Jusqu’au 28 novembre, la galerie Oniris de Rennes invite trois artistes à exposer entre ses murs : Carole Rivalin, Olivier Petiteau et Marine Provost. Une occasion de continuer un travail commencé il y a 30 ans…
François Morellet, Véra Molnar, Norman Dilworth… quelques noms (parmi tant d’autres) reconnus dans le monde de l’abstraction géométrique et artistes soutenus, depuis plusieurs années maintenant, par la galerie Oniris. En cette rentrée 2015, cette dernière fait peau neuve et se lance dans un nouveau défi. Inviter des artistes indépendants à la galerie afin de continuer le travail que Yvonne Paumelle avait commencé il y a trois décennies.
Dans ce dessin, Carole Rivalin, Olivier Petiteau et Marine Provost s’installent chacun dans un espace de la galerie. La vague est arrivée ; elle ensevelit la galerie. Elle s’insinue dans les moindres recoins et apporte un vent de fraîcheur artistique !
Tous trois sont diplômés des Beaux-Arts et pensent l’art comme une manière d’utiliser les outils du quotidien, voire le quotidien lui-même. Chacun nourrit un univers propre ; pourtant, leurs démarches artistiques se rejoignent indubitablement. La répétition du geste et le travail du trait, le cadrage et l’espace pris en lui-même, papier et toile… ces mots transpirent à travers leurs œuvres. On le comprend d’emblée : le choix de ces artistes s’inscrit dans la mouvance des artistes historiques de la galerie
L’exposition Invitation #1 débute avec Olivier Petiteau et son parcours peu conventionnel. Cet autodidacte n’a obtenu que récemment son diplôme à l’École des Beaux-Arts de Lorient (en 2015). Que ce soit sur papier ou en deux dimensions, son travail se concentre sur le trait et la répétition. « J’aime répéter les choses », déclare-t-il avec un sourire en coin. Un tropisme palpable à travers la répétition des lignes noires de ses œuvres, à l’image de Sycomore, moabi merisier n°13 (2014).
Connue notamment pour son intervention sur un mur du patio du Musée des Beaux-Arts de Rennes, Carole Rivalin aborde le trait dans sa forme la plus pure et colorée. Elle le répète inlassablement sur toute la surface de la feuille, mais n’oublie pas pour autant son affection pour la sculpture. Chaque dessin est une recherche au sein de l’espace. Paradoxalement, elle intègre le volume dans ses dessins à l’aide de superpositions de papier préalablement découpé en grilles, et recherche la 2D dans ses sculptures.
Le parcours se termine avec la plus jeune du trio, Marine Provost. L’ordinaire est son dada. Sa série de Fantômes envahit le dernier espace, en toile ou en papier, pour les dessins préparatoires. Le papier intérieur des enveloppes est son inspiration. « Tout le monde reçoit du courrier, même les sans-abris donc tout le monde y a accès. Faut juste y prêter attention. »
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Unidivers : Vous exposez aujourd’hui dans une galerie spécialisée dans l’abstraction géométrique. Pouvez-vous décrire votre démarche artistique ?
Marine Provost : Le thème qui revient continuellement dans mon travail c’est l’ordinaire, le quotidien, quel que soit le milieu dans lequel nous évoluons. L’art contemporain n’existe pas du tout dans le milieu rural et je travaille avec ce que j’ai sous les yeux. C’est croire en la capacité du regard plus qu’en celle du savoir-faire par la main. C’est savoir voir plus que savoir faire. J’essaie d’établir des cadrages sur des choses qui ne sont a priori pas importants, et d’attirer l’attention sur quelque chose qui peut paraître banal. Par exemple, quand j’étais caissière au théâtre de la Michodière (Paris), je profitais de mon temps de caisse pour exposer des œuvres. Il y avait une heure avant la représentation où le théâtre devenait un lieu public. Il y avait ceux qui venaient pour le théâtre et les autres, ceux qui visitaient. C’est cet aspect là du quotidien qui m’intéresse.
Les papiers d’enveloppes exposés dans la galerie fonctionnent de la même manière. Je reprends les motifs qui sont sur les enveloppes en les digigraphiant sur une toile et poursuis les traits à l’acrylique.
Olivier Petiteau : Mon travail est assez formel, il se base sur le mouvement, au début avec des objets mécanisés. Tout ce travail m’a amené à en extraire la vibration, le déplacement, et de passer de l’objet concret à un travail sur papier. Le mouvement et la répétition m’ont permis de trouver une sorte de concrétisation, de réalisation de ma pratique. À travers un travail en deux dimensions, j’ai pu accomplir ce que je faisais avec des machines, que j’ai peu à peu délaissé pour diverses raisons : la lassitude, l’évolution de mon travail.
Un peu comme Marine, je suis issu d’un milieu où il n’y a pas d’art et je cherche à savoir comment lui parler avec un regard contemporain. C’est pour cette raison qu’on peut identifier deux versants dans mon travail, un formel et un polémique. La difficulté a été de trouver comment trouver une démarche très abstraite et en même temps polémique. Dans les œuvres exposées dans la galerie, il y a très peu cet aspect-là. Je reproduis des courbes, en l’occurrence ici du Cac 40 ou du PIB, assez ciblés vers l’économie, mais pas seulement, il peut aussi y avoir des courses du PMU. C’est un regard sur la considération économique, la manière dont l’économie peut tout réduire à une certaine valeur, et ainsi nous réduire à de simples chiffrages.
Carole Rivalin : Étudier aux Beaux-Arts de Rennes n’a pas été un hasard, c’était une sorte de rêve. Ce qui m’a plu dans un premier temps ceux sont les outils de dessin, car mon père était menuisier et j’adorais les outils. Avoir des boîtes de crayons de toutes les couleurs et des règles de toutes les formes. Avant d’entrer aux Beaux-Arts, je faisais beaucoup de peinture et en arrivant là-bas, j’ai découvert d’autres techniques comme la sérigraphie, et l’installation.
Mon travail est à la fois en sculpture, minimale et géométrique, et en dessin. L’espace de la feuille est un endroit de recherche pour d’éventuelles sculptures ou installations. La couleur est revenue après les Beaux-Arts. C’est une histoire de cycles finalement, et de découvertes. On peut la retrouver dans les sculptures aussi. Proposer des volumes permet de perturber l’espace réel, comme la production au Musée des Beaux-Arts de Rennes. Il y a toujours une réflexion sur l’architecture, car ce qui est intéressant c’est de modifier les espaces qui nous sont donnés, par une intervention artistique, que ce soit un dessin ou une forme.
Il y a de la répétition dans mon travail, mais c’est essentiellement à propos du travail qui s’oublie. On oublie ce qu’on est en train de faire tellement on le répète, ça en devient une forme de méditation. C’est intéressant de se dire qu’un travail tel qu’il soit est répétitif. Il y a le mythe de l’artiste qui est en dehors de cette répétition alors qu’il se lève aussi tous les matins. On reproduit pleins de gestes, comme tout un chacun.
U. : L’exposition est une invitation de la part de la Galerie Oniris. Comment la rencontre s’est-elle produite ?
M. P. : J’ai connu la galerie il y a un peu moins de dix ans et c’est la première galerie où je suis entrée toute seule. C’était une exposition de Gérard Doelher. Yvonne était encore là et je suis un peu partie dans une envolée lyrique face à ce travail. Et il y a un an ou deux, à la foire Slick, à Paris, je suis tombée sur le stand de la galerie Oniris. J’ai rencontré la femme de Florent et lui ai raconté que ma rencontre avec Doelher avait énormément influencé mon travail. Par la suite, on est resté en contact avec Florent, et ça s’est enchaîné.
O. P. : J’ai été invité par Carole Rivalin, à participer à une exposition à l’école municipale d’Arts-Plastiques à Cholet. François Morellet est venu voir l’exposition, car nous habitons tous les deux à Cholet, et sommes voisins. Il voulait m’aider, mais on ne trouvait pas forcément de galerie qui correspondait à mon travail. Et c’est là qu’il m’a conseillé de contacter Florent. Le reste s’est fait naturellement. C’est souvent une histoire de rencontre au final.
C. R. : Pour ma part, c’est une galerie que je connais depuis le début de mes études aux Beaux-Arts de Rennes. C’est la famille artistique qui m’attirait, donc quand j’étais en troisième année, j’ai demandé à faire un stage. Par la suite, j’envoyais ce que je faisais de façon régulière, les cartons d’invitations. De fil en aiguille, ça s’est produit…
1. De gauche à droite: Sycomore, moabi, merisier n°20, 2014 et Sycomore, moabi, merisier n°13, 2014 (Peinture et marqueterie sur papier sérigraphié) – Sans titre – réf.2014C, 2014 (Peinture et marqueterie sur papier sérigraphié et peint à l’aérosol), Olivier Petiteau
2. De gauche à droite: Note n°3 – Note n°2 – Note n°5, 2015 (Mine de plomb et encre sur papier) Carole Rivalin
3. De gauche à droite: De gauche à droite: Fantôme n°7 , 2013 – Fantôme n°14, 2015 – Fantôme n°15, 2015 (Acrylique et digigraphie sur toile – oeuvre unique) Marine Provost.
4. Olivier Petiteau – PIB, 2012 (sculpture murale en bois) © Oniris