Stéphane Lavoué est un adepte des road-trips photographiques : il aime explorer des territoires, leur géographie, aller à la rencontre des habitants, de leurs histoires. Son écriture photographique, sur le temps long, avec une unité de lieu, permet une narration sous forme de chronique. Après son installation en Bretagne, en 2015, la région devient un fil conducteur fort de ses séries. C’est à ce regard sensible que les Champs Libres ont souhaité offrir une place du 25 mai au 7 novembre 2021. Rencontre.
Dans la salle Anita Conti, au rez-de-chaussée des Champs libres, trente deux photographies se cristallisent sur les murs de couleurs sombres. Toutes sont entourées d’un halo de douce lumière, à la manière des expositions de peinture que l’on peut trouver dans les musées de Beaux-Arts. Ceci n’est pas un hasard… Les portraits et des paysages aux allures picturales de Stéphane Lavoué content « un Western singulier, fruit des secrets et des mystères de ses rencontres », comme le souligne Corine Poulain, directrice des Champs libres.
Connu d’abord pour ses portraits, l’ancien photographe de presse développe, depuis une petite dizaine d’années, une pratique photographique personnelle autour de territoires, d’hommes et de pratiques. La rédaction d’Unidivers l’a rencontré pour lui poser quelques questions et percer le mystère qui entoure ses photographies.
Unidivers – Depuis vos débuts en tant que photographe, vous avez travaillé une quinzaine d’année en tant que photographe presse, jusqu’en 2015. Comment a évolué votre travail vers une pratique plus personnelle ?
Stéphane Lavoué – J’ai d’abord travaillé pour des quotidiens et des magazines français et internationaux, comme Libération ou Le Monde. C’était une période très excitante. Je pouvais passer d’un sujet à l’autre, d’abord en reportage, et par la suite, en me consacrant au portrait, de célébrités ou d’anonymes issus de milieux différents.
Puis, j’ai eu envie de moins subir les commandes, d’être le moteur de mes propres images. J’ai réellement amorcé une écriture nouvelle avec la série « The Kingdom ». En2011, je suis parti aux États-Unis dans l’État du Vermont, où il existe une petite région que l’on appelle le Royaume du Nord-Est, au nord de cet État. L’idée d’un royaume au cœur des États-Unis m’a paru suffisamment poétique pour que je puisse essayer de développer une série. Des amis habitaient à proximité. Alors, en allant de ferme en ferme, je suis parti à la recherche du roi, en réalité c’était un prétexte pour partir à la rencontre des gens, faire des images et, au fur et à mesure, reconstituer, grâce aux portraits et aux paysages, une nouvelle aventure pour moi : une cartographie du territoire de ce royaume. Cette écriture s’est mise en place à ce moment-là. Au moment où j’ai quitté Paris pour m’installer à Penmarc’h, en 2015, j’ai continué cette approche personnelle du documentaire.
Unidivers – Que vous plaît-il dans le genre du portrait ?
Stéphane Lavoué – Cette relation peu commune, ce face à face, avec la personne que j’ai décidé de photographier et la confiance qu’elle me témoigne en acceptant de se prêter au jeu. Je suis toujours surpris de la bienveillance des personnes dans ce cadre relationnel. Quelqu’un qui pose un regard sur vous, un regard avec un appareil photographique, et qui vous dirige est une expérience tout à fait atypique. Je suis toujours étonné et reconnaissant de ce que peut me donner le modèle.
L’idée en portrait est d’essayer de retrouver, à travers le filtre de la photographie, quelque chose que j’ai pu percevoir dans la réalité de ce personnage-là. En général je ne sais pas ce que c’est, mais quelque chose chez la personne m’interpelle et une lueur s’allume en moi. C’est cette première impression que j’essaie de retrouver pendant la séance. Mais, dès que l’on vise quelqu’un avec un appareil photo, le ou la concerné.e modifie automatiquement son comportement et cette perception disparaît dès le début la séance. Tout le jeu est de retrouver cette qui a suscité ma curiosité.
Unidivers – « L’Équipage » en 2012, « Breizh food trip » en 2015, « Les Mois noirs » en 2017, et récemment, « Les Enchanteurs » (2020). Vous parcourez la Bretagne, partez à la rencontre de communautés humaines et explorez leurs terres singulières, parfois reculées afin de retranscrire ses traditions, son patrimoine, plus que son folklore.
Stéphane Lavoué – Le folklore a une dimension attractive, dont on se sert pour simplifier un discours. Cette réduction crée un appel d’air touristique que je refuse et que j’essaie de ne pas créer avec mes images, pour ne pas contribuer à cette caricature, ce qui a d’ailleurs été difficile aux débuts dans les Monts D’Arrée [série « Les Enchanteurs »]. Les habitants était plutôt hostiles à la présence d’un photographe, venu travailler sur les légendes et les répercussions sur la vie dans ces territoires. Ils sont lassés qu’on vienne leur parler de l’Ankou et n’ont pas envie de devenir comme Brocéliande qui voit débarquer des cars remplis de touristes à la recherche du Roi Arthur (rires). Tout cet afflux finit par gommer l’authenticité, modifie en profondeur la structure du territoire et peut contribuer à une forme d’exclusion des habitants de ce territoire, notamment avec les prix qui augmentent.
Unidivers – À l’instar de cette série, comment se déroule votre approche justement ? De quelle manière votre projet est-il accueilli lors de votre arrivée sur les différents lieux ?
Stéphane Lavoué – Tout commence par un gros travail d’intégration. Il s’agit de communautés et de territoires bien définis, il faut donc trouver une porte d’entrée. Et souvent, cette entrée passe par une personne qui me donne sa confiance et qui a elle-même la confiance de la communauté.
Pour « Les Enchanteurs », un territoire assez fermé et très dispersé, ce n’est pas en se baladant dans les rues qu’on avance, et encore moins que les habitant.e.s acceptent de m’accueillir chez eux. Par l’intermédiaire d’ami.e.s dans les Monts d’Arrée, j’ai rencontré Marion Guen, une chanteuse et comédienne, habitante de Botmeur. Elle a compris mes envies avec son territoire et à accepter de m’en ouvrir les portes. On est partis rencontrer ses amis, ses connaissances jusqu’à réussir à recréer l’univers et ce que j’en perçois.
Je n’ai pas de volonté d’objectivité, j’essaie plutôt de réaliser une carte intime de ces territoires tel que j’ai pu les percevoir. Pour cette série, j’ai beaucoup lu La légende de la mort en Bretagne d’Anatole Le Braz (fin XIXe siècle), qui situe le territoire de l’Ankou dans les Monts d’Arrée, dans les tourbières. Je me suis inspiré de ce légendaire pour tenter de le retranscrire de manière contemporaine même si j’essaie d’éliminer tous les marqueurs de temps et d’époques autant que faire se peut.
Unidivers – Vos photographies semblent en effet issues d’un autre temps. Elles rappellent les clichés de la fin du XIXe siècle, tout en ayant un rendu proche de la peinture hyperréaliste dans le traitement des couleurs et de la lumière. Peut-on y voir vos inspirations ?
Stéphane Lavoué – Je suis très sensible à la lumière, notamment à la lumière du Nord et aux peintres flamands : des ombres assez peu marquées, des détails dans les noirs et des postures cérémoniales et posées avec un travail du corps, des mains et des attitudes. Dans mes photos, j’ai l’impression de mettre en charge les personnes, pour qu’ils puissent ensuite libérer cette charge en image.
Il y a une volonté claire d’échapper au réalisme de la photographie, en me détachant du photojournalisme, pour aller vers une photo plus picturale. J’ai fait mes classes photographiques pour les journaux et magazines, j’avais déjà l’impression de m’en détacher par le portrait qui donne légèrement plus de liberté que le reportage. Le portait nécessite de diriger la personne et donne la possibilité de créer sa propre image alors qu’en photojournalisme, on cherche à créer une image qui retranscrit une situation de manière objective. Le portrait apporte une forme de subjectivité intéressante.
Unidivers – L’expression des modèles passe principalement par leur regard et leurs yeux, tandis que leur visage reste neutre. Recherchez-vous particulièrement cette neutralité ?
Stéphane Lavoué – Cette forme de neutralité est un des points les plus intéressants. Elle est ce vers quoi je veux faire converger l’ensemble des images. Elle permet au spectateur d’y trouver son chemin. Induire une émotion avec un sourire ou encore une expression de mécontentement ou de colère est beaucoup plus facile, et surtout, elle donne un sens de lecture au spectateur. En essayant d’aller vers une certaine neutralité, on permet à chacun de s’approprier l’image et d’y trouver son propre chemin.
C’est ce vers quoi je veux aller, mais ce n’est pas une indication que je donne aux modèles. Je travaille surtout par la contrainte du corps, son positionnement et par les tensions de l’ornement. Cette mise en action du corps que je leur demande va générer une attitude sur le visage et une expression.
Unidivers – Le Musée de Bretagne vous a également donné carte blanche afin de présenter le travail d’un jeune photographe de la région. Votre choix s’est porté sur le travail de Valentin Figuier. Contrairement à votre pratique, la sienne traduit la performance, le mouvement. Pourquoi ce choix ?
Stéphane Lavoué – La série de Valentin Figuier est l’aboutissement d’une évolution intéressante. Il est partie d’une photographie très surf, mais il a lui-même commençait à buter contre les limites de cet exercice-là. Quand on n’est pas spécialiste du domaine, on a l’impression que les photographies s’accumulent et se ressemblent. Je l’ai accompagné dans le démarrage de cette nouvelle série. Je lui ai proposé de rentrer plus dans l’intimité d’Aurélien, de s’éloigner de la plage et de le suivre dans son quotidien, sur terre. Il le suit depuis maintenant quatre ans et la série correspond finalement à un portrait du Pays bigouden et de la jeunesse à travers les yeux d’Aurélien. J’ai trouvé qu’elle était un bon complément à ma série réalisée dans les terres et portrait de mon pays bigouden.
Stéphane Lavoué inaugure également l’exposition HENT au Port-musée de Douarnenez (du 1er juin au 31 octobre 2021). En 2019, la Ville de Douarnenez a proposé une résidence d’artiste sur la thématique du travail, « plutôt le travail manuel » au photographe. De cette escale est née la série « GAN(T) ». Une partie de son travail sur la Bretagne sera exposée à cette occasion.
Stéphane Lavoué – Western, exposition du 25 mai au 7 novembre 2021. Salle Anita Conti, les Champs libres.
Endless Pursuit, de Valentin Figuier. Galerie et terrasse du Café des Champs libres.
Musée de Bretagne – Les Champs Libres
10 cours des Alliés, 35000 Rennes
INFOS PRATIQUES :
Du mardi au vendredi de 12h à 19h (à partir de 13h durant les vacances scolaires) / Samedi et dimanche de 14h à 19h / Fermeture le lundi et les jours fériés.
TARIFS : Plein tarif : 4 € / Tarif réduit : 2 €
Accès libre : parcours permanent du Musée de Bretagne, escalier de la Bibliothèque, Galerie et terrasse du Café des Champs libres.
Tout achat d’un billet pour l’exposition Western, de Stéphane Lavoué, donne également accès à l’exposition Face au Mur, le graphisme engagé de 1970 à 1990, au Musée de Bretagne (présentée jusqu’au 3 octobre 2021)
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