Comme pour légitimer leur savoir, certains philosophes écrivent de manière obscure. À jamais, ils seront incompris du grand public. Heureusement, dans cette caste bien étrange, Jean-Pierre Van Deth fait figure d’exception qui confirme la règle. Dans un style limpide, il a écrit aux éditions Fayard une étude détaillée et passionnante sur la vie et la philosophie d’Ernest Renan. À lire par tous les Bretons.
Ernest Renan vivait au XIXe siècle, un siècle où le capitalisme ne régnait pas totalement en maître et où l’existentialisme n’avait pas encore sévi en Sorbonne. C’était le temps où les jeunes hommes pauvres à l’intellect performant n’avaient pas le choix. Il fallait accepter la tonsure et prendre soutane. Orphelin tôt, sans argent, le Breton de Tréguier, Ernest Renan, n’échappera pas à la règle. Direction le petit séminaire puis le grand séminaire…
À Paris, loin de sa Bretagne natale, le jeune homme suit les cours d’abbés bienveillants. « En réalité, il subit au séminaire une pauvre vie où l’on souffre d’isolement et d’abandon, » rapporte Jean-Pierre Van Deth, au point qu’il tombe malade. « Ma santé s’est singulièrement délabrée, écrivait Ernest Renan à son ami, François Liart, je suis en butte à des misères continuelles. » Mais l’esprit brillant est trop… brillant pour se laisser vaincre par la maladie. « S’il fut jamais conduit par la Foi, l’étude, seule désormais, sera sa raison de vivre, » écrit son biographe. « L’hébreu surtout le passionne, bien plus que la théologie, et puisque, décidément, il ne sent aucune attirance pour le ministère paroissial, c’est au professorat qu’il pense, même s’il mesure l’hostilité que l’université manifeste à l’égard du clergé. »
« La recherche de la Vérité »
À 23 ans, Ernest Renan quitte le séminaire et fait ses premiers pas dans le monde. « Recommencer comme si je n’avais pas vécu, » dira-t-il. Il prend une toute petite chambre. Mais quelle délivrance ! Il peut désormais vaquer à ses chères études à la recherche de l’unique Vérité. Rien n’est pourtant facile. Il lui faut travailler comme répétiteur et passer des heures et des heures à bûcher dans les bibliothèques. Il le sait pertinemment. Ce sera le prix à payer pour « s’élever du cercle méprisable des jouissances vulgaires au monde supérieur de la vertu et de la science. Voilà le but que j’ai toujours proposé à ma vie, précisera-t-il à sa mère. Voilà celui qui me guidera jusqu’à mon dernier soupir. »
Sans le dire de manière explicite, ses anciens maîtres espèrent le revoir au sein de leur église et l’invitent à s’interroger sur l’orgueil de l’intelligence. « Le doute est le faible des esprits supérieurs qui finissent par y mettre leur gloire et leur bonheur, » lui rapporte l’abbé Coignat. Mais sans trop vraiment y croire : « Si je n’étais pas le disciple de Jésus-Christ, je serais le vôtre. » Inconsciemment, ils le savent trop bien : Renan est déjà un libre penseur, capable d’affirmer en bon lecteur des auteurs de son temps : « Je pense qu’il est temps de détruire le règne exclusif du capital et de lui associer le travail »
« Un penseur contemporain »
On n’en dira pas plus. Sauf qu’il était décidément bien contemporain… Dénigrant une bourgeoisie instruite et industrieuse, mais sans créativité, sans croyance et sans humanité, il lui opposait un peuple animé d’une vraie créativité, dès la Révolution de 1848. À quelques jours de l’élection présidentielle, Ernest Renan, le penseur breton, est à relire au plus vite et… pas simplement par les plus “petits” d’entre nous. Ernest Renan, par Jean-Pierre Van Deth, aux éditions Fayard, au prix de 32 euros.
Jean-Christophe Collet
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Ernest Renan est Breton, délibérément Breton. Son intérêt pour sa Bretagne natale a été également constant de L’Âme bretonne (1854) à son texte autobiographique Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883). Mais il était parfois peu tendre à l’égard de son pays d’origine : “En Bretagne, l’opinion est si sotte qu’il ne faut pas la braver (cité par Jean-Pierre Van Deth, p. 86 de son ouvrage).” On mettra cela sur le compte de la mauvaise humeur passagère du penseur…
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