Homme des frontières, des marges et des Lisières – titre du récit qui lui valut le grand prix du roman des Écrivains de l’Ouest (Apogée, 2008) −, Jacques Josse aime à se réfugier dans la mansarde de Liscorno, lieu amniotique de son enfance où tant d’années après la mort de son père, il entend ce dernier à côté, s’évadant de son monde laborieux, et se rassure d’une présence qui ne l’a jamais quitté.
Le père à sa radio, le fils à ses lectures, et un courant de communication qui n’a jamais cessé. Mais cette communication, lui qui fut postier aux Postes & Télécommunications, il en a fait son impératif catégorique, en tout lieu, dans ces rues qu’il n’a cessé d’arpenter, dans ce Rennes qu’il habite depuis plus de quatre décennies, parlant avec l’un, causant avec l’autre, éclusant une bière ici ou là, chez les Bretons derrière la République, chez les Irlandais place du Parlement, mais toujours fuyant la foule qui lui donne sueurs, crainte et tremblement. Mais alors le foot dans tout cela et ce culte du Stade Rennais, le club au drapeau rouge et noir ? L’auteur ici célèbre son blason : « les deux hermines blanches, l’une dessinée sur fond rouge et l’autre sur fond noir, qui dansent dans la lumière ».
Jacques Josse a toujours été un fils aimant, attentif à ce père qui remplit tant de pages de son œuvre prolixe, tout particulièrement dans Liscorno (Apogée, 2014), « mon père qui continue de jouer au foot dans ma tête », écrit-il et tout est là, dans ce beau livre-confession, ce livre d’amour qui jaillit de sa tête comme Minerve, symbole de la pensée, vit le jour du crâne ouvert de Jupiter, son père. Et d’ailleurs la chouette, qui est l’emblème de la déesse et le symbole de la sagesse ne manque pas de surgir au travers de ces pages, quand la fenêtre nocturne de son nid armoricain s’ouvre sur « le hululement d’une chouette blottie dans le sapin du voisin ». Mais le père n’était pas footballeur, tout comme il ne fut pas marin à l’instar de son géniteur dont nous parle sa Lettre ouverte au grand-père capitaine (Le Réalgar, 2018).
Le foot et le Stade rennais meublent seulement son imaginaire, et celui de l’auteur qui, dans son adolescence, fit l’expérience désastreuse de ce sport quand, « goal volant » incapable de bloquer le ballon, il le reçut en pleine poire, « me brisant le nez et les lunettes… mettant fin prématurément à ma carrière de footballeur et me ramenant à un rôle de spectateur – ou plutôt d’écouteur – qui ne m’a, depuis, jamais vraiment quitté ». Reste alors, dans la chambre d’à côté, ce père, « homme taciturne et solitaire », qui, tandis que la mère, en bas, regarde la télévision, colle son transistor aux oreilles et suit les matchs de son club préféré tandis que son fils, toute délicatesse, reste à l’écart pour, dit-il, « qu’il profite pleinement de l’événement ». C’est donc pour lui et à sa mémoire que Jacques Josse est devenu fervent supporter du Stade rennais. Mais, quel paradoxe ! sans jamais assister aux matchs. Le moment venu, il entre dans les rues, admire la cohorte des fans qui se dirigent vers le stade et tente de vibrer avec eux :
« Le samedi, en fin d’après-midi, j’arpente les rues pavées du centre-ville, me faufile entre les flots des badauds, longe les boutiques, les vitrines, les pas-de-porte, regarde à peine aux devantures des librairies et traverse les quais pour me poser en terrasse d’un bar situé derrière la station de métro République. Je commande, invariablement, une bière blonde pour me rafraichir le palais en m’imprégnant de la très diffuse tension que je sens monter tout autour quand l’équipe joue au Roazhon Park. »
Ou alors, tout à la fois extérieur au jeu et en plein dedans, il « musarde, frôle les portes d’accès et les pylônes qui soutiennent les tribunes du Roazhon Park ». Et rien ne lui échappe de l’admiration des stars de « ce ballon, volage et chantonnant » qui, tout à l’heure, vont défendre les couleurs rouge et or, et dont il énumère, d’une lèvre gourmande, les noms glorieux : Gourkuff, Rodiguiero, Ascencio, Pellegrini, Chlosta, Keita…, avec une place de choix pour l’Ivoirien Laurent Pokou, « grand planteur de buts » et « le meilleur joueur de l’histoire du club » – ce pourquoi il figure en pleine action sur la couverture de ce livre – , le préféré de son père dans les années soixante-dix. Et voilà notre auteur entrant peu à peu dans « la nébuleuse des gens qui éprouvent le besoin d’entendre monter, au loin, les brouhahas de la foule » afin de comprendre :
« les bienfaits d’un engouement léger, modéré, vécu à distance, à l’image de celui qui emmenait mon père se balader dans un autre monde en s’octroyant une trêve, dynamique et chargée d’émotions, quelques heures durant, semaine après semaine ».
Jacques Josse qui fut ce marin en terre qu’il exprima dans son récit Débarqué (La Contre Allée, 2018), est ici un supporter convaincu qui « ne hurle qu’en fond de gorge » et un fan de foot loin des tribunes et hors du stade, tout en restant fasciné par l’arène. Ainsi parcourant Prague, il ne manque pas de rôder aux abords du stade du « Dukla, sur lequel le Stade rennais avait joué (et perdu) un match en Coupe des coupes en 1965 », avant d’aller déguster au Café Slavia une Pilsner Urquell, la meilleure bière du monde.
En fait, une fois de plus, Jacques Josse nous donne un autoportrait. De livre en livre, son visage se dessine, son âme se fait jour, et laisse apparaître un homme simple et généreux, modeste et tendre, fidèle et attentif aux autres et aux choses de ce monde, avec cette vertu rare que l’espagnol nomme « el don de gente », autrement dit la sympathie immédiate que dégage sa personne, doublée de l’empathie qu’il sent envers tout un chacun et tous. À lui le dernier mot, ouvrant et refermant son aveu sur la haute figure du père, au bout du compte pensant
« forcément à nouveau à lui, aux souvenirs qu’il m’a légués et qui remuent, perdurent et se transforment en se frottant à ceux qui proviennent de tant d’autres mémoires, celles d’hommes, vivants ou décédés, à l’imagination tout aussi fertile que la sienne ».
Ce livre plein d’émotion, où le Stade rennais est un motif affectif, se lit d’une traite, avec un rare plaisir. Comme on déguste une gouleyante cervoise.
Mise en vente : 8 avril 2022
Prix public : 9 €
Isbn : 978-2-491436-56-8
Format (L x H) : 120 x 180 mm
Genre : Foot et littérature
Editeur : Médiapop Éditions
Nombre de pages : 72
Diffusion : CED / Distribution : BLDD
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