Issu de l’excellente cuvée 2015 des films présentés au Festival de Cannes, le dernier film de Nanni Moretti Mia Madre a été mis à la disposition du grand public à partir du 2 décembre. Il invite à une longue réflexion, souvent douloureuse – et pour cause – sur la disparition de la mère. On ne saurait nier la dimension autobiographique de ce film ; toutefois avec Mia Madre Nanni Moretti brouille les pistes. Difficile lorsque l’on est Italien et qu’on a une « mama » d’y arriver. Chassez le naturel, il revient au galop !
La trame est assez simple : une jeune femme et son frère, tous les deux dans la force de l’âge, se trouvent confrontés à l’hospitalisation de leur mère. S’ensuit une indispensable organisation entre l’un et l’autre afin d’assurer un suivi auprès du personnel médical, mais surtout, d’offrir une présence effective auprès de leur mère, plutôt affectée par ce déracinement. Les approches sont très différentes et les résultats le sont tout autant.
Le frère, en réalité Nanni Moretti lui-même, semble aborder cette épreuve avec calme, faisant montre d’un rigoureux sens de l’organisation. Il réussit à dépassionner son débat intérieur pour se limiter au factuel. La sœur, remarquablement interprétée par Margherita Buy, paraît débordée par l’événement, empêtrée dans sa vie professionnelle comme dans sa vie personnelle, campant sur des positions indéfendables qui ne portent pas d’autre nom que celui de déni.
Si cette longue méditation sur la mort de la mère est l’axe central, les deux personnages, deux facettes de la personnalité de Nanni Moretti, n’en sont pas moins transparents. D’un côté l’être raisonnable, capable d’accepter la mort, puisqu’elle est une évidence et que remettre en question l’inéluctabilité de cette issue est totalement vaine.
De l’autre, le refus le plus vigoureux, la négation la plus stérile et la plus douloureuse, mais toujours accompagnée d’une étincelle d’espoir. Après les explications du médecin indiquant que le cœur de leur mère, trop volumineux est fatigué et que l’issue est prévisible, l’un accepte, l’autre répond « que peut on faire ? », avec l’idée qu’il y a forcément quelque chose à faire. La difficulté de Mia Madre de Nanni Moretti est qu’il nous renvoie à notre propre expérience, et pour beaucoup de cas, nous met face à la réalité de la même imminence.
Moretti va plus loin encore, brouillant les pistes par un jeu adroit de flash-back ou de rêves en forme de prémonition, il examine les deux aspects de ce moment particulier. Dans un premier temps il nous invite à réfléchir sur l’approche de la mort, sur le rapport qu’il convient alors d’établir avec celui qui va mourir afin de rendre cette disparition plus acceptable. Comme le Petit Prince de Saint-Exupéry qui devait arriver à l’heure pour ses rendez-vous avec le renard, il convient à celui qui va vivre la mort d’un proche de se préparer et de savoir « s’habiller le cœur », même s’il sait que celui-ci sera déchiré. Le second aspect, plus cruel, nous invite à constater les dégâts que causerait un manque d’attention. Ceux, trop occupés par la vie et ses exigences, qui n’auraient pas pris le temps de prendre congé, d’être présents, même lorsque c’est difficile, seraient immanquablement pris de court et seraient confrontés à un terrible sentiment de négligence.
« Si j’avais pu savoir ». Mais voilà, il est trop tard, les yeux de l’être aimé se sont fermés, ses oreilles sont sourdes à toutes les prières, seule reste la dure vérité de la culpabilité. Ce que nous ressentons ne porte pas d’autre nom.
Dans Mia Madre Nanni Moretti nous adresse clairement un avertissement. « Regret sur quoi l’enfer se fonde, qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes yeux », cette petite phrase de Guillaume Apollinaire qui illustre assez bien cette facette de sa réflexion, sonne comme une mise en garde. L’éventuelle négligence laissera dans l’âme une plaie béante, qui mettra longtemps à se refermer.
C’est sans doute ce qui permet de mieux comprendre les à-côtés du film, la présence de cet insupportable cabotin d’acteur américain, la crise d’adolescence de la fille qui souhaite inconsciemment tirer la couverture à elle, tout paraît fournir des excuses à celui qui n’a pas pris les bonnes décisions. Cette obsession de la metteuse en scène qui consiste à demander à ses acteurs de jouer « à côté » n’est que la traduction du fait que dans la vie nous sommes souvent à côté aussi. Nous jouons faux, nous le savons, mais nous tournons la tête pour l’ignorer.
Dernière remarque. Il serait bien injuste de ne pas louer le travail remarquable de l’actrice incarnant le personnage de la mère, Giulia Lazzarini. Elle est plus vraie que nature, soucieuse de ne pas déranger, minimisant à tout moment sa souffrance ou ses difficultés, encourageant ses enfants et ses petits enfants, offrant en sacrifice ses ultimes sursauts d’énergie sans en rien tirer pour elle même. Y a-t-il donc plus de beauté dans une mater dolorosa ?
Nanni Moretti ne nous laissera pourtant pas en repos. L’ultime phrase du film, dans sa simplicité, sonne comme un avertissement où chacun mettra le sens qui lui convient :
Maman à quoi tu penses ?
À demain.
Film Mia Madre Nanni Moretti, Scénario Gaia Manzini, Chiara Valerio, avec, entre autres, Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini, Nanni Moretti, Italie, 106 minutes