Cinéma, L’effet aquatique de Solveig Anspach

L’effet aquatique de Solveig Anspach ou un clin d’œil posthume et complice par une grande réalisatrice. Mordant !

4 étoiles : recommandé

Solveig Anspach, disparue l’année passée, ne saura pas à quel point nous avons aimé ce drôle de film, dernier épisode d’une trilogie intime et un peu loufoque avec les films « Back soon », et « Queen of Montreuil ». Il aurait été agréable de lui dire bravo et merci du fond du cœur.

Solveig Anspach

L’effet aquatique réunit ces deux impressions contradictoires dans l’esprit du spectateur : être une histoire à peu près invraisemblable et passer comme une lettre à la poste. Le décor, plutôt banal, se situe en partie à la piscine municipale Maurice Thorez de Montreuil. Samir, grutier quadragénaire et un brin déjanté, s’éprend d’Agathe, maître(sse)-nageur un peu paumée, pas toujours gracieuse et, pourtant, attachante. Nageur de bon niveau, Samir n’hésite pas à se faire passer pour débutant, dans le but d’approcher Agathe. Ce mensonge inaugural entraînera les protagonistes de cette farce jusqu’à un congrès de maîtres-nageurs en Islande, où Samir se fera passer pour le délégué israélien. Il propose, à l’approbation de tous, un projet de construction de piscine commun avec les Palestiniens auquel il donne le nom de « Together ». Dire que L’effet aquatique est déroutant relève sans doute, après une telle présentation, d’un raisonnable euphémisme.

Pourtant, les événements s’ancrent facilement dans ce qu’on peut appeler une certaine banalité et leur déroulement relève d’une logique acceptable, du moins en apparence. Solveig Anspach nous roule un peu dans la farine, et c’est délicieux. L’effet aquatique fourmille d’épisodes comiques. Si les deux rôles-titre tenus par Florence Loiret-Caille (Agathe) et Samir Guesmi (Samir) nous divertissent par leur drôlerie involontaire, ils sont remarquablement soutenus par Philippe Rebot, en responsable libidineux et tatillon, et par Didda Jonsdottir, conseillère municipale islandaise, efficace et sans concession (son côté « rentre-dedans » est des plus réjouissant). Cette remarque vaut pour des rôles secondaires hilarants tant les personnages font figure d’extra-terrestres. Solveig Anspach met en scène des gens modestes, avec leurs passions et leurs ridicules, mais avec le regard tendre et bienveillant d’une mère ou d’une amie.

Solveig Anspach

L’effet aquatique est également une tentative de relier les deux cultures dont Solveig Anspach est issue. Née d’une mère islandaise et d’un père américain, c’est en France qu’elle a trouvé sa patrie cinématographique. Les titres phares de sa production sont d’ailleurs sans équivoque : « Lulu femme nue », « haut les cœurs », « Queen of Montreuil ». Elle a également produit des documentaires consacrés à ses îles d’origine : « Les îles Vestmannaeyjar » ou « Reykjavík, des Elfes dans la ville ». Elle balance de temps en temps des petites piques plutôt divertissantes, clouant au pilori un certain manque d’hygiène des Français. Un épisode du film qui se déroule une piscine islandaise fait montre d’une cruauté grinçante et vérifiable !

Au demeurant, ce qu’il est impossible d’occulter reste l’omniprésence de la femme, élément central de la réflexion de Solveig Anspach. De toute évidence, elle les aime militantes, entreprenantes, courageuses, mais sans besoin d’affronter l’homme pour s’affirmer. Elles démontrent leurs qualités simplement à travers tout ce qu’elles accomplissent.

Solveig Anspach

La sensualité des corps habite également L’effet aquatique. Ils évoluent avec grâce et sont, grâce à l’eau, libérés d’une certaine pesanteur. Cela dit, ils ne sont pas obligatoirement corps esthétiques et plastiques ; au contraire, certains passages nous les montrent décharnés, adipeux, déformés par la vie, aucunement érotiques mais profondément authentiques.

C’est sans doute de la part de Solveig Anspach une façon d’exorciser la déchéance progressive de son propre corps, épuisé par une récidive de cancer et que cette cruelle maladie emporta le 7 août 2015 à l’âge de 54 ans, laissant le cinéma français orphelin d’une réalisatrice sensible et atypique, maniant l’humour et le second degré avec une redoutable habileté.

Reconnue dans le septième art, Solveig Anspach a été nommée 19 fois à des prix. Elle a été couronnée pour l’effet aquatique en recevant le prix SACD de la quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Il n’est jamais trop tard…

Film L’Effet aquatique, Sólveig Anspach, France-Islande, 2016, 83 minutes



Titre français : L’Effet aquatique
Réalisation : Sólveig Anspach
Scénario : Sólveig Anspach et Jean-Luc Gaget
Photographie : Isabelle Razavet
Durée : 83 minutes
Date de sortie :
France : 18 mai 2016 (Festival de Cannes) ; 29 juin 2016 (sortie nationale)
Distribution
Samir Guesmi : Samir
Florence Loiret-Caille : Agathe
Philippe Rebbot : Reboute
Stéphane Soo Mongo : Youssef
Ingvar E. Sigurðsson : Siggi
Didda Jónsdóttir : Anna
Estéban : Daniel
Olivia Côte : Corinne
Frosti Runólfsson : Frosti

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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