Il est des tragédies silencieuses qui bouleversent plus que les cris. Maria Callas, la diva absolue, celle dont la voix envoûta le monde, connut un jour l’impensable : le silence. Ce jour-là, ce n’était pas seulement une note qui lui échappait, mais une partie de son âme qui s’envolait. Une dernière période de la vie de la cantatrice qu’ont tentée de capter Pablo Larraín et Angelina Jolie dans un film biopic.
C’était en 1965, à Paris. Callas, à 41 ans, montait sur scène pour incarner une fois encore Norma, ce rôle qui l’avait consacrée comme la plus grande soprano dramatique de son temps. Mais ce soir-là, l’instrument divin, cette voix si puissante et si nuancée, lui fit défaut. Le souffle court, l’aigu incertain, la projection éteinte. Dans le silence pesant de l’Opéra, un frisson parcourut l’auditoire. La Callas était faillible. La Callas était humaine.
Pour elle, ce fut un arrachement. Depuis des années, elle menait une lutte contre son propre corps, contre l’usure implacable de la technique et les sacrifices d’une vie entièrement dévouée à l’art. Le départ d’Onassis, son amour passionné mais destructeur, pesa aussi sur son cœur et sur sa voix. Dépouillée de son plus grand don, elle sombra peu à peu dans une solitude amère. Elle, la femme adulée, la diva inégale, devint une ombre d’elle-même.
Les dernières années de Maria Callas furent marquées par un chagrin insondable. Elle vécut recluse à Paris, loin des projecteurs, loin du tumulte des bravos. Chaque jour, elle revivait ce moment où sa voix l’avait abandonnée. Les murs de son appartement étaient les témoins silencieux de sa douleur. Elle s’isolait, se réfugiant dans ses souvenirs et les enregistrements de sa propre voix, comme si elle cherchait à retrouver ce qu’elle avait perdu.
La Callas ne se contentait pas de chanter, elle vivait ses rôles avec une intensité rare. Elle était Tosca, elle était Violetta, elle était Norma. Mais que restait-il d’elle lorsque la voix s’éteignait ? Le monde du lyrique, jadis prosterné à ses pieds, continuait d’avancer sans elle. Les nouvelles divas prenaient le relais, mais aucune ne portait la même tragédie dans son chant.
Son dernier espoir fut peut-être son retour sur scène en 1973, aux côtés de son vieil ami Giuseppe Di Stefano. Une tournée mondiale pour tenter de raviver l’étincelle. Mais le miracle n’eut pas lieu. La voix était trop fatiguée, la maîtrise fuyante. Chaque soir, elle luttait, tentait de masquer les failles, mais elle savait. Son destin était scellé.
Le 16 septembre 1977, c’est dans le silence qu’elle s’éteignit, laissant derrière elle un vide immense et un souvenir impérissable. Son cœur céda, comme si l’absence de musique l’avait consumée. Paris, cette ville qui l’avait vue tomber, fut aussi celle de son dernier souffle.
Mais peut-on vraiment dire que Maria Callas est morte ? Sa voix, figée dans les enregistrements, continue d’émouvoir, de transporter tant de mélomanes dans le monde. Même brisée, elle demeure éternelle. Dans chaque note de Casta Diva, dans chaque soupir de Violetta, elle résonne encore, offrant à l’humanité un fragment de son âme immortelle.
Le film « Maria » de Pablo Larraín : un biopic sophistiqué mais peu convaincant
En 2024, le réalisateur Pablo Larraín s’attaque à la légende Callas avec « Maria », un film attendu et ambitieux. Sorti le mercredi 5 février 2015 en France, « Maria » est le troisième volet de la trilogie de Pablo Larrain sur les icônes féminines du XXe siècle, après « Jackie » et « Spencer ». Ovationné à la Mostra de Venise, le film clive pourtant les spectateurs et nous a déçu : si le biopic brille par son esthétisme et l’interprétation bien habitée de son actrice principale, il peine à capturer l’essence même de la tragédie de Callas.
Larraín choisit de se concentrer sur les dernières années de la diva, celles marquées par la solitude et le doute. Pourtant, malgré une mise en scène sophistiquée, le film – et même, paradoxalement, Angelina Jolie qui à la fois incarne mais uniformise la profondeur et la complexité de la souffrance de Maria Callas – manque d’émotions simples et brutes. Maria Callas était une cantatrice de génie, mais également une simple mortelle. Les décors somptueux et la photographie impeccable ne suffisent pas à masquer une narration quelque peu distante, voire un tantinet décousue, qui semble effleurer la douleur. Les flashback perturbent la compréhension. Pour finir, l’opéra se rapproche de l’ennui…
Le spectateur reste donc sur sa faim, devant une Callas magnifiée mais éloignée, une icône figée plutôt qu’une femme qui s’effondre. Un bel hommage visuel, certes, mais loin du bouleversement attendu…