Expo aux Champs libres. Roches d’Aurore Bagarry ou l’empreinte du temps sur le paysage

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Roches d’Aurore Bagarry est la nouvelle exposition à découvrir à la galerie du café des Champs libres, jusqu’au 5 mars 2023. Dans cette série réalisée à la chambre photographique, la photographe explore les rivages de la Manche, de Brest à Calais, et ceux d’Angleterre pour y révéler la diversité des formes. Entre pratique artistique et cohérence scientifique, elle fait état d’un paysage en constante évolution.

Sur une invitation de la photographe Nolwenn Brod, actuellement à l’affiche de l’exposition Les Hautes solitudes au musée de Bretagne, Aurore Bagarry expose sa série « Roches », une exploration photographique, tant artistique que scientifique, des côtes qui bordent la Manche, de la Normandie à la Bretagne et du sud de l’Angleterre. Jusqu’au 5 mars 2023, un atlas encyclopédique s’affiche sur les murs de la galerie du café des Champs libres et ceux du restaurant.

aurore bagarry roches
Aurore Bagarry

Les deux années passées à l’université d’Angers, en lettres et langues option communication, auront permis à Aurore Bagarry de trouver sa voie, pendant un atelier de photographie. Associer des images, monter des projets et réfléchir à la création d’une histoire sont autant d’éléments qui la poussent à tenter les concours d’écoles prestigieuses. L’école des Gobelins à Paris, en traitement des images, retouches et laboratoire, lui apprend la technique du tirage couleur et noir et blanc ainsi que les différents types de pellicules et de papier. « Être dans un labo et manipuler de 9 h à 17 h était vraiment le bonheur, il y a quelque chose de magique dans la chambre noire. » Diplômée en 2002, la photographe poursuit sa formation à l’école de photographie d’Arles dans le but de développer une pratique artistique, alors que le monde de la photographie connaît une véritable révolution avec l’apparition du numérique.

Les portraits de ses débuts ont rapidement laissé place à des paysages. « À l’école, je m’intéressais au lien entre la musique et l’image puis j’ai arrêté de faire des portraits mais la dimension musicale est restée, le côté lyrique des images colorées. Les typologies sont comme des partitions. » L’humain disparaît au profit d’une nature sauvage, personnage principal d’une histoire du temps silencieuse, à observer. Cet intérêt pour la nature lui vient de ses grands-parents, férus d’alpinisme habitant en Haute-Savoie au début du XXe siècle. Biberonnée aux paysages du massif du mont Blanc, la photographe entame son travail autour de cette thématique en 2010 en réaction au phénomène du retrait des glaciers, événement qui la touche particulièrement en raison de son histoire familiale. De ces premiers signes du dérèglement climatique en Haute-Savoie est née la série « Glaciers ». En partenariat avec Centre National des Arts Plastiques (CNAP) et la ville de Saint-Gervais-les-Bains, avec l’aide théorique du scientifique Luc Moreau, elle dresse un inventaire de l’état du massif du Mont-Blanc.

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Flirtant avec le travail d’un reporter photo et celui d’un scientifique sur le terrain, la photographe parcourt toutes les facettes de la chaîne des Alpes et donne un constat de l’évolution de ce paysage qui traverse la Haute-Savoie, la Suisse et le Val Vény en Italie. « C’est à partir de ce moment-là que j’ai développé cette écriture autour du paysage, plus singulière. La couleur, le travail de la chambre, tout est venu grâce à la série “Glaciers”. » Pour travailler, elle utilise une chambre Sinar F2, un appareil à soufflet grand format qu’on pose sur un trépied et qui est monté sur un rail. « Cela permet d’avoir des négatifs grand format (10x12cm), beaucoup de détails et de profondeur de champ. »

Ses références vont des paysages dans le cinéma de Louis Feuillade, réalisateur notamment de Fantômas, aux peintres romantiques, à l’instar de Carl Gustav Carus ou Caspar Friedrich. Elle a également regardé le travail d’Albert Renger Patzsch, particulièrement sa série « Gestein ». Ce photographe de la nouvelle objectivité allemande a travaillé, en noir et blanc, sur la géologie dans le Finistère dans les années 30/40. « Je m’intéresse à notre rapport à la nature, aux formes et au côté métaphorique du paysage. »

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© Aurore Bagarry, Série « Roches », Anse de Bréhec, Plouha Côte d’Armor

Elle prolonge son travail photographique, entre pratique artistique et cohérence scientifique, avec la série « Roches », actuellement exposée dans la galerie du café des Champs libres. Ses recherches l’ont menée à s’intéresser au travail de Victor Segalen, auteur breton de la fin du XIXe siècle qui a réfléchi à la notion d’exotisme dans un essai sur la Polynésie française. « Pour lui, c’est approcher le divers et essayer de se rendre sensible à ce qu’on voit », explique-t-elle. « Quand on vit dans un endroit, il perd son exotisme. Victor Segalen pense une façon de voir ces paysages différemment, une sorte d’exotisme au coin de la rue. » Comme un écho à son précédent projet, Aurore Bagarry a parcouru les rivages de la Manche, du Finistère jusqu’à Calais, de Douvres jusqu’aux Cornouailles anglaises, afin de dresser un inventaire des formes issues de la lente érosion du littoral.

Comme en géologie, le présent et le passé se percutent dans chaque photographie. Nos yeux contemporains observent des paysages qui ont un vécu, segmentés par des stries, empreintes de l’eau laissées sur la roche, témoin de la vie de cette nature mouvante. « Tous les ouvrages du BRGM [bureau de recherches géologiques et minières, ndlr.] ont été une source d’inspiration, sur l’esthétique des géologues et la manière dont ils appréhendent le paysage. » Elle affine son travail et apprend à lire une carte géologique aux côtés de Marc Fournier, géologue à l’université de la Sorbonne à Paris, et de Patrick de Wever, géologue qui a travaillé sur la Manche. Suivent la confrontation au terrain, la recherche de la formation et l’intérêt photographique par rapport au projet. « Philippe Boulvais, géologue de l’université Rennes 1, m’a dit que les artistes et les géologues se focalisent étrangement sur les mêmes choses, comme les schistes verts qui sont un cas d’école sur la formation du schiste », se rappelle-t-elle. « Il y a un croisement entre l’esthétique et le visuel, et l’intérêt scientifique. » Les formes étranges que prennent parfois les pierres sont celles étudiées par les géologues et celles qui attirent l’œil d’un artiste.

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© Aurore Bagarry, Série « Roches »

Sur 70 sites photographiés, 35 ont été retenus. Ce choix, réalisé avec Jérôme Sother, de la maison d’édition Gwinzegal, et le philosophe Gilles A. Tiberghein, s’explique par la volonté de donner à voir des formations très différentes les unes des autres. Pensées en duo, les photographies des roches françaises et anglaises se confrontent et révèlent les singularités du paysage. « L’histoire du littoral de la Manche est complexe, on pourrait presque parler d’un « Brexit » géologique tant les roches y sont singulières et différentes d’un endroit à l’autre : de Fossil Forest de Wareham aux falaises de craies de Sangatte, des ophiolites du cap Lizard aux schistes verts de Plestin-les-Grèves. Il reste des vestiges d’un isthme localisé sur le haut structural du Weald-Artois qui reliait les deux entités (française et anglaise) et séparait la mer du Nord de la Manche. On peut le voir dans la région de Douvres et de Calais. »

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Le public pourra prolonger l’expérience avec l’ouvrage Roches, publié aux éditions Gwinzegal, au sein duquel se croisent les regards esthétique et scientifique. « Gilles A. Tibergein est le philosophe qui a fait connaître le Land Art en France dans les années 90. » Quant au deuxième texte, il est écrit de la plume du géologue Patrick de Wever qui œuvre pour le patrimoine géologique et collabore avec plusieurs géologues afin de classer plusieurs sites emblématiques.

Les actualités d’Aurore Bagarry ne manquent pas. Actuellement, elle travaille sur les bassins de Paris avec les ateliers Médicis et le CNAP dans le cadre des Regards du Grand Paris. Elle est cette fois partie sur les traces des anciens océans qui ont stratifié cette région, un nouveau chapitre de son atlas encyclopédique à découvrir prochainement.

aurore bagarry roches

Exposition Roches de Aurore Bagarry, galerie du café des Champs libres, du 26 novembre 2022 au 5 mars 2023. Gratuit.

Horaires d’ouverture : du mardi au vendredi de 12 h à 19 h, samedi & dimanche de 14 h à 19 h

Petites vacances scolaires : du mardi au vendredi de 10 h à 19 h, samedi & dimanche de 14 h à 19 h

Matins dédiés à l’accueil des groupes
(sur réservation au 02 23 40 66 00)

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