Pour répondre aux protestations de la communauté juive et au ministre des Affaires étrangères russe qui grandissaient depuis juillet 2011, le Musée d’histoire estonienne a retiré samedi dernier, à la demande du ministre Rein Lang, des pièces d’exposition consacrées à Alfred Rosenberg, l’une des têtes pensantes du Troisième Reich né à Tallinn en 1893. Le positionnement de la présentation de ce personnage, au beau milieu du Comité de salut estonien de 1918 et du diplomate américain George Kennan, accentuait le problème.
Alfred Rosenberg fut l’un des principaux théoriciens du national-socialisme. Ayant fui l’Union Soviétique en raison de ses discours antibolchéviques, il trouva refuge en Allemagne où il devint le rédacteur du Völkischer Beobachter qui sera l’organe de presse officiel du Parti nazi. Il lui offrit ses bases philosophiques et culturelles par l’intermédiaire du mythe raciste, sur fond d’antichristianisme, d’antisémitisme et de néopaganisme, qu’il développe dans Le Mythe du XXe siècle (1930) et Sang et honneur (1935-1936). Ce haut dignitaire nazi, membre de l’Ordre de Thulé – dont les thèses racistes antisémites et antichrétiennes influencèrent sensiblement Adolf Hitler – fut ministre du Reich avant d’être condamné à la pendaison par le tribunal de Nuremberg en 1946.
C’est pourquoi sa présence, voire sa mise en avant, au musée de Tallinn constitue depuis de nombreux mois pour beaucoup un acte scandaleux. En pratique, « le Musée de l’Histoire Estonie a présenté plusieurs alternatives au ministère de la Culture sur la façon d’améliorer l’exposition. Mais comme « aucun consensus n’a été trouvé entre les parties, les pièces consacrées à Rosenberg ont dû être retirées. » Le directeur du musée s’est conformé à cette décision, mais a réitéré son point de vue : l’histoire ne doit pas être cachée. « L’histoire des événements englobe à la fois du négatif et du positif. Les musées du monde entier reflètent des événements à la fois négatifs et positifs. De toute évidence, nous devons aussi dépeindre des individus négatifs à l’image de Rosenberg » a déclaré le directeur Sirje Karis. Quant au quotidien Postimees, il ne pense pas que cette acte de retirement favorisera le travail de mémoire sur l’holocauste et considère non sans discernement :
« Ne serait-il pas plus sensé que la communauté juive et le ministère de la Culture participent conjointement à un travail de mémoire en Estonie sur l’holocauste ? Il est peu vraisemblable que les Estoniens aient davantage conscience de l’holocauste après que Rosenberg a disparu de l’exposition […] Il est scandaleux que l’on trouve dans toutes les librairies estoniennes toutes sortes de théories de conspiration sur l’holocauste, mais qu’on ne trouve aucun bon livre sur l’holocauste en langue estonienne. Le ministère de la Culture et la communauté juive n’ont-ils jamais pensé à soutenir la rédaction ou la traduction d’un tel ouvrage ? »
Nicolas Roberti