Le Dernier continent et Notre-Dame-des-Landes sont bien des réalités. Or, la fiction française a bien du mal à trouver des sujets originaux. Entre comédies ridicules qui cartonnent au box office ou courants réalistes vulgaires qui se veulent d’une grande force théorique, la cinématographie tricolore ne deviendrait-elle pas vide de sens ? Ne proposerait-elle pas aucune réflexion profonde sur la condition humaine ? De proposition formelle réellement stimulante ? Heureusement, même s’il demeure un peu méconnu, le documentaire arrive constamment à tirer son épingle du jeu. Et ce Dernier continent ne déroge pas à la règle.
Avant Le Dernier continent en 2015, l’année 2014 avait été conquise par une Ligne de partage des eaux de Dominique Marchais. Ce documentaire proposait, grâce à l’enchevêtrement d’une multitude de thématiques, un éventail réflexif salvateur.
Sorti le 7 janvier 2015, Les Règles du jeu réalisé par Claudine Bories et Patrice Chagnard, malgré un dispositif cinématographique d’une apparente simplicité, avait su provoquer un petit miracle d’empathie et d’égalité.
Mieux encore, le 28 janvier 2015, Antoine Boutet, avec l’extraordinaire Sud Eau Nord Déplacer, avait véritablement lancé l’année sur de formidables chapeaux de roux. Politiquement courageux et formellement brillant, ce documentaire avait su asseoir une véritable vision du monde auréolée de réflexions et d’expérimentations sans cesse stimulantes. Ces métrages ne sont que des exemples pris parmi tant d’autres mais prouvent que le genre n’est pas moribond. Sans doute mérite-il une couverture plus importante, une mise en avant explicite, une défense acharnée. Toujours est-il, et c’est un fait, que le cinéma hexagonal est régulièrement sauvé par le projet documentaire. L’année 2015 ne pouvait donc se terminer sur une touche médiocre. Heureusement, Le Dernier continent trouve une place définitive dans le paysage cinématographique français de l’année.
Pourtant, l’ancrage du projet est éminemment casse-gueule. Notre Dame Des Landes, Zone A Défendre, manifestations réprimées, police, anti-capitalisme, passage du gouvernement en force… La liste des thématiques, mouvements, actions est tellement prolifique et sujette aux passions qu’elle pourrait trouver sa place lors d’un mauvais reportage télévisuel à vocation ouvertement et gratuitement polémique. Heureusement, Vincent Lapize, s’il est un cinéaste, est avant tout investi.
Anthropologue de formation, diplômé d’un Master de réalisation documentaire, membre de l’équipe du festival poitevin Filmer Le travail, il sait qu’un bon film est un film respectueux de son sujet. Et le premier élément qui surgit du Dernier continent, c’est justement cette question de respect. S’appuyant sur le principe, élémentaire dans la proposition documentaire, de l’entretien, le réalisateur va laisser ses intervenants prendre une parole engageant une réelle liberté de ton. Pas de clichés de gentils hippies naïfs luttant contre la vile société capitaliste, pas de clichés d’infantilisation de ces hommes et femmes faisant une vulgaire crise basée sur une colère adolescente, pas de clichés de profiteurs d’un système prospère qui donnerait des minima sociaux à des fainéants. C’est, évidemment, l’inverse qui se produit. Réalisé sur une période deux ans, Le Dernier continent se propose surtout d’appréhender ce mouvement ZADiste comme une construction humaine à la noble complexité. Certes, la parole peut prendre de réels élans positivistes mais elle n’oublie jamais de proposer des questionnements divers et, derrière cette position, des doutes, des appréhensions, des angoisses. Si le matériau premier de cette richesse revient aux intervenants, passionnants, c’est surtout un geste de cinéma qui fait immédiatement sens. En effet, en ne prolongeant jamais la parole jusqu’à une conclusion finale à travers un geste admirable de coupe dans le plan, Vincent Lapize ose l’indicible ; par voie de conséquence, la prise de recul et la mise en perspective. Cet ancrage cinématographique d’une force évidente et primaire permet non seulement aux personnes interviewées de prolonger – ou pas – leurs idées entre eux et avec eux-mêmes (un hors champ temporel s’est créé) mais offre, surtout, à l’auditoire une place de choix. C’est, en effet, à ce dernier de conclure ces séries de cheminements réflexifs. Sans permettre à la réponse définitive de s’installer, cette démarche permet, non seulement, de rendre grâce à l’intelligence des personnes impliquées (autant « l’acteur » que le spectateur) mais également d’appréhender avec une humanité – le terme est important – nécessaire les problématique de la ZAD de Notre Dame Des Landes.
Cette dernière a su faire parler d’elle. Elle a même enfanté toute une série de prises de position autour de grands projets (Sivens et Chambaran, pour ne citer que deux exemples récents célèbres) qui ne trouvaient pas toujours grâce auprès des citoyens, quelque soit le bord politique, l’activité, la vision. Pourtant, et c’est une surprise, jamais Le Dernier continent ne va, à proprement parler, évoquer le cas Notre-Dame-des-landes. Tout juste a-t-on le droit à une série de cartons d’une simplicité confondante évoquant des dates et des actes importants. Les indications n’ont pas pour vocation d’entrer dans le vif d’un sujet complexe. Elles servent davantage à ancrer le métrage dans une logique de storytelling ; storytelling qui permet avant tout au spectateur, pris au cœur d’un conte moderne, de régler son pas sur celui du ZADiste. La volonté affichée par le cinéaste est claire : il faut dépasser le sujet originel pour s’engager dans la seule thématique qui vaille. L’humain, encore et toujours, ici et ailleurs, sans doute abandonné, pour ne pas dire massacré, sur un autel où sa condition ne vaudrait rien par rapport à des enjeux en apparence importants, au final dérisoires. Quoi de plus important, de fait, que de prendre en compte l’importance du geste dans la construction du documentaire ? Dans un champs, dans un atelier, dans une cuisine, dans une réunion, cette gestuelle n’est pas seulement importante pour une survie (s’abriter, s’alimenter, socialiser), c’est elle qui rythme un quotidien.
Le film va, alors, constamment mettre en avant le résultat de ces gestes lors d’images d’une belle précision et à l’échelle du plan d’ensemble adéquate qui ne manquent pas de donner une certaine poésie à l’ensemble. Ici, une cabane et une maison ; là, un champ ou une salle. Et, au-delà de l’action pure, c’est tout un investissement qu’il faut prendre en compte. Territorial (physique), premièrement ; social (mental), évidemment. Mais il ne faut pas s’y tromper. L’espace, s’il permet un ancrage, n’est pas le plus important. C’est avant tout l’aspiration à un monde meilleur fondé sur une concrétisation d’une société en marche plurielle, libertaire et non figée, qui emporte la donne. Et, au-delà du geste, primordial, c’est, encore une fois et agissant tel un leitmotiv, la parole qui va tirer son épingle du jeu. Cette marche en avant ne peut s’ignorer elle-même et elle en a conscience. Elle ne peut, également, ignorer l’Autre. Derrière cette ouverture, c’est une belle sensation de globalité qui, petit à petit, se met cinématographiquement en place. Alors, au-delà des paroles énoncées entre elles, ces personnes n’hésitent jamais à prendre contact avec l’habitant de la région, celui qui pourrait être le principal concerné par ce projet et, en premier lieu, l’agriculteur. En première ligne dans ce dossier autant sur la problématique de la perte de terres agricoles (diminution de son activité) que dans le principe de lutte pure pour un monde meilleur (importance des tracteurs dans la défense), le monde paysan entre, non seulement, autant dans un principe de probable disparition que dans une logique de futur des possibles.
Cette thématique agricole est donc la seule un tant soit peu extérieure, globale voire politique qui va être mise en avant dans Le Dernier continent. Exit la dimension géographique et ses nombreux corollaires. Jamais, en effet, le métrage ne va s’engager dans les considérations d’aménagement territorial à grande échelle (si ce n’est l’usage maladroit de plans de carte qui dérègle l’humain pour aller vers le scientifique). Pourtant, Notre Dame Des landes pose indéniablement de telles problématiques. Y’a-t-il besoin d’un nouvel aéroport dans le Grand Ouest français ? Des emplois peuvent-ils être créés ? Le commerce va-t-il être facilité ? Quid du tourisme ? Les questions sont nombreuses mais sont-elles finalement intéressantes ? L’économique doit-il primer sur l’humain ? La réponse est évidente : non. Finalement, chaque choix du cinéaste ne va aller que dans cette direction. Ce sont bien les hommes et les femmes qui font un monde, une richesse, un avenir. Et eux seuls. Et si des difficultés peuvent être rencontrées, l’idéal reste, définitivement, bien plus fort que le terre-à-terre.
Le Dernier continent, malgré quelques faiblesses, est un documentaire qui s’inscrit parfaitement dans une belle tradition cinématographique consciente du monde qui l’entoure. Et vient prouver que le cinéma, lorsqu’il est utilisé à bon escient, est une discipline nourricière de la réflexion.
https://vimeo.com/120172907
Le dernier continent Vincent Lapize, documentaire, 2015 75mns
Équipe:
Réalisation : Vincent Lapize
Montage : Marie Pomme Carteret
Musique originale : Pierre-Laurent Bertolino
Montage son et Mixage : Frédéric Hamelin
Étalonnage : Nicolas Vrignaut
Production : Gabrielle Gerll, Romain Lardot, Colette Quesson, Rébecca Sénéchal et Inès Lumeau
Distribution : A Perte de vue | info@apertedevuefilm.fr, 27 avenue Louis Barthou – 35000 Rennes
et RÉEL FACTORY en coproduction avec TV Rennes 35 Bretagne, Tébéo et Tébésud et Télénantes.
Avec le soutien du CNC, de la Procirep-Angoa, de la Région Poitou-Charentes, du Département de la Vienne et de la Région Bretagne.