Avec 36 artistes contemporains d’origine internationale, la 8e édition du Festival Oodaaq promet de nouvelles images nomades et poétiques. Du 16 au 27 mai 2018 à Rennes et du 30 mai au 10 juin à Saint-Malo, l’association rennaise l’Oeil Oodaaq poursuit sa réflexion sur les images qui nous entourent. Au programme : projections vidéo, performances, installations et concerts dans l’espace public. Rencontre avec Simon Guiochet, artiste vidéaste, directeur et programmateur.
Unidivers : Pour cette huitième édition, l’appel à projets a une nouvelle fois remporté un franc succès. Vous avez reçu pas moins de 450 candidatures à l’échelle internationale. Comment procédez-vous à la sélection ?
Simon Guiochet : Le principe du festival est fondé sur cet appel à projets. On fonctionne avec un réseau international qui permet d’agrandir l’événement. Nous faisons chaque année des partenariats avec plusieurs festivals dans le monde : Madrid, Lisbonne, Coimbra, Milan et Montréal. Certaines structures sont également distributrices et nous envoient une dizaine d’œuvres pré-sélectionnées. Parallèlement, nous proposons depuis quelques années des cartes blanches, au festival Setu cette année par exemple, événement dédié aux performances artistiques.
Toute l’année, nous poursuivons des activités en collaboration avec des festivals de cinéma, mais le festival constitue un vrai moment d’ouverture sur les images. Pour la sélection, nous constituons un jury, un panel de personnes qui viennent d’horizons différents. Nous étions sept cette année. Tout un travail de tri est réalisé sans thématique, si ce n’est notre ligne artistique : faire en sorte que le public comprenne assez facilement ce qui n’est pas forcément facile à exprimer. L’histoire autour de l’île d’Oodaaq reflète aussi notre identité. Je trouve intéressant de penser une ligne artistique qui est une philosophie, ce que transpire l’association. Nous recevons beaucoup de projets très expérimentaux, lesquelles peuvent être qualifiées de poésies visuelles, avec du texte, de l’image, etc. C’est comme une rêverie où l’on plongerait…
https://vimeo.com/266078394
Unidivers : C’est pourquoi vous employez le terme « d’images nomades et poétiques » pour définir le festival Oodaaq ?
Simon Guiochet : Les premières années, c’était un festival d’art-contemporain. Mais ce terme nous restreignait bien qu’il conférât une certain légitimité, car le public savait de quoi on parlait. Après, il y a eu l’idée d’en faire un festival d’art vidéo, ce qui était intéressant. Ce nouveau terme nous plaçait au croisement de plusieurs champs : l’art contemporain, la vidéo, le cinéma.
Dans les projections et débats que j’anime afin de présenter les images expérimentales dans divers milieux hors monde de l’art, j’aime opérer des parallèles avec la poésie et la littérature. On jouit d’une liberté extrême en poésie. On ne craint pas de s’éloigner des normes habituelles de syntaxes, de grammaire et de parcourir le mémo-son, la sonorité, etc. C’est un peu pareil pour l’art vidéo : on essaie de définir l’art vidéo comme telle ou telle chose, mais ça peut être énormément de choses au final. En ce sens, c’est parfois intéressant de parler de poésie car les gens comprennent déjà – naturellement mais vaguement – de quoi il retourne. Les images sont aussi un langage : narratif, un peu déconstruit et lié aux émotions.
Unidivers : A l’apparition de l’art vidéo dans les années 60/70, les artistes utilisaient ce médium pour critiquer la société de l’époque. Les œuvres étaient autant plastiques que politiques. Retrouve-t-on ces problématiques dans la programmation de cette année ?
Simon Guiochet : Les programmations tournent à chaque fois autour de deux axes : une branche plastique et une autre liée à l’actualité mais avec un discours différent que celui des années 60-70. Nous avons une programmation très forte cette année qui parle de guerre, de migrants, et de propagande. Mais ce n’est pas d’une manière frontale, c’est évoqué.
L’artiste chinois Hu Di parle de migration et des migrants. Ceux sont des plans au fil d’un parcours où on ne voit pas énormément de choses, mais toutes les images suggèrent et font réfléchir aux autres images que l’on voit d’habitude sur le sujet et la manière dont elles sont manipulées. Il est plus question d’images mentales que d’images à regarder. C’est poser les choses plus que simplement dire « ce n’est pas bien « . C’est plus une critique détournée de la manipulation des images.
U. : À l’heure où les médias, les nouvelles technologies et la notion d’image évoluent à une vitesse ahurissante, avez-vous remarqué un changement dans l’organisation du festival ?
Simon Guiochet : Notre recherche ne touche pas forcément les nouvelles technologies, elle est plus sociale. Depuis le début, l’association mène une réflexion sur les images qui nous entoure aujourd’hui, sur notre rapport aux images et la multiplication des écrans – dans les boulangeries, les bars et autres. C’est différent des nouvelles technologies. C’est un travail qui tourne autour de comment voir les œuvres, quel degré d’attention elles demandent et quelle posture nous pourrions adopter. Des œuvres sont à voir couchés dans un transat, à moitié endormi face à un grand format avec du son, d’autres peuvent fonctionner en vitrine d’un magasin, quelques secondes suffisent pour être touché.
Dernièrement, je pense que les gens commencent à prendre du recul face à l’explosion des écrans. C’est réfléchir à cette surabondance d’écrans et se demander quel rapport on a envie d’avoir avec ces outils-là. Ce n’est pas parce que c’est nouveau qu’il faut subir. On trouve des écrans dans de nombreux lieux, mais le contenu se fait souvent par dépit. À Berlin, un groupement d’avocats monte un projet pour interdire les panneaux publicitaires dans la ville, ce qui est déjà le cas à Grenoble. Depuis plusieurs années, les panneaux publicitaires sont interdits dans le centre-ville.
A Rennes, Lendroit Édition a remporté l’appel à projets pour le budget participatif. Il proposait de présenter des œuvres sur des écrans et pas seulement de la publicité. Dans le cadre du festival, un écran géant va être installé devant la médiathèque à Saint-Malo. Durant la semaine, une publicité précisera que de 18 h à 19 h 30 de l’art vidéo sera diffusé sur cet écran.
U. : Comment a évolué le festival en huit ans ? Quelles nouveautés pour l’édition 2018 ?
Simon Guiochet : Les trois premières années, le festival se déroulait exclusivement à Rennes. Ensuite, nous sommes passés au format trois semaines/trois villes. La huitième édition est une nouvelle formule car il est question de dix jours à Rennes dont quatre jours de temps forts puis dix jours à Saint-Malo dont quatre jours de temps forts. Cette année est un peu exceptionnelle, car les deux expositions à Saint-Malo sont une carte blanche mais les programmations vidéos, les salons, les œuvres seront les mêmes à Rennes et Saint-Malo.
La défense des droits des artistes, le droit de diffusions et la rémunération sont des problématiques importantes dans l’association donc l’idée était de faire voyager le festival. Avec nos petits moyens, on rémunère tous les artistes. Quand on a commencé à sécréter sur trois villes, l’idée était de faire tourner les œuvres pour augmenter ce droit de diffusion.
Après avoir passé une année à créer une programmation, pourquoi ne pas faire comme le spectacle vivant et la présenter dans plusieurs villes ? Être nomade, changer de lieux et mélanger les publics avec le même contenu, les réactions sont très différentes. On tente d’échapper aux étiquettes tout en étant identifié, en investissant l’espace public avec un tournoi de pétanque par exemple. Une projection à côté de la gare Sud est également organisée vendredi 18 mai, en partenariat avec une association. Des bâtiments ont été démolis et d’autres seront construits d’ici 3 ou 4 ans, pour l’instant, ce n’est qu’un espace en friche. Un projet de jardin partagé va être monté avec une inauguration en juin mais une soirée de projection a lieu dans le cadre du festival. C’est super d’être les premiers à le faire.
La tournée de vernissages commence à l’Office du Tourisme, continue à l’espace vidéo de l’école LISAA et, se termine par un pique-nique et projection au milieu des herbes hautes. C’est là que se trouvera prochainement l’Arvor donc le territoire veut continuer à faire des projections en plein air d’ici six mois à un an. C’est difficile de présenter une vidéo artistique dans cette surabondance d’images. Il faut trouver comment présenter les œuvres et comment emmener les publics dans un ailleurs. Le fait d’investir un lieu qu’ils ne connaissaient pas ou qui n’existera plus par la suite, c’est déjà les transporter dans un endroit exceptionnel.
U. : Qu’en est-il des partenaires justement ? Retournez-vous dans les mêmes lieux chaque année ou investissez-vous de nouveaux espaces ?
Simon Guiochet : Les lieux changent presque toutes les années même si certains reviennent. C’est la huitième année à Rennes donc on essaie de se renouveler. Si les mêmes lieux revenaient tous les ans, le festival n’aurait pas le même intérêt. Ça permet de tourner un peu, rencontrer de nouvelles personnes, avoir de nouvelles idées… grâce à ça, on a découvert de nouveaux lieux, comme le Lieu, deux petites galerie derrière le Colombier. L’inauguration du mercredi 16 mai se fera là-bas avec une très belle installation de l’artiste français Tanguy Clerc. Il a filmé les mouvements de machines industrielles dans une imprimerie et a fabriqué plusieurs petites sculptures avec des machines à coudre, platines à vinyles et ventilateurs. Avec un système de programmation, le son des machines crée la bande son, comme un orchestre de machines. Une vidéo du sculpteur norvégien Jan Hakon Erichsen est aussi prévue en vitrine. C’est toute une série de performances. Il crée des sculptures avec des objets du quotidien pour en faire des machines de musculation et se met ensuite en scène à l’intérieur. C’est un peu le monde de l’absurde qui fait réfléchir à ces objets qui le gêne dans ses actions. Pour cette exposition, il est question de sculpture, de vidéo, et des rapports entre l’homme, la sculpture et l’image entre une sculpture et l’image d’une sculpture.
Dans ce même lieu, une carte blanche a été donnée au festival Setu (Association Gratuit, Clément Vinette et Valentine Sibon). En plus de l’inauguration, une soirée est organisée à l’arrière de la galerie. C’est une ancienne salle de bal ré-agencée en ateliers de graphistes.
U. : Vous êtes vous-même artiste, quel est votre avis sur cette place de l’image dans la société ?
Simon Guiochet : Ma pratique est plus dans cette affectation dont on a parlé toute à l’heure, celle de pas être dans les nouvelles technologies. C’est vraiment se poser la question de ce qu’est l’image et comment interagir avec elle. J’ai exploré la télévision cathodique ces dernières années, avec des sculptures où des télévisions étaient suspendues. Depuis deux ans, ma pratique se développe autour de la mécanique de l’image et l’invention de l’image en mouvement. J’ai fait pas mal de recherches sur le XIXe siècle aussi, sur la persistance rétinienne, sur l’image en mouvement et comment elle se fabrique, des familles de jouets optiques découverts jusqu’à ma pratique, qui est en ce moment sur la pellicule 16 mm.
Je fais aussi parti d’un collectif à Rennes, le Labo K, dont fait d’ailleurs parti l’artiste rennais Emmanuel Piton. C’est à la base un labo photo et de développement de films 16 mm et Super 8. C’est quelque chose qui est de plus en plus recherché, un gros laboratoire à Rennes existe. On a fait pas mal de fois une performance, notamment pendant Travelling, à l’Étage au Liberté. Il y a sept projecteurs de 16 mm, des projecteurs diapo et on réalise un peu Vjing, comme un DJ set mais avec des images.
Pendant plusieurs années, j’ai également travaillé sur les limites de la perception, le moment où l’image devient en mouvement mais ne l’est pas encore. J’essaie de créer des liens entre le numérique, le mécanique et l’analogique. Plus on comprend la manière dont est fabriquée une image, plus il est possible de faire une critique de comment se font les trucages, même les premiers trucages avec l’histoire du cinéma. L’image est un vrai tour de magie. L’outil change mais c’est les mêmes techniques d’incrustation au final.
U. : C’est vraiment l’Histoire de la vidéo, de l’image et les techniques qui semblent vous intéresser. Un intérêt qui se reflète dans le festival.
Simon Guiochet : Ce qui me plaît c’est faire des liens avec l’histoire. J’aime les œuvres qui mélangent les techniques, comme avec la pellicule. Chaque technique a ses spécificités et c’est le côté positif. C’est bien de réfléchir au support, aux écrans et aux sortes d’images. La deuxième exposition à Rennes, La chute des images à la Maison des associations, est une exposition avec deux projections, une télé cathodique et un écran plat. Pour la projection sur l’écran plat, il est nécessaire d’avoir un écran plat et une très belle image. Celle sur écran cathodique sont des images d’archives au format 4/3 et sont faites pour ce type d’écran. Ce serait absurde de présenter ça sur un écran plat. Hu Di a travaillé sur une soixantaine de films de propagande de révolution culturelle chinoise. Ceux sont des images hyper kitsch qui montrent comment étaient fabriquées ces vidéos de propagande. Avec le montage, on voit que c’est la même construction avec les mêmes symboles. Le fait de le déconstruire pour le reconstruire différemment fait apparaître les ficelles de fabrication. Ceux sont des images issues de cette télévision cathodique donc ça n’aurait pas fonctionner avec un écran plat. Il y aurait eu deux bandes noires vu que le format n’est pas adapté. Le grain de l’image n’est pas le même aussi, plus chaud. Le vernissage de cette exposition est jeudi 17 mai, à 18 h 30.