Rennes. Festival Autres mesures, un tempo contemporain du 7 janvier au 11 février 2024

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Nainy Diabate Eve-Risser
Nainy Diabate et Eve-Risser (c) www.28mmphoto.net

Laissez-vous vibrer par d’Autres Mesures à Rennes du 7 janvier au 11 février 2024 ! Chaque hiver depuis 2015, le festival s’invite dans les principaux lieux d’exposition rennais pour faire entendre – lors de concerts aux formats originaux, audacieux et libres d’accès, – la musique contemporaine dans toute sa pluralité d’expressions. Entretien avec Jiess Nicolet, co-programmateur artistique avec Melaine Dalibert.

La capitale bretonne battra la mesure contemporaine en ce début d’année 2024. Le festival fondé par Melaine Dalibert en 2015, rejoint par Jiess Nicolet en 2019, revient pour une neuvième édition. La musique contemporaine est apparue à la fin de la Seconde Guerre mondiale et regroupe toutes les musiques qui ont émergé ensuite, quand bien même elle puise son renouveau dans les formes et expérimentations nouvelles qui ont débuté au début du XXe siècle. Parfois perçue comme production élitiste, elle peut pour autant prendre une multitude de formes, jazz ou traditionnelles, écrites ou improvisées, acoustiques ou électroniques. Le festival Autres Mesures souhaite sortir de ces préjugés réducteurs et propose une plongée dans les musiques contemporaines au sens large par le biais de projets de différentes natures. Rencontre avec Jiess Nicolet.

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Les codirecteurs du festival Autres Mesures, Jiess Nicolet et Melaine Dalibert

Unidivers – Le festival Autres Mesures en est déjà à sa neuvième année. Comment l’idée d’un festival dédié aux musiques contemporaines est-elle née dans le paysage rennais ? 

Jiess Nicolet – J’ai rejoint Melaine [Dalibert] il y a cinq ans. La plupart des membres de l’association font partie du monde des musiques écrites et tous ont une culture issue plutôt du conservatoire. Ils se sont rendu compte de l’absence d’un événement consacré aux répertoires et aux musiciens qu’ils connaissaient. L’idée première, qui reste un fil conducteur dans le festival, est de proposer ces musiques spécifiques dans des lieux d’exposition, d’où le “in situ” qui agrémente le titre. Nous travaillons avec ces derniers afin de construire des propositions artistiques les plus en synergie avec leurs expos et leur timing.

Unidivers – À l’image de la danse ou de l’art contemporain, la discipline possède son lot de préjugés, principalement qu’elle ne s’adresse pas à tous les publics. De quelle manière travaillez-vous l’accessibilité du festival à destination du plus grand nombre ? Et quels dispositifs avez-vous élaborés afin de pallier ces idées reçues ?

Jiess Nicolet – Selon moi, il existe un paradigme ancré qui consiste à dire que les musiques contemporaines, commz tout ce qui est contemporain, nécessitent des clés de lecture et une certaine forme de culture alors que c’est faux. Il est tout à fait possible de s’émouvoir devant une peinture contemporaine sans en connaître les codes. C’est un peu la même chose pour la musique. L’émotion est possible sans clés d’interprétation.

Pour le festival, nous avons mis en place une politique de gratuité pour une grande partie de l’événement afin d’encourager tous les publics à venir. Et comme nous sommes dans des lieux d’exposition, le spectateur n’est pas obligé de rester jusqu’à la fin. Il peut entrer, voir la pièce et si, pour x raisons, elle ne lui plaît pas, il peut partir. Bon, cela étant, avec le succès grandissant du festival, c’est plus difficile parce que la jauge est souvent atteinte… mais ça reste le principe.

Investir des salles de concert – comme l’Antipode et l’Opéra de Rennes –, donc avoir une billetterie classique et un format assis, a ouvert d’autres réflexions. On se demande comment présenter des programmes qui puissent être tout public et qui ne nécessitent pas de posséder justement ces fameuses clés de lecture. Le travail que l’on fait avec l’Opéra de Rennes, les cartes blanches d’Olivier Mellano, s’inscrit exactement dans ce sujet. Il y aura une distribution de chanteurs et chanteuses assez connu(e)s, comme Bertrand Belin et Rosemary Standley de Moriarty, dont le public est très différent, plus chanson pop. Jouer ce répertoire est particulièrement intéressant pour nous, car ces artistes se nourrissent de musiques contemporaines pour produire des compositions qui parlent à tous.

Les musiques d’écoute reposent quant à elles davantage sur un ressenti personnel, des sons parfois plus difficiles à écouter. Mais quand on regarde les playlists de Spotify, on se rend compte de la diversité des musiques que les gens, même peu initiés à une musique sophistiquée, écoutent.

« Il existe des entrées dans le répertoire contemporain plus faciles que ce que l’on croit. Beaucoup de musiques de variété ou de pop se nourrissent de la musique contemporaine. »

Unidivers – Les musiques électroniques découlent de la musique contemporaine puisque cette dernière a été inventée pendant le siècle de l’ordinateur et du synthétiseur…

Jiess Nicolet – Les musiques électroniques sont nées de l’évolution d’un instrumentarium [Ensemble des instruments utilisés pour une œuvre, NDLR.]. Il y a eu beaucoup de recherches scientifiques. L’inventeur du clavier Moog, Robert Moog, était par exemple un chercheur électricien. De la même manière, l’artiste rennais Bertuf présentera durant le festival le synthétiseur Buchla, qui porte le nom de son fondateur, au son très particulier. Cette approche permet d’avoir une entrée par l’instrument. En France, le GRM (Groupement de Recherche Musicale) et l’INA (Institut national de l’audiovisuel) ont produit bon nombre de chercheurs musicaux, voire des scientifiques. Jean-Michel Jarre, pour le plus connu d’entre eux, est sorti du GRM, comme Pierre Henri et Pierre Schaeffer. 

Unidivers – Dans les années 80, les synthétiseurs et les boîtes à rythmes électroniques ont été une évolution et un usage différent des machines. Ces mêmes machines peuvent être utilisées pour la pop, la musique de recherche, le hip-hop ou la techno. Quelles artistes à la ligne électronique présenteront un instrument original cette année ? 

Jiess Nicolet – Bertuf présentera un travail de recherche. Avec l’Edulab à l’Hôtel Pasteur, l’idée est de montrer la manière dont un projet se construit. Il sera là pour expliquer son instrument, son dispositif et le faire éventuellement manipuler à d’autres. Christine Ott s’est fait une spécialité autour des Ondes Martenot, un instrument aux allures de piano traficoté dont le jeu de texture ressemble à la voix humaine. Elle jouera de manière immersive dans l’exposition de La Criée [Centre d’art contemporain, NDLR.]. Sarah Davachi est également originale car elle joue de l’orgue, un orgue positif. Elle interprète ses propres compositions, de longs drones qui désignent une note tenue et répétée très longtemps, jusqu’à 20 ou 30 minutes parfois. L’objectif est une recherche de transe, de réflexion, d’ambiance immersive. Une musique entêtante, visuelle, mais que chacun intériorise. 

Unidivers – Deux cartes blanches ont été données : l’une à Olivier Mellano et l’autre à Jean Normand, professeur de saxophone au Conservatoire du Blosne, partenaire historique du festival.

Jiess Nicolet – Les deux projets sont différents. Olivier Mellano est un guitariste-compositeur qui a longtemps vécu à Rennes. Quand il a démarché le festival et l’Opéra de Rennes, on s’est dit que c’était le bon moment de présenter deux répertoires différents avec le même principe : dix chansons distribuées chaque soir à différents chanteurs et chanteuses.

Le premier soir est consacré au répertoire de Moondog, un compositeur américain d’après-guerre qui vivait dans la rue et avait la particularité de s’habiller en Viking. Il a d’ailleurs joué aux Transmusicales en 1988, un concert qui a fait scandale à l’époque. Pour la petite histoire, il n’a pas pu terminer son concert, parce que les musiciens ont arrêté de jouer, car ils réclamaient d’être payés plus. Le deuxième soir est dédié à Gabriel Fauré qui a été actif à la fin du XIXe et début XXe siècle [la proposition sera jouée par l’ensemble BAUM composé d’Olivier Mellano (guitare, direction musicale), Simon Dalmais (piano), Anne Gouverneur (violon) et Maëva Le Berre (violoncelle), NDLR.]. On s’éloigne de notre champ, mais on trouvait pertinent de présenter ce projet, il y a un lien évident : Fauré a été titulaire de l’orgue de la Basilique St Sauveur de Rennes en 1865 et on célébrera le centenaire de sa mort en 2024.

Quant à la deuxième proposition, le professeur de saxophone nous a contactés, car il cherchait un moyen de diffuser une œuvre qu’il voulait faire. Le duo Percepts – Saxophones-percussions, c’est l’approche de l’instrument saxophone sous plein de formats, il joue des répertoires de jazz contemporain de manière un peu théâtralisée. Il y aura un worshop avec les élèves dans la journée, puis le spectacle le soir. 

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Ensemble Baum (c) Richard Dumas

Unidivers – Le Conservatoire du Blosne accueille aussi la création de la neuvième édition du festival : Ensemble 0. Pourquoi ce choix ? 

Jiess Nicolet – On suit l’Ensemble 0 depuis longtemps. Il vient du Sud-Ouest et s’interroge beaucoup sur la mobilité des musiques contemporaines : comment les rendre accessibles et pourquoi ne sont-elles jouées que dans des opéras et des scènes nationales ? L’année dernière, l’Ensemble O a imaginé une contrainte qui nous a conquis : faire une tournée 0 carbone à vélo. L’équipe dormait chez des personnes et n’utilisait pas d’électricité sur place pour les concerts. Elle ne pouvait pas vraiment documenter, car elle ne voulait pas utiliser leur portable ; toutes les photos viennent de personnes extérieures. Au-delà de ça, il joue un répertoire qui nous plaît beaucoup. 

Pour Autres Mesures, on leur a demandé de jouer des pièces très peu jouées, dont une grande partie vient de compositrices. Ça nous tient à cœur de mettre en avant les musiciennes. Une pièce sera en outre écrite par Melaine. C’est un grand fan de musique algorithmique, des compositions faites à partir de formats mathématiques.

Quant à Peter Broderick, il est américain et vit en Irlande. Il a notamment fait partie d’un groupe assez connu, orienté pop, Efterklang. Début 2000, il a sorti un album sur Erased tapes, un label de référence dans ce qu’on appelle la musique néoclassique, sortie ces dernières années. Nils Frahm, artiste connu en musique contemporaine, quasi ambient, en est un peu le leader. Beaucoup de bandes-son Netflix sont par issues de ce label. On rêvait un peu d’avoir Peter pour ce format-là. Il jouera un solo de piano en ouverture de soirée.

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Ensemble 0 (c) Jean-Jacques Ader

Unidivers – Vous dites que mettre en avant les compositrices vous importe particulièrement. Avez-vous constaté une évolution quant à leur visibilité sur la scène des musiques contemporaines ?

Jiess Nicolet – L’association n’est composée que d’hommes ; donc intégrer des équipes plus féminines est un sujet en interne. Et nous sommes dans une dynamique #Metoo depuis quelques années, ce serait dommage que le secteur culturel ne soit pas le premier à s’investir. Ces musiciennes existent, il faut juste aller les chercher.

Cette année, nous invitons de nouveau Guillaume Kosmincki pour une conférence. Ce format permet de redonner un peu de matière à un public qui aurait envie de se renseigner davantage. Guillaume était venu à l’occasion de la sortie de son livre, Les Compositrices, l’histoire oubliée de la musique (voir aussi notre article). Il a fait tout un travail universitaire en partant du début de la musique jusqu’à nos jours. Il en a sorti un nombre incalculable de musiciennes oubliées, effacées de l’histoire ou pas nommées sur des pièces écrites par elles. Il remet tout cette histoire à plat dans un livre épatant. 

On essaie aussi d’avoir un équilibre hommes et femmes dans le répertoire joué comme dans la représentation des artistes qui viennent pendant le festival. L’objectif étant qu’un garçon et une fille plantés devant un musicien ou une musicienne se comportent différemment. De quoi faire naître des vocations…

Emmanuelle Parrenin
Emmanuelle Parrenin (c) Frederic d’Oberland

Unidivers – Des idées se dessinent-elles déjà pour la dixième édition ? 

Jiess Nicolet – On n’a pas encore la vision financière de notre projet d’ici à un an, mais on sait que les lieux partenaires nous suivent. Ça fait un an et demi qu’on travaille aussi à tisser des liens dans le territoire breton, car il y a de la musique contemporaine en Bretagne, elle n’est juste pas aussi visible que dans une grande ville comme Rennes. Ce n’est qu’une ébauche encore, mais on aimerait peut-être montrer les artistes en résidence de créations dans d’autres endroits de Bretagne.

« C’est satisfaisant de voir que les salles sont pleines, qu’il y a une vraie réception. La satisfaction, c’est quand on arrive à faire rencontre une musique, un artiste, avec un public. »

Unidivers – Précisément, avez-vous l’ambition d’élargir géographiquement le festival ?

Jiess Nicolet – J’ai tendance à dire qu’on travaille avec notre environnement. Beaucoup de personnes vivent en périphérie ou en métropole aujourd’hui, il n’est pas inintéressant de proposer des projets en bas de chez eux. Cette année, c’est ce qu’on a tenté avec une date, Les Souffles à Chartres de Bretagne, dans le cadre de notre partenariat avec le festival Waterproof. C’est la première fois qu’on réalise ce genre d’excursion. 

Si on fait venir un artiste d’un peu loin l’année prochaine, on aimerait peut-être lui proposer d’autres dates que celle de Rennes. Mais ça demande un gros travail en amont et nous ne sommes que deux à travailler bénévolement sur le projet à l’année. On est en structuration pour ouvrir un poste à temps plein ou mi-temps, mais nous n’en avons pas encore les finances. Nous sommes installés dans l’imaginaire collectif, mais pas encore économiquement. 

Le festival est à dimension humaine et le restera, nous voulons conserver l’enthousiasme autour de l’événement. On essaie de faire en sorte que les spectateurs assistent à un concert cool et qu’ils en sortent un peu changés. Ça leur donnera peut-être envie de voir autre chose, et les musiques qu’ils écoutent, ils les écouteront peut-être un peu différemment.

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Programmation du Festival Autres mesures 2024


 

dimanche 7 janvier 2024 — 17:00
Musée des Beaux-Arts, 20 Quai Émile Zola, Rennes
 

mardi 9 janvier 2024 — 20:00
Opéra de Rennes, place de la Mairie, Rennes
 

mercredi 10 janvier 2024 — 20:00
Opéra de Rennes, place de la Mairie, Rennes
 

mercredi 17 janvier 2024 — 12:30
Les Champs Libres, 10 cour des Alliés, Rennes
 

mercredi 17 janvier 2024 — 18:30
Institut franco-américain, 7 Quai Chateaubriand, Rennes
 

mardi 23 janvier 2024 — 20:00
(saxophones – percussions)
Conservatoire de Rennes – Site du Blosne (Auditorium Cesaria Evora), place Jean Normand, Rennes
 

jeudi 25 janvier 2024 — 20:00
Conservatoire de Rennes – Site du Blosne (Auditorium Cesaria Evora), place Jean Normand, Rennes
 

dimanche 28 janvier 2024 — 18:00
Antipode, 75 avenue Jules Maniez, Rennes
 

mercredi 31 janvier 2024 — 18:30
édulab Pasteur, 2 place Pasteur, Rennes
 

jeudi 1 février 2024 — 13:00
Université Rennes 2 / Bibliothèque Universitaire, place Recteur Henri le Moal, Rennes
 

jeudi 1 février 2024 — 19:00
Chapelle du Conservatoire, 26 rue Hoche, Rennes
 

jeudi 1 février 2024 — 21:00
Chapelle du Conservatoire, 26 rue Hoche, Rennes
 

vendredi 2 février 2024 — 20:00
Les Ateliers du Vent, 59 rue Alexandre Duval, Rennes
 

vendredi 9 février 2024 — 18:30
La Criée centre d’art contemporain, place Honoré Commeurec, Rennes
 

samedi 10 février 2024 — 17:00
Centre culturel Pôle Sud, 1 La Conterie, Chartres-de-Bretagne
 

dimanche 11 février 2024 — 17:00
Frac Bretagne, 19 avenue André Mussat, Rennes

PLUS D’INFO ici

Festival Autres mesures 9e édition du 7 janvier au 11 février 2024

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