FEMEN ou la nudité des arguments

Avec la dernière action des activistes féministes de FEMEN, la nudité est utilisée pour s’opposer à la religion comme à la morale civique, notamment aux conventions vestimentaires. Si les images choquent, les propos de ces activistes sont-ils écoutés et relayés ? Sont elles les créatrices d’un phénomène ou juste les jouets d’une société, notamment médiatique ?

FEMEN est un groupe activiste qui naît en Ukraine en 2008 en plein marasme politique dans ce pays ballotté entre conservatisme et ultralibéralisme. Messages en faveur de la démocratie et la liberté de la presse, leur action s’inscrit souvent autour des thèmes du droit des femmes, de la protection de l’environnement ou de la corruption. Mais ce qui a fait parler de ce groupe en Occident est sa méthode : se montrer seins nus et le buste peinturluré de messages. Dans un pays machiste, leur attitude choque, mais attire aussi les caméras et photographes – ce qui donne une tribune à leurs messages. Autre paradoxe : elles s’attachent à rappeler qu’elles sont propriétaires de leur corps tout en épousant une vision du corps qui parait à certains une exposition avilissante.

En pratique, leur démarche se rapproche du streaking, c’est-à-dire le fait de s’afficher totalement nu dans un lieu ou dans une manifestation publique pour faire passer un message ou uniquement par défi. Son origine est généralement attribuée aux campus américains où la pratique est particulièrement populaire dans les années 70 avant de trouver un avatar dans les rencontres sportives. Plutôt pratiqué par des hommes, le streaking était perçu aussi comme une réaction contre le féminisme tout autant qu’un symbole de la révolution sexuelle. La nudité représente l’interdit face à une société conservatrice et face à la dictature de la mode. Être nu, c’est être tous égaux.

Depuis lors, quasiment aucune année ne passe sans que des manifestations réclament un droit à la nudité. Pourtant, il s’agit souvent ici plus d’une généralisation du naturisme ou du nudisme. La nudité reste taboue et, de ce fait, constitue un argument vendeur. Elle est utilisée pour vendre des produits corporels, pour attirer l’œil du consommateur : par voyeurisme, pour la beauté du corps, mais aussi pour des singularités comme une femme enceinte ou une personne éloignée des canons de beauté actuels. Dans l’art, la nudité est aussi paradoxale puisqu’historiquement réservée à des scènes historiques avant de s’émanciper aux scènes du quotidien. La nudité choque toujours lorsque le photographe Spencer Tunick réunit des centaines de volontaires nus dans des lieux inattendus. On parle de Tunnick, du lieu…mais que reste-t-il de la photo ?

Les FEMEN semblent s’inscrire dans cette démarche de l’utilisation d’un tabou comme provocation pour accéder à la notoriété. Si Tunick n’a pas de concurrent dans sa manière de photographier, l’utilisation de la nudité pour un message activiste n’est pas une nouveauté. PETA et d’autres associations ont utilisé le message « Plutôt nu qu’en Fourrure » dès les années 90. Il s’agit d’une démarche marketing qui consiste à choquer pour vendre, à la manière de ce que faisait Oliviero Toscani avec Benetton dans les années 80. Le danger est de conférer une image négative au produit ou de faire oublier le produit/discours.

femenDans le cas des FEMEN, la multiplicité et la diversité de leurs actions n’autorise pas une bonne lisibilité du message. Les médias en viennent plus à parler du groupe que de la raison de leur action. Un peu comme l’entarteur belge Noël Godin qui a fini par lasser en rapprochant trop ses interventions. Avec les actions contre la « ManifPourTous » et celles contre le machisme de l’Église catholique romaine, le message n’apparaît plus clairement. Résultat : les FEMEN semblent plus attendus par les médias dans une perspective de dresser une image racoleuse plaisant au mâle macho en rut – celui qu’elles dénoncent justement – que pour lancer ou nourrir un débat.
Se pose toutefois la question de l’efficacité d’un autre type de « Happening » dans le même lieu. Est-ce que le déploiement d’une banderole en plein cœur de Notre-Dame aurait eu le même effet ? Aujourd’hui, les médias parlent plus volontiers de la profanation d’un lieu religieux ou de la nudité que du message en lui même, lequel, il est vrai, se réduit parfois à de l’anticléricalisme primaire. Les FEMEN doivent-elles passer à autre chose ?
D’autres choisissent l’action violente pour se faire entendre. Les actions provocatrices du Bloc-Identitaire ont fait parler d’elles, plus par la nature du groupe que par leur revendication. Là encore, il s’agirait plus d’un coup de pub que d’une action de fonds visant à résoudre un problème. Rien à voir, non plus avec une action comme le blocage du chantier de Notre-Dame-des-Landes, le fauchage volontaire de cultures OGM ou la libération d’animaux dans des laboratoires qui, bien qu’illégales, bloquent l’avancée de ce qui est considéré comme une injustice par ces groupes tout en donnant un accès aux médias.

C’est aussi à nous, consommateurs de médias, de nous interroger sur ce qui nous attire. Sexe, violence, nudité, voyeurisme… Voilà ce qui fait marcher les rotatives et les audiences. Récemment, dans la manifestation contre la fourrure, les photographes et médias ont été captivés par le happening montrant des « humains-animaux » esclaves et ensanglantés tandis qu’ils ignoraient les vraies images des animaux torturés. Il serait temps de permettre une réflexion autour de ces propres dérives sans aucunement sombrer dans la censure.

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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