LA FÉLICITÉ DU LOUP, LA LITTÉRATURE AU SOMMET

Paolo Cognetti est le romancier de la montagne. Avec cette nouvelle histoire simple, mais terriblement humaine, il nous invite à chausser les crampons et à prendre le piolet. Pour aller au-delà de notre quotidien.

PAOLO COGNETTI

C’est une histoire simple, mais pas une simple histoire. C’est une histoire de quatre saisons dans un village alpin au dessus de Milan : Fontana Fredda. Cette petite station vit au rythme du temps qui passe. Il y est question d’amour : un homme de quarante ans, Fausto, écrivain qui a quitté sa femme et la ville, rencontre Silvia, vingt sept ans, artiste peintre. Il y est question d’amitié : Fausto fait la connaissance du taciturne Santorso, homme mûr passionné des coqs des neiges.

Montagne
Photo : Unsplash/Dino Reichmuth

Au milieu règne Babette, la patronne du restaurant de montagne à la recherche d’une nouvelle vie. C’est une histoire d’hommes et de femmes à des tournants de leurs existences, quêtant dans les sommets, l’isolement, la beauté de la nature, la direction à donner à leurs vies. En réalité, c’est une chronique d’un monde d’à côté, celui de la montagne et où le rythme du temps est donné par celui des mélèzes qui respirent au gré du jour et de la nuit. La vie à Montana Fredda est minimaliste et se réduit aux gestes quotidiens de la cuisine, de la vaisselle, du damage des pistes, de l’abattage des arbres.

Foret
Photo : Unsplash/Yann Allegre

Le style de Paolo Cognetti se colle à cette réalité en évitant les emphases ou les métaphores gratuites. Ces mots à leur tour sont simples, précis, directs et tendent par l’écoulement du temps qu’ils traduisent à la poésie pure. On coupe les pins avec une tronçonneuse pas avec un chant tyrolien. Le succès de Huit Montagnes (1) tenait dans la capacité de l’auteur à traduire son amour de la montagne, sujet essentiel de son précédent roman.

« Nul ne peut faire comprendre les sensations éprouvées là-haut à celui qui n’est pas sorti de chez lui » écrivait-il alors.

Tesson Munier Tibet
Photo : Munier et Tesson

Il prolonge ici ce désir de nous sortir de chez nous et de nous transmettre son amour des sommets avec une histoire moins structurée qui laisse la place à des chapitres conçus comme des images qui ne sont pas sans rappeler les textes de Sylvain Tesson, les photos de Vincent Munier ou les BD de Rochette.

loup
Photo : Unsplash / Andrew Ly

On observe le loup qui ose de plus en plus s’approcher du territoire des hommes, on partage le travail des bûcherons, on passe la nuit dans un refuge à plus de quatre mille mètres d’altitude. On respire la montagne, on la vit et on compare l’existence de ses habitants avec celle des millions de citadins. Pourtant pas de paradis dans les cimes, la mort peut y être présente, le danger est partout, dans le brouillard ou les éboulis de pierres et les personnages ne sont jamais des urbains qui trouvent le bonheur en altitude. Ce serait trop simple, trop manichéen, ce retour salvateur à la nature guérisseuse de tous les maux et peu conforme à la vraie vie.

Là réside le charme essentiel de ce texte : son absence d’angélisme et les difficultés décrites, de la glaciale solitude au nettoyage des toilettes d’un refuge, ne sont là que pour montrer la magnificence de la montagne, comme lorsque Silvia et Faust quittent le refuge tôt au petit matin pour aller vers le glacier Felik, d’où l’on peut tomber, mais trouver aussi la beauté. La reproduction du mont Fuji d’Hokusai qu’offre Silvia à Faust demeure en toile de fond du récit, un pivot terrestre qui traverse les siècles autour duquel s’affairent les petits êtres humains empêtrés dans leurs désirs contradictoires.

La Félicité du loup sort en exclusivité mondiale en France. Les amoureux et connaisseurs de la montagne retrouveront les mots de leur passion. Les autres y découvriront peut être l’occasion de sortir de chez eux. Pour respirer le très grand air et l’ivresse de la vraie vie. Là-haut quand la terre veut toucher le ciel.

La Félicité du loup de Paolo Cognetti. Éditions Stock. Collection La Cosmopolite. 214 pages. Parution le 1er septembre 2021. Traduit de l’italien par Anita Rochedy.

PAOLO COGNETTI

(1) Prix Médicis Etranger 2017.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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