L’exposition Intelligences, différentes par nature est présentée à l’Espace des sciences, au cœur des Champs Libres, jusqu’au 10 mars 2024. En croisant les regards des scientifiques français et canadiens, l’exposition déconstruit une conception de l’intelligence qui en fait l’apanage des seuls êtres humains. La rédaction est allée la visiter avec Jean-Louis Coatrieux et son regard de chercheur, spécialiste de l’intelligence artificielle.
« Les Anciens pensaient que l’intelligence était le propre de l’Homme ». Avant de pénétrer au cœur de l’exposition, savez-vous à quoi renvoie réellement le mot “intelligence” ? Si l’on reprend la première définition du CNRTL, l’intelligence désigne la fonction mentale d’organisation du réel en pensées chez l’être humain, en actes chez l’être humain et l’animal. « Pour nous, humains, c’est la capacité de raisonner et de faire des déductions, mais ça couvre beaucoup d’autres aspects : sentir, ressentir, communiquer, apprendre. Tout cela participe à l’intelligence », déclare Jean-Louis Coatrieux, chroniqueur sur Unidivers et chercheur qui joue exceptionnellement le rôle de guide. Il donne sa première impression, à peine le sol de la salle d’exposition foulé : « Le fait de mettre « Intelligences » au pluriel est important, non seulement car elle se décline chez diverses espèces, mais même chez l’humain, on peut imaginer des intelligences différentes ».
L’exposition Intelligences, différentes par nature aborde quatre intelligences : de l’intelligence végétale qui nous a précédés à celle artificielle conçue de la main de l’homme, en passant par les intelligences animales et humaines, proches l’une de l’autre. « Beaucoup d’éléments se télescopent aujourd’hui, il y a une réalité qu’on peut comprendre et découvrir à travers l’exposition et une autre qui fait la une des journaux, écrits ou télévisés, autour de l’I.A. » Dans une forme ludique et interactive, l’Espace des sciences bâtit son propos sur des travaux de chercheurs et convoque des professionnels dans des vidéos explicatives pédagogiques selon les spécialités de chacun et chacune. Au total, une trentaine de manipulations permettent d’appréhender le sujet. « Autre chose importante pour moi, c’est qu’ils s’appuient sur les connaissances d’aujourd’hui. Celles de demain seront peut-être différentes. »
Pénétrons dans l’intelligence cellulaire et végétale en faisant connaissance avec la libre reproduction d’un blob, en imprimante 3D. « L’intelligence est partout. Même le blob [organisme composé d’une seule et unique cellule, ndlr.] qu’on élève dans le laboratoire de Merlin a fait preuve d’intelligence. Il n’a pas de cerveau, c’est à peine un champignon, mais si vous en mettez un dans un labyrinthe, il est capable, assez rapidement, de trouver de la nourriture », soulignait Michel Cabaret, directeur de l’Espace des sciences, lors de la présentation de saison 2023-2024 des Champs Libres. La situation environnementale étant ce qu’elle est, la mise en valeur de ce monde végétal avec lequel l’humain coexiste, sans le connaître complètement, semble opportune, voire essentielle. Petit en taille, ce premier volet s’invitera par la suite dans les réflexions de Jean-Louis Coatrieux tout le long de la visite, et ce dès la deuxième partie : l’intelligence animale. « Le monde du Vivant est extrêmement riche et divers. Beaucoup de choses nous échappent encore, sur les plantes comme sur les animaux. »
L’espèce animale est celle qui se rapproche le plus de l’humain et les chercheurs découvrent chez elle des facultés auparavant réservées à l’Homo sapiens. « En ce qui concerne les animaux, il n’y a pas d’ambiguïté quant à son intelligence. Mais dirait-on la même chose des espèces comme les vers de terre ? », questionne Jean-Louis Coatrieux. « J’avais fait une émission sur Radio Laser avec Alban Le Masson qui abordait justement cette thématique du langage des animaux. Ce monde communique et leur langage est souvent très primitif. Ce sont des échanges brefs pour prévenir d’une menace, d’une ressource ou pour appeler les autres, repousser des adversaires aussi. Mais grande question pour les plantes. »
Certaines espèces ont une intelligence collective, comme les termites, les fourmis et les abeilles. « Les abeilles font partie des mondes particuliers dans lesquels il y a une forme d’organisation, de reproduction et de transmission. La vie sociale chez les animaux est évidente, mais c’est plus compliqué à mettre en évidence pour le monde végétal. Des expérimentations sont sans doute possibles en laboratoire, mais quelle est la réalité dans un environnement naturel ? Comment prouver les choses ? Ce n’est pas si simple que ça. »
L’exposition montre aussi la capacité des animaux à fabriquer des outils ou des armes avec leur environnement. Anecdote amusante : le crabe porte en permanence une anémone de mer urticante, tentacules vers le bas, dans chaque pince. Comme un boxeur, il les brandit pour intimider ses prédateurs.
Au détour d’une cimaise, le chercheur soulève : « Il faut faire attention à la tendance de l’Homme à recréer son image à travers les autres. » La vidéo de Hans Le Malin, le cheval mathématicien des années 1900, en est un parfait exemple. Son propriétaire, Wilhelm Von Osten, était un professeur de mathématiques qui s’adonnait à ses heures perdues à l’entraînement des chevaux. Celui-ci se mit en tête d’apprendre à Hans à résoudre toutes sortes de problèmes, et consacra quatre années à son entraînement. L’histoire montre la tendance de l’homme à penser l’intelligence par le prisme de l’intelligence humaine alors que la forme d’intelligence du cheval est autre. « Cela montre l’anthropomorphisme, le fait de ne voir notre monde que par nos déformations. »
Pendant longtemps, le meilleur moyen de tester l’intelligence humaine fut de réaliser un test de QI (Quotient Intellectuel), le plus ancien test inventé en 1905. Après tout, combien d’émissions télévisées ont-elles utilisé ce filon pour faire de l’audimat ? « Quand on a affaire à des systèmes complexes, notre première action est de réduire la complexité. Mais à un moment, la réduction peut devenir discutable. » L’intelligence humaine est multiple et sa mesure ne se résume plus au Quotient Intellectuel. Elle peut être sociale, corporelle, individuelle, collective, etc. Le public découvre dans cette partie les huit modèles d’intelligence d’Howard Gardner, proposés pour la première fois en 1983. « Si tu déclines une intelligence ou des intelligences, tu cherches à englober tout ce qui peut représenter ces intelligences, celle-là est très liée à l’humain. Si on reprend cette grille-là pour établir une intelligence des plantes, on ne dirait pas qu’elles en aient. »
À côté, les intelligences désignées comme atypiques – TDAH (troubles Dissociatifs Avec Hyperactivité), TSA (Troubles du Spectre Autistique) et HPI (Haut Potentiel Intellectuel) – témoignent d’autres manières d’aborder le monde, de sentir et de penser qui permettent d’établir des relations différentes avec les autres.
Les sciences peuvent parfois conduire à des aberrations, comme ce fut le cas avec la phrénologie, pseudoscience du XIXe siècle développée par Franz Joseph Gall. La théorie utilise des mesures du crâne humain pour déterminer les traits de personnalité, les talents et les capacités mentales. « C’est là que les expérimentations et les preuves sont indispensables. Il faut bien un peu de poésie et d’imaginaire dans le monde, mais quand on parle de sciences, il vaut mieux s’appuyer sur des éléments concrets », affirme Jean-Louis Coatrieux. « Il en va de même pour les plantes. L’image des arbres qui se parlent est magnifique d’un point de vue poétique, mais mise à part pour sa beauté et la nourriture, on a négligé pendant longtemps la nature. »
L’intelligence humaine est aussi celle qui est à l’origine de l’intelligence artificielle, dernière partie de l’exposition. Un sujet fascine autant qu’il inquiète. « Les médias montrent les applications, mais pas ce qui est derrière », selon le chercheur. « Les neurones artificiels, c’est une simplification des neurones extraordinaire, mais c’est un objet extrêmement simple. Il y a des entrées, une sortie et une fonction à l’intérieur. »
« Ce qui est frappant avec les outils disponibles aujourd’hui, c’est que même s’ils n’ont aucun raisonnement, aucun pouvoir d’explication, ils arrivent à avoir des performances aussi importantes, ce qui interroge sur ce qu’on appelle l’intelligence. Comment expliquer que des systèmes puissent exister sans une partie des capacités de base d’un humain qui, a priori, permettent de construire le monde autour de nous ? » D’Alan Turing, pionnier de l’informatique et de l’intelligence artificielle (IA) à Captcha et Pixellia, l’exposition révèle comment l’intelligence artificielle a gagné du terrain, surpassant parfois celle humaine, comme dans les concours de jeux. « Il existe un prix Turing. Des chercheurs ont obtenu le prix pour leurs travaux sur les réseaux neurones dont un Breton Yann LeCun [en 2019, ndlr.] »
Parmi les manipulations, laissez-vous tenter par Marcello, une application interactive de reconnaissance par un réseau de neurones de vos dessins faits main d’une lune, d’une maison et d’un chapeau. Comme l’explique Jean-Louis Coatrieux : « Chaque petit rond que vous voyez sur l’écran est un neurone ressemblant au petit dessin ci-contre et tous ces neurones sont connectés entre eux (où les x sont les entrées et les o, les sorties). Ce réseau a appris auparavant par de nombreux exemples à reconnaître vos dessins. Il peut cependant se tromper et si c’est le cas, n’hésitez pas à le dire en cliquant oui ou non en bas, à droite. C’est ainsi qu’il apprend à travers ses réussites et ses échecs. Mais apprendre pour un neurone, comment est-ce possible ? Eh bien tout simplement en calculant le mieux possible les valeurs des coefficients w que vous voyez sur le neurone du dessin ! » Et le tour est joué… À votre tour de faire connaissance avec lui et les intelligences multiples qui nous entourent.
L’exposition Intelligences, différentes par nature est visible jusqu’au 10 mars 2024 à l’Espace des sciences aux Champs Libres, 10 cours des Alliés. Elle est coproduite par le Muséum d’Histoire Naturelle de Nantes, l’Espace des sciences de Rennes et le Musée de Fjord de Saguenay (Québec).
Horaires : mardi au vendredi de 12h à 19h en période scolaire et de 10h à 19h en vacances scolaires.
Animations : mardi, jeudi et vendredi à 16h30 ; mercredi toutes les heures à partir de 14h30 ; le weekend : 16h, 17h15 et 18h15