Présenté lors de la Semaine de la Critique à Cannes 2018, Nos Batailles de Guillaume Senez, avec Romain Duris, sort en salle le 3 octobre. Unidivers a vu le film à l’Arvor et interviewé le cinéaste, vidéo à l’appui…
Olivier (Romain Duris), travaille d’arrache-pied dans les usines d’une entreprise de commerce en ligne (type Amazon), réduisant sa vie familiale et conjugale à un quasi-néant. Jusqu’au jour où sa compagne et mère de leurs deux enfants, au bord du burn-out, disparaît sans laisser de trace. Olivier se retrouve alors à devoir cumuler une situation professionnelle harassante et de lourdes responsabilités paternelles.
« Ça va aller… »
Un monde au bord de la crise de nerfs où le dernier bouclier est la solidarité humaine, c’est ce que nous propose Guillaume Senez. Reprenant le « Jusqu’ici tout va bien… » de La Haine, Olivier, en proie à un tombereau de difficultés autour de lui, se répète constamment « ça va aller… ». Loin de traduire la confiance en un avenir meilleur, ce leitmotiv façon méthode Coué traduit l’impuissance du personnage principal confronté à une société oppressante susceptible de détruire tout ce qu’il y a de beau et de vrai dans l’existence.
Malgré les efforts et les sacrifices de différents personnages, les énergies se vident, les foyers s’effritent, les êtres s’assèchent. Comme dans les films de Ken Loach, c’est le soutien affectif, parfois physique, qui permet aux personnages de recharger les batteries et de faire tenir les murs. Par la solidarité, la franchise, le soutien, les clans se forment : voilà notre société en but à l’entreprise capitaliste, c’est nous face au malheur, face au quotidien difficile, aux cadences intenables : nous face au monde. Au milieu de tout cela, un homme se bat.
https://youtu.be/BLXjuSUY8ws
Intense, mais douloureux
À l’écran, ce sont la répétition des lieux, des scènes, l’atmosphère de quasi-huis clos aux teintes bleues froides, les éclats de colère, les crises de larmes, le cadrage si rapproché… qui confèrent au film Nos batailles sa sensibilité singulière. Intense, mais douloureux, notamment pour le spectateur, pour qui le film n’est pas qu’une partie de plaisir… Arrivent tout de même des scènes libératrices, d’une profonde douceur, lorsque les sourires éclatent comme la glace entre les êtres. Pour Olivier, sur qui les charges s’accumulent, ce sont une sœur, une mère, une amie chez qui il va tour à tour puiser la force de continuer à avancer et de se remettre en cause en tant que père. À bien y regarder : beaucoup de scènes sont montées comme des combats, les duos sont des duels ; c’est ainsi que le récit avance, que les personnages s’étoffent. Les difficultés et les douleurs occupent dans le film Nos batailles un rôle de révélateur de vérité et sont gage d’un possible renouveau des liens affectifs. Avec justesse, les relations entre les personnages s’affirment ainsi face aux obstacles.
Interpréter le réel
Loin d’une imagerie spectaculaire, très réaliste au contraire, la sensibilité de Nos Batailles repose en partie sur la qualité des acteurs. Par des procédés audacieux de direction d’acteurs, tels que l’improvisation, le cinéaste parvient à créer un rapport authentique et empathique entre les spectateurs et les personnages. Romain Duris interprète avec adresse la quantité d’émotions contraires et les ambivalences qui composent son rôle. Dans ce personnage pas facile d’Olivier, autour de qui chaque scène tourne, il sait rassembler l’inquiétude et la force, l’impuissance et le dépassement, le regret et l’obstination en un visage, tendu, marqué, et soudainement éclatant, transfiguré par un sourire. Ce rapport tout particulier aux personnages, cette proximité, fait de Nos batailles un film physique, à l’identité propre, où la justesse de l’émotion sublime sa pertinence.
Prendre de l’auteur, sans s’y brûler…
Notons pour finir que Nos Batailles est un film réellement auteuriste. S’éloignant des codes des genres dont il est proche (la romance, le polar, le mélodrame…), il traite avec sincérité des sujets chers à son réalisateur. Il y a bien sûr la paternité, véritable fil rouge du film. Il y a aussi la déshumanisation au travail, l’engagement politique et syndical, la poursuite des idéaux, l’amour blessé, etc. Le tout ramené derrière la finesse d’un scénario qui laisse au mystère sa juste part. Car ils ne sont pas si nombreux, réjouissons-nous de voir un film d’auteur qui laisse autant de place à l’émotion, à l’acteur et au scénario sans mièvrerie ni intellectualisation démonstrative.
Une scène qui en dit long ?
Olivier et Betty, sa sœur, discutent un soir sur le canapé du salon. Après être restée un temps chez Olivier pour le soutenir à la suite du départ de sa femme, Betty doit retourner à sa vie dans une troupe de théâtre. Olivier enjoint Betty de rester plus longtemps auprès de lui et de ses enfants. La discussion dérape rapidement et chacun en arrive à critiquer l’autre. Olivier prétend que Betty pourrait rester, car après tout elle n’a « ni job, ni mari, ni enfant ». À l’évocation de cette simple vérité, Betty s’effondre en larme. Olivier comprend sa maladresse ainsi que la détresse cachée de sa sœur. Il la prend dans ses bras. L’ardeur du conflit, construit par des années d’incompréhension, s’efface. Triomphe les liens du cœur et l’entraide, le tout autour d’un verre de vin rouge fraternel.
Entretien avec Guillaume Senez