épopée de la nuit de John Nash F. Agera, OVNI théâtral

Certains livres étonnent par les soupirs qu’ils inspirent. Non qu’ils manquent de supériorité, mais le service qu’ils rendent à la littérature semble se perdre entre faiblesse et infortune. Avant que ces textes sortent du néant pour mieux y retourner, il convient d’en déterminer la substance. Si leur intérêt est à mesurer en fonction du lecteur, leur apparente insignifiance oblige à se poser la seule question qui vaille : sont-ils aussi médiocres qu’ils en ont l’air ?

Toze Figueiredo :  Portrait de Jean-Michel Basquiat
Toze Figueiredo : Portrait de Jean-Michel Basquiat

Ce ne sont ni l’argent ni le sexe qui font tourner le monde, mais l’orgueil et la concupiscence. Si, en outre, l’un et l’autre se réduisent à de strictes impulsions masculines, l’effet est dévastateur pour l’âme, réduisant le corps et l’esprit à un antagonisme d’intérêts végétatifs et sensitifs. Voilà comment l’on résume en deux phrases L’Epopée de la nuit de John Nash F. Agera. Véritable OVNI théâtral, le texte semble avoir été traduit mot pour mot (c’est à dire mal) de l’anglais américain, à moins qu’il ne s’agisse du premier jet d’un français rebattu, sans autre intérêt que de nier la langue pour, peut-être, mieux la reconstruire… On ne sait pas. Le doute peut séduire, en tout cas il interpelle. L’épopée de la nuit chancelle entre le génie d’un auteur en devenir et la médiocrité d’un dramaturge refusé par tous les metteurs en scène… Une fois encore, on ne sait pas. Les formes stylistiques sont plurielles, elles se suivent sans se ressembler, véritable partouze de figures et idiotismes, au point que John Nash F. Agera semble dégouté de ses propres inspirations à vouloir ainsi les épaissir.  

« … On m’a tué il y a bien longtemps. je ne suis plus qu’un fantôme. une coquille vide que l’on remplit de glaires de jouissance, un prototype de robot intime destiné à vider les couilles de leur propriétaire. (…) Voilà ce que je suis : une propriété éphémère utilisée pour assouvir les besoins sexuels de ceux qui souffrent, sont malades, rendus fous par une société étouffante et archaïque.

Toze Figueiredo : Over the nations...
Toze Figueiredo : Over the nations…

Faute de véritable exigence, les dialogues (inégaux tout au long du texte) relèvent néanmoins d’une incontestable force, faisant passer Bret Easton Ellis et Guillaume Dustan pour des enfants de coeur indisciplinés. On pense à Fassbinder mais on regrette Genet. Certaines pages ont l’incandescence d’une trajectoire fétide, d’autres sont encore plus nauséabondes et d’une lecture écœurante. Il faut, en outre, être intellectuellement aussi perturbé que l’auteur pour entrer dans son histoire nourrie de truismes glauques et de vanités complaisantes. C’est le côté Marivaux de John Nash F. Agera, qui semble avoir la fausse modestie de ne pas vouloir être admiré. On aurait apprécié davantage de canailles, de crapules et de fripouilles, plutôt que cette misère inconvenante perdue dans un décor glauque entre abandon et désespoir. John Nash F. Agera n’écrit (peut-être) pas à jeun, et ma supposition lui fera (sans doute) plaisir tant il joue avec l’inconvenance facile des nuits agitées. Voilà ! Sinon, il y a aussi les illustrations de Toze Figueiredo. On regrette qu’elles ne soient pas en couleur mais il est admissible qu’un livre à 6 € justifie des coûts réduits. Là encore, l’harmonie s’effondre puisqu’il ne s’en dégage aucune avec le texte, mais c’est précisément ce qui en fait la force : une illustration “décalée” est toujours plus intéressante qu’un pléonasme visuel. 

Alors ! Faut-il acheter L’épopée de la nuit (Première heure) de John Nash F. Agera. Bien entendu. Faut-il le lire ? Evidemment puisque vous l’aurez acheté. Mais pas parce que c’est un bon livre, non plus une pièce de théâtre intéressante, c’est même le contraire et, au final, ce texte ne vaut que par la subjectivité du lecteur qui acceptera (ou pas) d’y voir la curiosité douloureuse et insaisissable des lieux sombres et noirs où les rencontres se confondent en de tristes débâcles humaines. Ensuite, chacun ira prier ou insulter qui il voudra. 

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"Epopée de la nuit" (Première heure) - Editions du Pont de l'Europe

épopée de la nuit (Première heure) de John Nash F. Agera
112 pages illustrée en N&B par Toze Figueiredo
Editions du Pont de l’Europe – 6 €

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Jérôme Enez-Vriad
Jérôme Enez-Vriad est blogueur, chroniqueur et romancier. Son dernier roman paru est Shuffle aux Editions Dialogues.

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