Une exposition parisienne remarquable, accompagnée de son catalogue, montre et explique les œuvres des dernières semaines de Van Gogh à Auvers-sur-Oise, jusqu’au 4 février 2024 au Musée d’Orsay à Paris. Magnifique.
La porte d’entrée est identique : le bleu de cobalt, cette couleur lumineuse dont Vincent découvre les qualités uniques quand il arrive à Auvers-sur-Oise. Le bleu explose dans le premier tableau, L’église d’Auvers, de l’exposition exceptionnelle du musée d’Orsay qui regroupe une cinquantaine des 74 tableaux peints par Van Gogh au cours des 70 derniers jours de sa vie dans le bourg proche de Paris, dont il écrit : « réellement, c’est gravement beau, c’est de la pleine campagne caractéristique et pittoresque ». Bleu de cobalt c’est aussi la couleur dominante du tableau reproduit en couverture du catalogue de l’exposition, Champ de blé sous des nuages d’orage, dont on a longtemps pensé qu’il était un des derniers tableaux du peintre. Soixante-dix jours d’expérimentation qui prolongent le travail de Saint-Rémy-de-Provence, où le peintre connut des crises psychologiques profondes et fréquentes, soixante dix jours marqués aussi par une incroyable richesse de techniques, de formats et de sujets.
Bien entendu on reconnaît le trait ondulant qui transforme les arbres et les bâtiments en objets vivants, on retrouve les thématiques des œuvres du Sud de la France, travaux des champs ou paysages agricoles mais désormais les paysages se vident la plupart du temps de toute présence humaine, comme si le peintre voulait se détacher des contingences quotidiennes de la vie paysanne pour les remplacer par « la force libératrice et vivifiante de la nature » (Louis Van Tilborgh). La juxtaposition de ces œuvres ultimes révèle combien Van Gogh semble vouloir s’affranchir de toutes les contingences picturales de l’époque. Précurseur, le visage verdâtre de la fille du Docteur Gachet, Marguerite au piano, annonce vingt-cinq ans avant, les couleurs irréelles du visage de la Femme au chapeau de Matisse. Innovateur, il s’inspire de la nature qu’il peint sur le motif pour s’en affranchir, plaçant ici, un clocher invisible dans le Jardin de Daubigny, là retirant un arbre pour le remplacer par une énorme branche. Vincent, plus que jamais, multiplie les points de vue pour peindre des fermes, des portraits, des natures mortes, des ciels ou des paysages après les travaux agricoles.
S’il est des termes qu’il convient de bannir et de honnir à propos du peintre néerlandais ce sont bien les mots de « peintre maudit et fou ». La correspondance exceptionnelle de Vincent avec son frère Théo témoigne, mieux que toute exégèse ultérieure, des combats intérieurs que mène Vincent quant à son état psychologique mais aussi quant à ses ambitions picturales. La reconstitution minutieuse de la chronologie des tableaux expliquée dans le catalogue est à ce titre éclairante et témoigne car « dater et classer , c’est aussi interpréter ». Ainsi la dernière salle de l’exposition consacrée à ces formats panoramiques, ces « doubles-carrés » donne le tournis et symbolise la quête créatrice exceptionnelle des dernières semaines de Van Gogh. Treize tableaux (onze sont présents à l’exposition sur 12 œuvres connues) démontrent eux seuls, les recherches du peintre. Comment relier ces champs de blé menaçants mais vivants à cet énigmatique Sous bois avec deux personnages où deux silhouettes humaines, tels des spectres, hantent les fûts verticaux de peupliers ? Comment comparer une version du Jardin de Daubigny, explosant de couleurs et de lumière avec le dernier tableau, peint quelques heures avant son suicide, des Racines d’arbres, dont le chaos apparent pourrait symboliser de manière raccourcie l’état d’esprit de Vincent qui va bientôt se tirer une balle dans la région du cœur ? Vincent cherche, ose, expérimente comme jamais, il ne le fit de son Brabant natal à la lumière éblouissante du Sud de la France.
Le remarquable catalogue de l’exposition accompagne parfaitement la visite. Didactique, en suivant les cheminements quotidiens du peintre, tant dans ses balades que dans sa correspondance, il montre à la fois les troubles psychologiques de l’artiste et ses aspirations à être reconnu enfin comme peintre. On s’étonnera juste que « les premiers signes de reconnaissance de l’artiste » fassent très peu cas du rôle majeur de Johanna van Gogh-Bonger, épouse de Théo, qui n’a vu Vincent que très peu de temps mais qui va consacrer le reste de son existence à valoriser et à faire connaître les peintures, la correspondance, de son beau frère.
Les plus belles reproductions ne pourront cependant jamais égaler l’explosion de couleurs flamboyantes des œuvres originales ni révéler l’épaisseur des couches de peinture qui sculptent véritablement la toile, révélant le combat mené par Vincent, avec le support pour enfin atteindre la liberté.
On ressort de l’exposition ébloui par tant de clarté, de luminosité, de beauté. On termine la lecture du catalogue avec le sentiment d’avoir compris le cheminement final d’un homme malade mais génial, sans que les deux termes soient associés. Et on achève ce voyage à Auvers en se demandant comment est-il possible que tant de beauté picturale puisse côtoyer tant de détresse psychologique. Mystère insondable de la création artistique.