Pas facile de parler d’un roman de Jeanne Benameur, en l’occurence L’enfant qui. Les mots si bien agencés en trame poétique parlent d’abord aux sens. Les phrases, le rythme, les évocations lyriques émeuvent, font vibrer, allant ensuite donner du sens aux mots, au contenu. L’auteure poussée par « l’élan organique » de son texte partage alors davantage une intériorité qu’un message.
Elle l’avait séduit d’un simple regard, lui prenant la main pour lui prédire l’avenir. Triste de la mort de sa fiancée, il avait levé les yeux vers elle avec sa longue jupe rouge fané. Il avait envie de cette femme libre qui regarde loin devant elle. Sa mère avait peu apprécié cette étrangère qui ne parlait pas leur langue. On ne retient pas facilement une femme éprise de liberté. Et les cris et les poings frappés sur la table resserrent cet étau de violence.
« Tu es né comme ça. Arraché aux cris de ton père et au silence de ta mère. Tu as appris dans le ventre de ta mère la violence de vivre. » Aussi lorsque la mère disparaît, l’enfant traîne sa tristesse silencieuse dans la forêt, accompagné d’un chien imaginaire, cherchant la sécurité d’une maison, frappant la terre de ses pieds comme s’il voulait danser ainsi que sa mère lui avait enseigné.
« Les forêts portent sur leurs branches les mots de ceux qui ont erré et les plaintes qu’aucun être humain ne peut entendre. »
Le père courbe le dos et cherche asile au café du village. Comment a-t-elle pu partir, juste en laissant un dessin ? La grand-mère, si elle ne comprenait pas l’étrangère, aime le petit. Elle peut même entrer dans les églises d’un Dieu auquel elle ne croit plus pour le protéger. Enfant, elle avait cru au ciel d’une marelle, mais la réalité l’a renvoyée sur terre. Alors chacun creuse au fond de lui pour ressortir ses otages intimes. Les personnages parlent peu chez Jeanne Benameur, mais leurs silences et leurs peines se faufilent vers le lecteur.
« Tout le monde dit et répète que tu peux parler quand tu veux, mais que tu ne veux pas. Comme ta mère. Ton père, il couvre tous les malheurs avec sa voix. »
L’enfant entend la voix de la mère qui le guide vers le chemin de la maison de l’à-pic. Celle dont elle lui avait parlé. « Qu’avant les grandes décisions, il fallait y grimper. » Si haut que l’on puisse voir l’océan ou la ville, que l’on puisse trouver la confiance immense pour oser l’aventure. Un jour, il faut partir, quitter ce village pour ne pas devenir comme son père, « un homme qui ne regarde pas l’horizon, qui ne regarde pas le visage d’un autre homme. Un homme cloué au sol par les yeux et une colonne vertébrale courbe. »
Ce court roman L’enfant qui s’inscrit parfaitement dans l’univers de Jeanne Benameur. En reprenant comme dans Les demeurées la langue corporelle d’un enfant qui ne parle pas et qui souffre de l’absence de sa mère, l’auteur trace un chemin de liberté au plus près de la nature, un chemin qui ne peut se trouver qu’au plus profond de soi (Otages intimes, Actes Sud 2015)
L’enfant qui Jeanne Benameur éditions Actes Sud le 3 mai 2017, 128 pages, 13,80 €.
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Jeanne Benameur est née en 1952 en Algérie. Elle a reçu le grand Prix RTL-Lire en 2013 pour Profanes. Professeure de lettres jusqu’en 2001, elle a publié chez divers éditeurs, mais particulièrement Denoël en littérature générale, et les éditions Thierry Magnier. Elle est également directrice de collection, aux Éditions Thierry Magnier et chez Actes Sud-junior.
Elle consacre l’essentiel de son temps à l’écriture: théâtre, roman , poésie, nouvelles. Elle a reçu en 2001 le Prix Unicef pour son roman Les Demeurées, l’histoire d’une femme illettrée et de sa fille (Denoël, 2000).
Jeanne Benameur fait partie de l’équipe de Parrains Par Mille, une association de parrainage d’adolescents désemparés. L’auteure fait d’ailleurs agir cette association auprès d’Adil, dans Adil, cœur rebelle.
En 2008, elle rejoint Actes Sud avec “Laver les ombres“.
Elle reçoit le Prix RTL-LIRE 2013 pour “Profanes” et le Prix Libraires en Seine 2016 pour son roman “Otages Intimes“.