Si le photo-journalisme a son rendez-vous incontournable avec Visa pour l’image à Perpignan, rien n’empêche les gens de l’Ouest d’avoir aussi un moment de découverte du monde dans sa complexité. C’est le pari de ce festival lancé par Alexandre Solacolu et Franck Vogel il y a trois ans. Présentation du Festival Photoreporter en Baie de Saint-Brieuc 2014.
Belle tête de Breton, surement têtu, Alexandre Solacolu a eu cette idée folle de créer un festival qui paye les photographes en amont de la production ! À l’heure où même la presse se désengage, on est impressionné. Au départ, certes, il a eu la caution de Didier Rapaud, directeur de la photo à Paris-Match. Le nouveau directeur artistique, Marc Prüst, apporte aussi sa légitimité : le « consultant en photographie » néerlandais vivant à Paris collabore avec les plus grandes institutions (World Press Photo, Agence VU’, Prix Pictet, Noorderlicht) et prépare des expositions dans le monde entier.
Comment fait Alexandre Solacolu pour trouver des financements ? Ancien juriste, il a longtemps travaillé comme promoteur d’événements dans le monde de la voile. Il sait donc s’adresser aux décideurs économiques et politiques. Pas étonnant qu’il ait trouvé une oreille bienveillante chez Bruno Joncour. Le maire de Saint-Brieuc se réjouit de « démontrer la capacité (de sa ville) à fédérer autour d’un projet novateur et porteur d’image pour le territoire au niveau national et international ». À en juger par le nombre de logos d’entreprises sur les affiches, on constate que Solacolu a su trouver aussi les arguments auprès des mécènes privés.
Du coup toute l’agglo vit au rythme de la manifestation dont le cœur bat à la Maison du Festival. Ce bel et vaste espace lumineux accueille le « Voyage improbable » de Laurent Boudjelal dans la banlieue parisienne, les « Sept Frontières » des Balkans de Nicole Segers, « Le Brahmapoutre, la guerre des barrages entre l’Inde et la Chine » de Franck Vogel. Au port du Légué, le Carré Rosengart présente le très intéressant travail de Peter DiCampo, photographe américain, qui pose la question « Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? » à propos de l’aide humanitaire – d’autant plus pertinemment qu’il est lui-même cofondateur de Everyday Africa. Autre sujet africain, mais traité sur le mode guerrier et de façon presque « Liberté guidant le peuple » par Delacroix, Patrick Robert fait poser l’armée tchadienne au Mali. Passage par l’Amérique du Sud : James Witlow Delano porte à notre connaissance le triste sort des Indiens d’Amazonie équatorienne, victimes impuissantes des sociétés pétrolières. Passionné par le sujet de l’eau, Philippe Chancel emmène vers le Jourdain, entre lac de Tibériade et mer morte, où 60 0000 Palestiniens vivent – « pour combien de temps encore ? ».
Invitée d’honneur, la Chine a envoyé Yongming Guo nous montrer un mariage chinois tout au long de la journée ; un diaporama présente les travaux de douze autres photographes pré-sélectionnés sur la thématique « les Chinois montrent la Chine aux Bretons ». Pour le côté « local », la photographe Sonia Naudy dont on avait aimé le reportage sur les femmes en prison en Afghanistan, ouvre les portes de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Visiblement les visiteurs briochins apprécient de pouvoir « entrer » derrière ces murs marquants de leur paysage quotidien.
Le festival aborde aussi la question des algues, sous l’angle traditions, économie et recherche : ce travail du photographe hollandais Émile Luider, immortalisant goémoniers, pêcheurs et scientifiques, de Lanildut à Pleubian, est présenté en extérieur et en intérieur à la Maison de la Baie à Hillion.
Cette troisième édition présente son premier « off ». Parmi les diverses expositions jalonnant les lieux publics et privés de l’agglomération, on retient le beau travail d’Isabelle Vaillant (au jardin d’hiver de la mairie). La photographe costarmoricaine a emmené dans les bois des enfants de trois instituts médico-éducatifs du pays de Saint-Brieuc. Dans « cet univers idéal pour imaginer des fables (…), les branches d’un saule pleureur sont des ailes, les ombres deviennent une maison, un contre-jour un monde suspendu »… et les enfants des elfes !
Bretagne Magazine s’est associé au festival en lançant son premier concours de la photo de Bretagne. « Plus de 3300 images ont été envoyées. Les lauréats sont aussi publiés dans le n° 80 (en kiosque depuis le 16 octobre 2014 » indique Tanguy Monnat le rédacteur en chef d’un magazine qui n’est pas « un média sous vide qui se fournit dans les grandes surfaces de la photographie en images libres de droit. Bretagne Magazine aime les produits frais. C’est la condition pour montrer une Bretagne vivante, une Bretagne d’aujourd’hui. C’est aussi le fruit d’une relation forte entre un magazine et des photographes qui vivent et travaillent au pays, comme l’on disait dans les années 1970 ».
Les pratiques changent, mais la passion reste intacte. Ce festival nous le rappelle.
La sélection officielle 2014 :
- Bruno Boudjelal – France
- Philippe Chancel – France
- James Whitlow Delano – USA
- Peter DiCampo – USA
- Nicole Segers – Pays-Bas
- Yongming Guo – Chine
- Sonia Naudy – France
- Franck Vogel – France
- Patrick Robert – France
- Emile Luider – Pays Bas