La Fille de Brest, le film d’Emmanuelle Bercot, qui relate la guerre d’Irène Frachon, pneumologue à Brest, contre le Laboratoire Servier et son Mediator, fait une sortie en fanfare. Terrible et drôle à la fois, ce film réjouit parce que le pot de terre gagne contre le pot de fer. Une histoire qui fait du bien.
Mediator, un médicament prescrit pendant 30 ans, détourné de son rôle originel comme coupe-faim. Il continuerait peut-être à tuer si une « fille de Brest » (manière méprisante de désigner la pneumologue de province par les « zélites » parisiennes) n’avait pas fait le lien entre les maladies déclenchées par ses patients et ce médicament.
Le Gall, Le Bihan, Kermarec, Jobic… pas de doute, les noms des protagonistes confirment qu’on est bien en Bretagne ! Irène Frachon, elle, est issue d’une famille protestante charentaise et revendique son admiration pour le docteur Albert Schweitzer. Une femme pour qui les termes déontologie et indépendance ont un grand sens. Elle n’a pas mené son combat seul, mais avec une équipe qui non seulement l’a soutenue, mais n’a pas compté ses heures pour monter un dossier en béton.
Une des rares libertés qu’a prise Emmanuelle Bercot dans son scénario est la brouille entre la pneumologue et son précieux collègue Antoine Le Bihan (interprété avec justesse par Benoît Magimel). Par contre, son départ pour le Canada parce que ce crack a vraiment perdu ses crédits de recherche est authentique – et laisse perplexe sur les rouages de la recherche en France… L’étude épidémiologique menée par cette équipe de choc a abouti au retrait du médicament en 2009, mais l’affaire n’est arrivée à la connaissance du public qu’un an après lorsque la Caisse Nationale d’Assurance Maladie révèle le nombre de morts.
Que s’est-il passé entre-temps ? La sortie du livre d’Irène Frachon Médiator 150 mg, avec le sous-titre Combien de morts ? C’est sur ce point que les avocats de Servier ont attaqué en référé avec la mention « accusatoire grave, inexacte et dénigrante ». Le courageux éditeur Brestois (Charles Kermarec, interprété par un placide Gustave Kervern) a failli lui aussi y laisser beaucoup de plumes si des média comme France Inter, Prescrire (revue médicale indépendante de l’industrie, dont « la lecture devrait être obligatoire pour tous les médecins ») et Le Figaro n’avaient relayé le combat des donneurs d’alerte.
Le scénario d’Emmanuelle Bercot choisit la mise en avant d’Anne Jouan, impayable enquêtrice du grand quotidien pour incarner tous ces journalistes d’investigation qui honorent la profession. Après Elle s’en va (son film tourné en 2013), la réalisatrice peut décidément garder La Tête haute (son film sorti en 2015). Au fait, pourquoi La Fille de Brest ? « Je soutiens la cause, mais ce n’était pas suffisant. Je l’ai fait pour la personnalité d’Irène Frachon, tellement romanesque, tellement atypique ». Et pourquoi cette drôle d’idée d’attribuer le rôle à l’actrice danoise Sidse Babett Knudsen ? C’est Catherine Deneuve qui lui a suggéré de faire appel à la première ministre de la série Borgen, césar du meilleur second rôle dans L’Hermine (face à Fabrice Luchini). Le hasard fait qu’Irène Frachon – qui n’a pas la télé chez elle – connaissait la série et était fan de l’actrice !
Après un premier visionnage du film, La Fille de Brest a avoué « qu’il n’y a pas une scène où elle ne s’est pas reconnue ». La fille du Nord, elle, est arrivée « totalement vierge dans cette histoire qu’elle ne connaissait pas ». Le mimétisme a joué au point que sur la photo de l’affiche, l’actrice ressemble étrangement à Irène. Autre similitude – d’ailleurs, le prénom de l’héroïne en est quasiment l’anagramme -, on pense à Erin Brockovich. « C’est vrai » reconnaît la cinéaste, elles ont en commun d’être des femmes ordinaires, confrontées à une histoire extraordinaire et qui deviennent des machines de guerre ».
Bon sang ne saurait mentir. Dans la famille Frachon, l’engagement ne date pas du Mediator : Raoul Allier, un de ses arrière-grands-pères fut un dreyfusard notable. Un de ses grands-pères, l’amiral Hubert Meyer a été chargé de négocier la reddition de la poche de Rochefort-La Rochelle avec les Allemands au cours de la Seconde Guerre mondiale. L’autre grand-père Jacques Allier travaillait au cabinet du ministre Raoul Dautry en 1940. Le sens de l’honneur, on l’a. Chevillé au corps. Côté Bercot, on apprend qu’elle est fille d’un chirurgien cardiaque et qu’elle adorait, jeune ado « assister aux interventions en salle d’op’ » ! Ah, la voilà la raison pour laquelle elle nous livre des scènes d’autopsie ou d’opération à cœur ouvert plus vraies que nature. Ces scènes d’un réalisme cru (tournées au CHU de Brest) étaient-elles nécessaires ? Les deux filles répondent « oui ». Pour que le spectateur comprenne les dégâts causés sur l’organisme par le Mediator. D’accord, mais nous qui n’avons pas fait médecine ni traîné dans les salles d’op’, notre regard n’a pas la compétence pour en juger !
La Fille de Brest, un film de Emmanuelle Bercot avec Sidse Babett Knudsen, Benoît Magimel, Charlotte Laemmel, 2h08, France, novembre 2016
Réalisation : Emmanuelle Bercot
Scénario : Séverine Bosschem et Emmanuelle Bercot
Photographie : Guillaume Schiffman
Société de distribution : Haut et court
Pays d’origine : France
Genre : Drame
Date de sortie : France – 23 novembre 2016
Distribution:
Sidse Babett Knudsen : Irène Frachon
Benoît Magimel : Antoine Le Bihan
Charlotte Laemmel : Patoche
Lara Neumann : Anne Jouan
Isabelle de Hertogh : Corinne Zacharria
Philippe Uchan : Aubert
Patrick Ligardes : Bruno Frachon
Gustave Kervern : Kermarec
Olivier Pasquier : Arsène Weber
Pour en savoir plus :
Irène Frachon (postface Rony Brauman), Mediator 150 mg : Combien de morts ?, Brest, éd. Dialogues, coll. « Ouvertures », 3 juin 2010, 148 p.