L’auditorium du Conservatoire de Rennes – Site du Blosne accueillera, samedi 18 janvier 2025, le concert 8 sonneurs pour Philip Glass d’Erwan Keravec. Dans le cadre du festival de musique contemporaine Autres Mesures, huit cornemuses et bombardes rejoueront quatre pièces à l’origine de la musique minimaliste.
La pratique de la cornemuse écossaise est culturelle chez Erwan Keravec. Enfant qui a grandi dans le sud de la Bretagne, il était entouré de parents investis dans le monde associatif culturel breton. L’instrument a toujours été là. Comme certaines personnes peuvent avoir accès à des violons ou des pianos, lui, a eu accès à la bombarde et à la cornemuse. Il commence la pratique dans le bagad de Roned Mor de Lokoan Mendon.
On appelle “cornemuse” tous les instruments qui ont un réservoir d’air, c’est-à-dire un sac. Il en existe quasiment 70 en Europe, mais on en trouve aussi en Iran, au Maghreb. Cependant, le seul point commun entre ces différents instruments est d’avoir une réserve d’air qui permet de faire du souffle continu, donc de créer du son qui ne va jamais s’arrêter. Cette caractéristique se retrouve dans beaucoup de musiques traditionnelles. Erwan Keravec joue de la cornemuse de type écossaise, pratiquée en Bretagne depuis un peu plus d’un siècle. L’instrument possède trois bourdons et un pied mélodique, le réservoir d’air alimentant ces quatre composants.
Pour 8 sonneurs pour Philip Glass, le Breton fait appel à sept autres musiciens et musiciens dans la lignée de sa précédente création IN C // 20 Sonneurs autour de l’œuvre de Terry Riley. Entretien.
Unidivers – Qu’est ce qui vous a intéressé dans le fait de transposer la pratique de la cornemuse dans un répertoire plus contemporain ?
Erwan Keravec – C’est par l’improvisation, dans le cadre d’une rencontre avec le big band La Marmite Infernal, que j’ai commencé à m’intéresser à d’autres pratiques de l’instrument. J’ai commencé par une grille harmonique très simple pour aller ensuite vers la musique improvisée ou la free musique. C’est une musique où il n’y a ni prescriptions ni de cadres, tout est imaginé sur l’instant. J’ai été fasciné de découvrir une nouvelle façon d’exploiter l’instrument radicalement éloignée à la musique traditionnelle.
Pour toucher à tout ça, il faut travailler sur la forme que l’on donne à la musique, à son organisation, et ça, je l’ai retrouvé dans la musique contemporaine. Une partie de mon travail consiste à commander des œuvres à des compositeurs de musique contemporaine qui ne connaissent pas mon instrument. Ils doivent passer par moi pour en comprendre le fonctionnement mais, eux, amènent une pensée éloignée de celle que l’on peut trouver dans la musique traditionnelle.
Les deux se complètent au final, l’improvisation donne beaucoup de possibilités en matière de création musicale, mais les musiques écrites aussi. Ce sont juste des moyens différents de penser la musique.
Unidivers – C’est une démarche originale, d’autres artistes se sont-ils emparés de ces questions ?
Erwan Keravec – Si on parle de la cornemuse écossaise, des recherches ont été menées sur la musique expérimentale à New-York dès les années 70, avec des transformations de l’instrument, ce que je fais peu au final. Je reste sur les instruments que l’on peut acheter chez un luthier. Un New-Yorkais a par exemple transformé une cornemuse qu’il appelait éléphantesque, mais il n’en existe quasiment pas en Europe.
Unidivers – C’est une démarche originale, vous avez dû convaincre les structures culturelles d’accueil à vos débuts. Pouvez-vous me parler de cette période ?
Erwan Keravec – Je me suis retrouvé dans une situation assez particulière. Dans le milieu d’où je viens (les musiques traditionnelles), ma démarche était marginale et, pour le milieu dans lequel j’arrivais (la musique contemporaine et expérimentale), j’étais un étranger, dans le sens où mon instrument n’y avait pas d’usage. Des musiciens m’ont pris pour un doux dingue pendant un petit moment, mais ma démarche a pris en crédibilité au fur et à mesure que le corpus d’œuvre a grandi. Grâce aux compositeurs qui ont trouvé un intérêt à ma proposition, nous sommes à 35 commandes (solo, trio, quatuor,etc.).
Aujourd’hui, je suis moins un étranger que ce que je n’ai pu l’être, mais bien sûr qu’au départ cela a été une grande étrangeté pour ce milieu qui m’a accueilli. Il fallait convaincre, mais s’il on se place du point de vue d’un programmateur de musiques contemporaines qui découvre une formation de sonneurs, il faut admettre que la proposition est suffisamment surprenante pour qu’elle soit écoutée. Mon instrument a les inconvénients de ses avantages ou l’inverse selon comme on le voit.
Unidivers – Avant d’entrer dans le monde des musiques contemporaines, étiez-vous déjà un habitué du genre, ne serait-ce qu’en tant qu’auditeur ?
Erwan Keravec – Je n’avais aucune pratique de l’improvisation avant ma rencontre avec La Marmite Infernale, mais j’avais déjà la sensibilité d’un auditeur de jazz même si c’est différent. De la musique contemporaine, je ne connaissais que les musiciens les plus connus comme Steve Reich ou Philip Glass. Curieusement, je suis entré dans la musique contemporaine par la cornemuse et la notion d’écriture. C’est en cherchant des personnes qui se consacraient à cela et dont écrire de la musique était essentiel. Quand des personnes se dédient à ça, on peut aller très loin dans l’écriture et la pensée musicale.
Unidivers – En parlant de Philip Glass justement, vous avez choisi cet artiste pour votre nouvelle création 8 Sonneurs pour Philip Glass. Vous reprenez les quatre pièces (Two Pages, Music in Fifths, Music in Contrary Motion et Music in Similar Motion) qu’il a composé en 1969. En quoi ce répertoire est intéressant pour votre travail et pour ce que vous souhaitez montrer au public ?
Erwan Keravec – J’avais envie de dédier une heure de bombardes, binious et cornemuses à un compositeur qui n’avait pas écrit pour moi. J’ai découvert la première pièce Two Pages grâce à un Américain qui, comme moi, est sonneur de cornemuse. Il l’a reprise sur sa cornemuse en si bémol et la mienne est en do. Je me suis intéressé à Glass de manière plus générale et je me suis rendu compte du chemin de ces quatre œuvres composées la même année. Il s’avère que l’ensemble était exécutable avec nos instruments alors que normalement nous ne pouvons pas jouer cette musique, car nous n’avons pas des instruments chromatiques. À en croire même qu’elles ont été écrites pour nous.
« Tomber sur des pièces de cette nature est assez jouissif. »
Unidivers – Dans votre précédente création, IN C // 20 SONNEURS, vous avez fait appel à 20 sonneurs et sonneuses, et pour 8 sonneurs à huit. Comment choisissez-vous le nombre de musiciens et musiciennes qui vont être nécessaires pour une composition ?
Erwan Keravec – Ce qui est assez inhabituel dans mon travail, c’est que j’ai rarement traité la musique contemporaine comme un répertoire, je faisais plutôt des commandes. J’ai commencé à le faire avec cette expérience des 20 sonneurs avec lesquels on a joué IN C, une œuvre majeure de la musique minimale que Terry Riley a écrite en 1964.
La musique traditionnelle est une musique de répertoire, on joue un répertoire existant que l’on peut transformer. Prendre des œuvres du répertoire de la musique contemporaine et l’interpréter qu’avec des sonneurs, c’est aussi une manière d’y être et de s’approprier cet espace-là, de dire que l’on est autant contemporain qu’un violon ou un piano.
Pour les IN C // 20 sonneurs, chaque musicien est isolé sur une estrade et l’ensemble forme un cercle qui englobe le public, ce qui permet d’avoir une homogénéité. Les pièces de Philip Glass nécessitaient qu’on soit huit musiciens et musiciennes. À partir de neuf, on commencerait à doubler des postes et ça m’intéressait que l’on soit tous unique à un poste. Ses pièces vont de l’unisson, la forme la plus ancienne, à une forme orchestrale. La première pièce, Two Pages, n’est jouée qu’avec les cornemuses, les bombardes commencent à intervenir dans la pièce de quinte.
Unidivers – Faites-vous appel à des musiciens et musiciennes que vous connaissez ?
Erwan Keravec – Il y a dix ans maintenant, j’ai monté un premier quatuor qui s’appelle Sonneurs, qui était une commande dédiée à la musique contemporaine. C’est en m’appuyant sur ce groupe, moi y compris, que j’ai pu monter l’équipe de 20 sonneurs pour IN C. Ces trois personnes sont aussi dans les 8 sonneurs et les quatre autres personnes de cette création étaient dans la précédente. Dans ma future pièce, où l’on est 10, ils seront là aussi.
Des personnes gravitent un peu, mais on est un petit noyau de 25 sonneurs et sonneuses avec des générations différentes, car avoir une présence féminine et différentes générations me questionnent aussi. Je parle pour nos instruments, c’est moins vrai si on parle de chant ou harpe ou accordéons, mais il y a un constat très surprenant à cet endroit-là : elles sont beaucoup en pratique amateur, mais trop peu en pratique professionnelle. Elles sont nombreuses dans les bagads, beaucoup plus qu’il y a 25 ans, mais ce n’est toujours pas le cas dans les enseignements et les musiciens professionnels
Les choses changent, mais c’est important de soutenir cette évolution, tout comme il est important de soutenir les jeunes qui arrivent sans oublier qu’il y a aussi des personnes plus âgées. On s’apporte mutuellement. C’est moins présent dans le 8 sonneurs que ça ne l’était dans IN C dans laquelle il y avait eu cette préoccupation-là.
Unidivers – Je vous remercie Erwan Keravec.
INFOS PRATIQUES :
8 sonneurs pour Philip Glass d’Erwan Keravec, 18 janvier 2025, Auditorium du conservatoire de Rennes – site du Blosne, place Jean Normand Rennes. Durée : 1 h.
12€ Tarif Unique. Billetterie
Site Internet d’Erwan Keravec
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