Étrennes, une tradition qui ne vaut plus un sou ?

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etrennes 1er janvier

La tradition des étrennes le jour de l’an se perd… Elle survit pourtant, ici ou là, dans certaines familles et territoires, sous des formes variées. Ces petites attentions offertes au Nouvel An — pièces, billets, enveloppes ou cadeaux — sont aujourd’hui surtout associées à la reconnaissance de services rendus tout au long de l’année (facteurs, pompiers, gardiens, aides à domicile…), même si l’usage reste libre et sans obligation.

Le mot « étrennes » vient du latin strena (ou strenae au pluriel), qui renvoie à l’idée de bon présage et, par extension, au cadeau offert pour attirer la chance. La coutume est très ancienne : dans la Rome antique, on marque symboliquement le passage aux Calendes de janvier par des vœux et des présents. Des rameaux — souvent associés à la verveine — auraient été cueillis dans un bois sacré lié à Strenia (ou Strena), figure du renouveau et de la bonne fortune. Puis, avec le temps, les présents se “sucrent” : figues, dattes, miel, autant de symboles de douceur et d’abondance souhaitées pour l’année qui commence.

En Gaule, d’autres gestes de seuil existent, comme le gui — plante hautement chargée d’imaginaires — qui accompagne encore, dans la mémoire collective, les vœux du Nouvel An. Au fond, les étrennes disent toujours la même chose : ouvrir l’année par un petit rite de sociabilité, “inaugurer” le temps nouveau par un acte de courtoisie, un échange de bons procédés, un signe concret qui rend les relations plus aimables.

les étrennes

Au fil des siècles — et jusqu’au XIXe siècle — on continue de s’offrir des gâteaux, des cartes, de petits présents “pour les étrennes”. À la fin du XIXe siècle, l’essor des grands magasins et de la publicité transforme la pratique : les étrennes deviennent aussi un moment commercial, associé aux jouets pour les enfants, aux tissus, vêtements, bijoux ou chocolats pour les adultes. La tradition s’adapte à l’économie de son époque, sans disparaître.

Au XXe siècle, offrir des étrennes revient de plus en plus souvent à verser une somme d’argent : argent de poche, pièces ou billets, parfois médailles commémoratives. Longtemps, la famille demeure le cœur du geste (grands-parents, enfants, filleuls…), mais l’usage s’étend aussi à des “dons d’usage” adressés à des personnes du quotidien — concierge, nourrice, personnel d’immeuble, artisans ou intervenants réguliers — pour remercier un soin, une présence, une fidélité.

Les grands-parents ont ainsi longtemps glissé des pièces “qui comptent” — parfois des Louis d’or ou d’autres monnaies conservées comme trésor familial — dans l’enveloppe du 1er janvier. On les rangeait précieusement dans une tirelire, moins pour “consommer” que pour marquer une continuité : l’argent des étrennes était un petit viatique, un porte-bonheur, une promesse d’année meilleure.

Mais aujourd’hui, la fréquence des étrennes diminue, surtout chez les plus jeunes. La pandémie a distendu des liens de voisinage, l’inflation a comprimé les budgets, et la vie urbaine a rendu plus anonymes des services autrefois incarnés. S’ajoutent d’autres évolutions silencieuses : moins de concierges, plus d’interventions “à la demande”, davantage d’intermédiation (plateformes, entreprises sous-traitantes), et une société où l’on croise, sans toujours se connaître, ceux qui rendent le quotidien possible.

Il y a aussi un paradoxe contemporain : l’ère du “sans contact” complique un rite qui reposait sur le contact. Moins d’espèces en circulation, plus de paiements dématérialisés, plus de livraisons et d’échanges à distance : l’étrenne, qui est un petit cérémonial, se heurte à un monde qui accélère et qui évite les seuils. Et pourtant, c’est précisément ce qui en faisait la beauté : prendre une minute, nommer la gratitude, regarder l’autre comme une personne et pas seulement comme une fonction.

Au XXIe siècle, il n’y a ni règle ni obligation, et la date elle-même est parfois avancée. La tradition a évolué vers un geste de reconnaissance, souvent lié aux calendriers des pompiers et des facteurs, ou à l’entourage professionnel du quotidien (assistantes maternelles, aides à domicile, gardiens d’immeuble, éboueurs, personnel d’entretien…). Chacun reste libre de donner ce qu’il veut. Les montants varient fortement selon les situations, le lien, les moyens et les usages locaux.

Alors que les fêtes de fin d’année représentent déjà un budget conséquent, les étrennes jouent parfois un rôle discret mais décisif : pour certains métiers, elles peuvent représenter un complément appréciable, presque un “treizième mois” symbolique à l’échelle d’une tournée ou d’un immeuble. Elles racontent aussi une économie morale : celle de la gratitude, quand le salaire ne dit pas tout du soin, de la pénibilité, des horaires, ou de la présence.

-> Des rameaux porte-bonheur au pourboire moderne : l’étrenne comme baromètre du lien social

Depuis l’Antiquité, l’étrenne accompagne les moments de bascule : passage d’une année à l’autre, changement de statut, reconnaissance d’un service rendu. D’abord geste symbolique (rameaux, fruits, miel), elle devient au fil des siècles un outil social : on offre pour marquer un lien, remercier une fidélité, sceller une hiérarchie ou manifester une protection. Sous l’Ancien Régime, les étrennes participent même à une véritable économie du don, où l’échange n’est jamais totalement désintéressé, mais toujours porteur de reconnaissance et de réciprocité.

En se monétisant progressivement, l’étrenne n’a pas perdu sa fonction première : elle demeure un révélateur de la qualité du lien social. Son recul contemporain ne dit pas seulement quelque chose du pouvoir d’achat : il traduit aussi la fragilisation des relations de proximité, la disparition de figures familières du quotidien et la difficulté croissante à ritualiser la gratitude dans des sociétés accélérées et fragmentées.

-> La gratitude à l’âge du sans-contact

L’étrenne est un geste lent dans un monde rapide. Elle suppose une rencontre, un regard, parfois quelques mots. Or notre quotidien se dématérialise : paiements sans espèces, services à la demande, plateformes intermédiaires, badges, digicodes, livraisons “déposées devant la porte”. La relation s’efface derrière la fonction, et la reconnaissance devient abstraite.

Dans ce contexte, la disparition progressive des étrennes n’est pas anecdotique. Elle signale une difficulté plus large à exprimer la gratitude autrement que par des évaluations, des étoiles ou des commentaires en ligne. L’étrenne, elle, n’évalue pas : elle remercie. Elle ne note pas une performance : elle reconnaît une présence, une régularité, parfois une pénibilité invisible.

À l’âge du “sans-contact”, maintenir ce petit rite, même modestement, revient à réhumaniser l’échange. Non par nostalgie, mais comme un acte discret de résistance à l’anonymat : rappeler que derrière chaque service, il y a un visage, un corps, un temps donné — et que cela mérite autre chose qu’un simple clic.

Attention : rappel de vigilance

Les arnaques aux “étrennes” et aux calendriers existent chaque année. Des escrocs se font passer pour des agents (pompiers, éboueurs, facteurs…) afin d’obtenir de l’argent, en profitant parfois de la vulnérabilité des personnes âgées.

Par précaution, ne laissez pas entrer un inconnu, demandez une carte professionnelle ou un justificatif (et un calendrier officiel si vente de calendrier), et en cas de doute, refusez poliment et signalez tout comportement insistant.

À retenir : la police et la gendarmerie, par exemple, ne sont pas autorisées à vendre des calendriers en porte-à-porte. Un “calendrier” vendu sous ces uniformes doit alerter immédiatement.