifs d’« intello » et de « ringard ». Pour autant je crois voir pourquoi certaines personnes définissent la poésie en ces termes. Si je venais à discuter avec elles, j’essaierais d’en profiter pour clarifier mes conceptions à ce sujet.
U : Comment voyez-vous évoluer la poésie dans les prochaines années ?

U : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes pour les faire découvrir et aimer la poésie contemporaine ?
Émilien Chesnot : Pour commencer, je pense que personne ne devrait se sentir coupable de ne pas avoir besoin d’en lire. Cela dit, il reste selon moi important de faire l’expérience, fût-elle minimale, de la poésie. Ne serait-ce que parce qu’elle constitue un moyen privilégié d’aborder un aspect capital de l’existence : l’impossibilité de tout comprendre, de tout expliquer, et encore moins de tout contrôler. Alors, comment faire ? Les pistes sont nombreuses : travailler (à) l’instinct, abaisser les garde-fous de la logique, apprendre à se laisser toucher par des images, de l’indéfini… ne rien forcer. Suivre les déviances qu’imposent certains textes. Ne pas tenter de résoudre à toute force la position de déséquilibre où la poésie nous installe. Ce qui ne doit pas bloquer à priori le questionnement, la recherche d’une entente, la manipulation du poème comme machinerie. Ce petit laïus mis à part, il y a une infinité de manières « concrètes » de se saisir de la poésie contemporaine. En tant que lecteur, on peut par exemple la faire déborder du cadre strictement écrit du livre, quitte à parler les poèmes à voix haute, les mettre en situation (un peu comme au théâtre), les interpréter sur fond musical… ou se concentrer sur leur dimension plastique (le dessin du texte sur la page). De ce point de vue, l’initiative de Yannick Torlini, poète et enseignant, est inspirante : il donne à ses élèves des textes dont ils barrent au feutre noir certains passages, afin de ne garder que les mots qu’ils aiment. Peu à peu, un poème émerge en creux. La timidité naturelle qui accompagne souvent – et bloque parfois – la production d’un texte est évacuée au profit d’un mode de création par le retranchement.
U : Avez-vous des modèles en littérature ?

U : Envisagez-vous d’écrire des romans, du théâtre ?
Émilien Chesnot : Jusqu’à présent, chacune de mes tentatives d’incursion dans ces genres a dégénéré en poésie. J’ai l’impression que tout ce que j’entreprends d’écrire exige de se trouver coupé, cassé, redéployé, passé au mixeur du vers. J’aimerais, dans un premier temps, réussir à écrire en prose sans abandonner la poésie. Ou, pourquoi pas, introduire du narratif dans un poème. Quant à mener une réflexion spécifiquement narrative, avec tous les problèmes que cela pose, en clair : avoir un instinct, un regard de romancier, je ne m’en sens pas capable. Ce qui ne m’empêche pas de l’envisager.
U : Quelle importance attachez-vous à la culture en général et à l’art en particulier ?

U : Vous êtes Rennais, quels sont les lieux qui vous y inspirent le plus ? Et ailleurs en Bretagne ?
Émilien Chesnot : Sans conteste, là où je me sens le mieux pour écrire, c’est dans ma chambre. Mais comme c’est un endroit très peu fréquenté, je vais plutôt en évoquer d’autres, sans rapport évident avec l’écriture, où j’aime aller. Globalement, les forêts, parcs et jardins : forêt de Rennes, parc des Gayeulles, Thabor. Quelques bars aussi : Le vieux Saint-Etienne et sa terrasse, le Papier Timbré, le Hibou, l’Amaryllis, Le Grand Sommeil. Les portes Mordelaises, le vieux Rennes… À Saint-Malo, les remparts, la plage de Rochebonne. Et, enfin, un petit village à quelques kilomètres au sud de Saint-Malo, Saint-Suliac, qui m’évoque toujours beaucoup de souvenirs d’enfance.
U : Quelle question auriez-vous aimé que nous vous posions ?
Émilien Chesnot : Comme ça, je ne vois pas. Et puis je pense avoir plus que largement débordé du cadre de tes questions !
U : Dernière question : où peut-on acheter votre livre ?
Émilien Chesnot : Dans les librairies où le diffuseur d’AEncrages est implanté (Le Failler à Rennes, Gargan’mots à Betton, par exemple) et sinon, sur commande, partout. Y compris via le site lui-même : ici
Il est un air Émilien Chesnot – Jean-Noël Bachès, AEncrages & Co, 21 €
Textes de Émilien Chesnot
Illustrations de Jean-Noël Bachès
Postface d’Armand Dupuy
Le précédent recueil d’Émilien Chesnot Faiblesse d’un seul illustré par des encres de Dominique Lardeux est disponible ici
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Il est un air est l’histoire d’un regard, et donc plus globalement d’une écriture. Écriture qui se cherche, qui se tisse à travers (dedans / dehors) le monde qui l’entoure, qui veut et doit trouver sens pour éclore et prendre racine. Le poète se sert du matériau qu’est le corps – chair, langue, regard, ouïe – pour ressentir et enfin exprimer une sensibilité particulière.
Émilien Chesnot, né en 1991 à Rennes, nous livre ici son second texte. Le premier est paru aux éditions Centrifuges en oct. 2015.
Jean-Noël Bachès est un peintre né à Lyon en 1949. Diplômé de l’École des Beaux-Arts, il a un grand nombre d’expositions à son compteur.
