12 jours – dans un hôpital psychiatrique – voilà le nouveau film documentaire de Raymond Depardon. Créateur de l’agence Gamma, ce qui pourrait suffire à remplir un CV, Raymond Depardon rejoint Magnum en 78, couvre les zones de conflit au Tchad, Vietnam, Biafra. Il offre le visage d’une sorte de risque-tout, grand correspondant de guerre, arrivé en peu de temps au plus haut niveau de l’aristocratie journalistique. Pourtant, Raymond Depardon est encore plus que cela. Une heure de conversation, à l’invitation du cinéma Arvor de Rennes, nous a plongés dans l’intime, l’interne et les chemins de traverse de ce grand cinéaste et de son implacable film 12 jours.
Raymond Depardon est un homme né de la terre. Il a gardé des paysans qui ont peuplé son enfance une distance, une sorte de pondération qui l’éloigne des excès et de la passion. C’est sans doute pour cela que son regard – quand il s’appesantit sur les hommes et les événements – est plus perçant et traverse impitoyablement la surface des choses pour scruter l’essentiel. Raymond Depardon est le premier à le reconnaître : son enfance privilégiée et exempte de traumatismes n’explique en rien sa préoccupation d’adulte pour l’enfermement, la contrainte, autrement dit la privation de liberté. Dans son œuvre, les manifestations les plus prégnantes de cette préoccupation se retrouvent dans l’observation du milieu carcéral, de la justice et du plus énigmatique milieu de la psychiatrie.
C’est précisément le thème de son dernier opus intitulé 12 jours. Pendant une heure et vingt-sept minutes, Raymond Depardon nous invite à une déambulation silencieuse et oppressante dans les cours et les couloirs d’un hôpital psychiatrique lyonnais. Plus encore, il nous entraîne à la rencontre de patients hospitalisés sous contrainte et des juges des libertés et de la détention, venus vérifier le bien-fondé d’un enfermement qui ne dit pas vraiment son nom. Que vient faire un juge dans cette histoire ? N’est-ce pas uniquement une décision médicale qui devrait prévaloir ? C’est justement toute la question.
La réponse que le film 12 jours convoque tient dans un texte de loi de 2013 qui rend obligatoire, après douze journées de rétention, cette visite. Elle peut déboucher, suivant la volonté du magistrat, sur la remise en liberté des personnes internées ou sur leur maintien en soins. À l’inverse de personnes incarcérées, les hospitalisés sous contrainte conservent tous leurs droits civiques.
À l’instar du juge, le spectateur de 12 jours est confronté à la troublante réalité des personnes interrogées et devra se forger une opinion. À aucun moment Raymond Depardon ne vous tient la main; aucune voix off ne vient polluer votre réflexion. C’est en cela que certains moments pourront paraître difficiles. Pris entre la compassion (une jeune mère veut sortir pour élever sa fille) et la crainte de voir des personnes dont la santé mentale est évidemment atteinte se promener librement dans les rues, nous subissons les mêmes affres que les juges. Comme eux, dans la majorité des cas présentés, il sera confortable de se réfugier derrière la décision médicale.
Quelle est donc l’intention de Depardon derrière ces 12 jours ? Dénoncer une institution très ancienne et des pratiques d’un autre temps, démontrer l’inutilité de ce texte de loi puisque les juges, avec une prudence que l’on comprend, se rangent à l’avis des médecins ? Veut-il nous culpabiliser en nous obligeant à voir ce qui est commodément caché derrière de hauts murs ? Rien n’est moins avéré. Nous sommes seulement priés d’ouvrir nos yeux sur des vérités inconfortables. Il n’y a aucun jugement de valeur, mais plutôt une invitation à la réflexion.
La captation d’images dans le film 12 jours se fait à trois caméras, ce qui rend transparent et fluide un montage digne de tous les éloges. L’alternance des champs et contre champs emprunte le rythme normal d’une conversation entre deux personnes et confère au film une respiration tout à fait naturelle qui contribue à maintenir notre attention sans relâche.
Les personnes dont les spectateurs suivent l’interrogatoire sont présentées de manière anonyme ; c’est un peu illusoire, puisqu’elles sont face caméra, mais respecte le cadre de la loi. Ils déploient un véritable panel d’affections psychiatriques diverses et variées. C’est un peu effrayant, car souvent, au début de la relation, ils semblent souffrir de dérangements légers qu’un traitement approprié pourrait contenir (comme il est confortable de le penser), mais, dès que l’entretien se prolonge, le masque tombe et certains propos relèvent de l’incohérence et font état de la fragilité des patients.
Ce n’est pas la première fois que Raymond Depardon et son ingénieure du son d’épouse Claudine Nougaret s’intéressent à ce milieu si particulier. Le recueil photographique « Manicomio » – la folie recluse, mot qui signifie asile de fous – explore sans voyeurisme ni complaisance, au travers de 218 photographies l’univers de l’aliénation. En 1980, il tournera dans un établissement de même type situé sur l’île de San Clemente, à Venise, laissant la caméra suivre sans intention particulière la déambulation de personnages erratiques dont l’intention n’apparaît à aucun moment.
En ne nous contraignant pas, Raymond Depardon nous laisse libres de juger des événements dont il se fait le rapporteur. À cette fin, comme dans sa manière de photographier, le cinéma de Depardon ne rechigne pas à filmer les « temps morts ». Son regard se met à l’écoute des temps morts afin d’en révéler les chemins de vérités de traverse.
Film 12 jours Raymond Depardon et Claudine Nougaret, Coproduction Palmeraie et Désert, sortie 29 novembre 2017, durée 87 minutes.
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Depuis la loi du 27 septembre 2013, les patients hospitalisés sans consentement dans les hôpitaux psychiatriques doivent être présentés à un juge des libertés et de la détention avant 12 jours puis tous les six mois si nécessaire. C’est à titre exceptionnel que ce film a été autorisé. Pour protéger l’anonymat des personnes, les noms et les lieux ont été modifiés.
Réalisation et Image Raymond DEPARDON
Production et son Claudine NOUGARET
Montage Simon JACQUET
Musique Originale Alexandre DESPLAT
Dirigée par SOLREY
Prise de son Yolande DECARSIN
Sophie CHIABAUT
Mixage son Emmanuel CROSET
Caméra 2 Simon Roche
Régisseur Sylvian RAVEL
Étalonnage Karim EL KATARI
Conseillère psychiatrie Natalie GILOUX
Conseillère justice Marion PRIMEVERT
En association avec Wild Bunch et Palatine Etoile 14
Avec la participation de OCS, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et du CNC,
France Télévisions
Avec le soutien de La Région Île-de-France
Une coproduction Palmeraie et désert – France 2 cinéma –
Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma