Le Film les derniers Parisiens est le premier long métrage de Hamé Bourokba et Ekoué Labitey, membres du groupe de rap La rumeur. « Les derniers Parisiens », c’est une façon de se revendiquer comme étant « les » véritables Parisiens, malgré des noms aux sonorités issues de l’immigration. De fait, une certaine idée de Paris se meurt ou survit parfois dans l’imagination émoustillée de touristes étrangers un peu naïfs. Pigalle, quartier canaille par excellence, là où les rabatteurs, les prostituées, les demi-sel frayaient dans une ambiance digne de pépé le moko. Pigalle s’embourgeoise et voit ses peep-shows devenir des bars à tapas ; ses bars à tabourets, des restaurants véganes pour yuppies encravatés… La fin d’un monde ?!…
Étant donné que les deux réalisateurs du film Les derniers Parisiens sont issus du groupe de rap La rumeur – un ensemble peu consensuel auteur de textes d’une radicalité sans faux semblants – on aurait pu s’attendre à une omniprésence de la violence. Pas du tout. Les auteurs réalisateurs, Hamé Bourokba et Ekoué Labitey, signent un film emprunt d’une mélancolie certaine, dont la poésie – sous des aspects un peu rugueux – est loin d’être absente. Un rythme calme est au service d’une caméra à la temporalité adaptée à l’observation des personnages. Grâce leur soit rendue de refuser de tomber dans le piège des lieux communs.
Dans le film les derniers Parisiens, Reda Kateb en Nasser et Slimane Dazi en Arezki sont à eux deux les éléments les plus positifs. Convaincants et incroyablement sincères, ils incarnent deux personnages complémentaires, un peu cabossés, insoumis, et sans grandes illusions…malgré une étincelle d’espoir. Incarnation de la lutte du pot de fer contre le pot de terre, ils assistent à l’écrasement de leur espace par le rouleau compresseur du fric omnipotent.
L’intrigue est simple. « Nas », c’est-à-dire Nasser, vient d’aligner 24 mois de zonzon, ce qui lui assure quasiment un statut d’homme auprès de ses copains, comme si cela était une initiation indispensable… N’ayant pas vraiment de lieu où se poser il atterrit chez son frère, Arezki, qui tient un bistrot à Pigalle, Le Prestige », où il gère un quotidien sans enthousiasme. Nas essaie de rebondir. Pas évident lorsqu’on a l’esprit rétif à toute forme d’autorité… accompagné d’une réaction épidermique à la pauvreté et à ses manifestations lisibles… Donc, pas d’ hésitation : il convient de se lancer dans le sacro-saint « business ». Il n’est pas certain que les anciens amis soient les meilleurs conseillers pour éviter de replonger, mais faute de grive….
Tout est bien mené dans Les derniers Parisiens. Cependant, cette fresque d’une étrange société, sur fond de musique rythmée et agréable, ne sonne pas toujours juste. Si la violence banale a été écartée, reste que les réalisateurs s’emploient à passer pour sympathiques des gens qui le sont peu, quelles que soient les raisons susceptibles d’expliquer leur malhonnêteté et leur vision peu réjouissante des rapports humains. Le spectateur ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise.
La relation qui lie les deux frères relève de la même incompréhension : tantôt neutre, tantôt tendue, il faudra une épreuve pour que surgisse une certaine noblesse. Enfin, on s’extrait de la fange pour retourner à un peu de lumière. C’est l’occasion pour l’acteur français Slimane Dazi de faire évoluer son personnage de manière étonnante, et si Reda Kateb est vraiment remarquable, c’est vers Slimane Dazi que se tournent des regards pleins d’admiration. Il est plus-que parfait dans ce rôle de quinqua usé et désabusé, aspirant à un peu de soleil et à une vie qui n’aurait rien à voir avec l’agitation festive et délétère de Pigalle.
Quelques rôles secondaires méritent aussi d’être cités, celui de Mélanie Laurent, malgré quelques notes dissonantes, Constantine Attia, le videur, plus vrai que nature et déjà vu dans le même rôle dans « Ça va pas être possible », Willy L’barge, convaincant dans la peau d’un escroc Africain « Lucrèce ».
Il vous appartiendra de vous forger une opinion. Pour le reste, forts de cette première expérience, Hamé Bourokba et Ekoué Labitey devront un peu affiner leur langage cinématographique. Mais habités par une énergie bouillonnante, s’ils persistent dans cette voie, ils pourraient fort bien nous surprendre dans les années à venir. Des Parisiens à suivre.