Après l’exposition consacrée à Miro qui a attiré 128 000 visiteurs l’été dernier, Michel-Édouard Leclerc se réjouit d’ouvrir les portes de Landerneau à Dubuffet : « présenter cet insoumis, artiste obsédé par l’idée de s’exonérer des règles du monde de l’art relevait de la gageure. C’est un défi qui nous allait bien ». « Et çà ne vous gêne pas d’exposer Dubuffet dans un supermarché ? » lui demandait Frédéric Taddéi. « Pas du tout. D’autant plus qu’il a été négociant », rétorqua M-E-L.
L’idée est venue d’un voisin, Jean-Jacques Aillagon, « ami fidèle, quasi breton, établi à Plouescat ». Elle envisage de rassembler deux collections de Dubuffet : celle du Musée des Arts Décoratifs (occasion de rendre hommage à François Mathey, son soutien déterminé et déterminant) et celle de la Fondation Dubuffet – qui ont déjà collaboré à l’occasion de « Coucou Bazar » à Paris en octobre dernier. Olivier Gabet prit le relais pour les Arts Décoratifs, et Sophie Webel, directrice de la Fondation Dubuffet, mit tout son talent au service du projet artistique, ravie du « caractère unique de cette exposition jamais vue depuis 40 ans ». La scénographie claire et intelligente (brillamment mise en œuvre par l’architecte scénographe rennais Éric Morin) suit le parcours chronologique de l’artiste.
Préhistoire
L’introduction fait immédiatement apparaître son évolution avec deux autoportraits de 1936 et de 1966. On découvre que pour Dubuffet le besoin d’art était « tout à fait primordial ». Il éclot lors d’un voyage en Auvergne où il vit une femme peindre dans la nature. Il se mit à en faire autant… en cachette, car son père, autoritaire et violent considérait que ce n’était pas une occupation digne d’un garçon qui allait lui succéder à la tête de son négoce en vins et spiritueux. Malgré tout, il fréquente les cours du soir de l’école des Beaux-Arts du Havre, et dessine d’émouvants portraits familiaux, notamment de sa grand-mère adorée. Après le baccalauréat, il part à Paris, fréquente les filles et les cafés de Montmartre, rencontre Suzanne Valadon, Élie Lascaux, Max Jacob, André Masson, Fernand Léger… Il se pose des questions, non seulement sur ses capacités mais aussi sur « le bien-fondé de l’activité d’artiste ». Il détruit la plupart de ses œuvres et part pour Buenos Aires. Là-bas, il cesse de peindre pendant 8 ans.
De retour en France en 1925, il entre dans l’entreprise paternelle et épouse la fille d’un client. C’est ce qu’on appelle entrer dans le rang ! En 1929, il décide néanmoins de s’installer à Paris avec le (bon) prétexte d’ouvrir son propre négoce de vins à Bercy. Là, il renoue avec ses amis de bohême au grand désespoir de sa femme qui le quittera en 1934. Jean choisit de se consacrer pleinement à la peinture, décision stimulée par la rencontre avec sa nouvelle chérie, Lili, avec qui il joue de l’accordéon, confectionne des masques et des marionnettes (visibles dans l’expo). Là va commencer la vraie vie !
Paris Ghardaïa New-York
La guerre passe, complètement absente des pinceaux de Dubuffet. Il fait des essais de litho, de graffitis et des recherches de matériaux. Goudron, graviers, plâtre, ciment, tout y passe dans des œuvres Mirobolus exposées à la Galerie Drouin en 1946 – « après le dadaïsme, voici donc le cacaïsme » ironise un critique. Il réalise aussi de nombreux dessins, dont de piquants portraits de ses amis. Sur les 144 que possède la Fondation, une soixantaine sont présentés à Landerneau sous forme de cabinet de curiosité (à noter : des facs-similés de ses vrais carnets, à feuilleter). Lors d’un séjour en Suisse avec Jean Paulhan et Le Corbusier, Dubuffet collecte dans des hôpitaux psychiatriques des dessins de malades mentaux qui alimenteront sa collection désormais désignée comme « art brut, préféré aux arts culturels ». Prise de position revendiquée haut et fort en 1949. Cette époque est marquée par plusieurs longs séjours au sud de l’Algérie où il se passionne pour la calligraphie arabe et l’esthétique bédouine, voyages qui ont sans doute fortifié son goût « pour le très peu, le presque rien » qu’on entrevoit dans ces « paysages d’où sont rejetés tout élément bien défini comme le seraient un arbre, une route ou une maison ».
Cette posture le tient en marge des institutions en France mais son œuvre rencontre un immense succès aux États-Unis grâce au travail de son marchand Pierre Matisse (fils du peintre). Au début des années 60, Dubuffet (souvent entre Paris et Vence) se lance dans des expériences musicales avec Asger Jorn ; elles vont trouver une application dans son cycle de l’Hourloupe dont on connaît la folle liberté graphique et l’homogénéité picturale. Il s’agissait au départ de simples « gribouillages » effectués pendant des conversations téléphoniques, avec le fameux stylo à quatre couleurs. Au bout d’un temps, Dubuffet abandonne le vert pour ne conserver que le noir, le bleu et le rouge. Ces « figures » vont atteindre les proportions gigantesques de sculptures urbaines, là encore, souvent acquises aux États-Unis, mais avec des sorts divers en France, tel le très long imbroglio avec Renault.
1975 – 1984
Dans les dernières années de sa vie, Dubuffet veut encore plus s’affranchir de la réalité et « avec cette nouvelle optique, entreprendre de faire des relevés de tous les faits du monde. Du pain sur la planche » précise finement l’artiste qui va développer une technique de collage où ses propres peintures entrent dans d’immenses compositions. La palette s’assombrit jusqu’à ce dernier tableau de l’expo. Très noir. Tout est dit. Un soir de décembre 1984, Dubuffet raccroche les pinceaux. Cinq mois plus tard, il se suicide. Mais chut, faut pas le dire ! Secret de famille.
Dubuffet l’insoumis
Jusqu’au 2 novembre 2014
Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture
Les Capucins 29800 Landerneau
Tel: 02 29 62 47 78
Ouvert tous les jours de 10h à 19h, en juin, juillet et août. De10h à18h, en septembre, octobre et novembre.
Visite commentée pour les individuels (20 max) du lundi au vendredi : 16h30. Week-ends et vacances scolaires : 11h et 16h30. Réservations préalables obligatoires sur le site internet
Plein tarif : 6 €
Tarif réduit : 4 € groupe sur réservation, 10 (et+) ou 4 (et+) de18 à 25ans, convention organismes sociaux, tourisme
Gratuité : moins de 18 ans, enseignants, étudiants, demandeurs d’emploi, ICOM, accompagnateur groupe + 10Sur présentation du ticket, une entrée au Fonds Hélène et Édouard Leclerc donne droit à une entrée à tarif réduit à l’Abbaye de Daoulas ainsi qu’à Océanopolis à Brest.
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Expo Dubuffet l’insoumis au fonds Leclerc de Landerneau