La période de la Toussaint convient parfaitement à la sortie du dernier film de Kore-Eda Hirokazu Notre petite soeur. Dans cette histoire adaptée de la série de manga Kamakura Diary de Akimi Yoshida, les vivants rendent constamment hommage aux défunts de la famille – ce qui leur apporte sérénité et courage.
Pourtant, la vie n’est pas facile pour Suzu, la petite sœur. Elle se retrouve orpheline après la mort de son père. Sa mère n’a jamais été capable de l’élever. Alors, elle s’est débrouillée et sut grandir sans l’aide de l’adulte. C’est aussi le cas de ses trois sœurs, Sachi, Yoshino et Chika. Leur père les a abandonnées pour aller vivre avec la future mère de Suzu. Leur mère, abattue par le départ de son mari a aussi quitté le domicile familial. Sachi, la grande sœur, a alors pris ses responsabilités et éduqué ses jeunes sœurs. Elle choisit maintenant de prendre en charge sa petite sœur Suzu. Elles vont ainsi vivre toutes les quatre et partager leur grande maison, « leur dortoir de filles », disent-elles.
Cette vieille maison est certainement inconfortable et peu adaptée à la vie moderne, mais elle est remplie de souvenirs. Comme dans le film « Mon voisin Totoro » d’Hayao Miyazaki, la maison semble véritablement « habitée » par les morts comme par les vivants sans oublier les animaux tels ces insectes qui effraient Yoshino. « Je n’aurais pas tourné le film si on n’avait pas déniché la maison qui convenait à cette histoire », confie Kore-Eda Hirokazu. La maison est le lieu de vie, là, où les repas se préparent puis se partagent. Ces repas sont ces moments essentiels de la vie où l’on rit, se dispute et surtout un temps d’évocation du passé. Comme la madeleine de Proust, certains mets sont générateurs de souvenirs comme cette tartine aux alevins qui rappellent les moments passés avec le père où ces maquereaux frits consommés dans la petite guinguette qui évoquent des images de l’enfance.
Et puis, cette maison a une grande terrasse qui ouvre sur le jardin et son prunier dont on tire chaque année un alcool précieusement conservé. La nature est très présente dans le film. « Quel est ton lieu préféré ? » demande Sachi à Suzu lors de leur première rencontre. Les quatre sœurs gravissent alors la colline où la plus jeune venait régulièrement avec son père. Elles découvrent un magnifique point de vue. Lors de cette scène comme celle identique sur l’autre colline près de la maison familiale, le réalisateur reste longuement sur les jeunes filles. D’ordinaire, lorsqu’un personnage regarde un paysage, le plan suivant nous montre ce qu’il voit (le contre-champ). Ici, ce n’est pas le cas, le réalisateur reste sur les personnages. Ce qui l’intéresse, c’est leurs réactions, leurs souvenirs, le groupe solidaire qu’elles forment dans le cadre de l’image. Le paysage en lui-même importe peu. Ce sont les sentiments qu’il évoque qui est important. D’ailleurs, le paysage semble interchangeable. Le lieu préféré de Suzu ressemble à celui des 3 sœurs, situé près de leur maison. « Il ne manque que la mer. » Lorsque le réalisateur nous montre enfin le paysage, il est en partie caché par les actrices, ayant choisi de les inclure dans le plan pour bien nous signifier que c’est le lien avec la nature qui lui importe.
Notre petite soeur est un filmensoleillé où la nature apporte une grande sérénité aux personnages. C’est l’image du bonheur avec le « tunnel » de cerisiers en fleurs, passage obligé pour qui veut séduire sa bien-aimée, jeune ou âgée. C’est cette même image magnifique qui accompagnera la cuisinière avant de mourir. La nature donne aux protagonistes le courage d’affronter la dure réalité de la vie, en particulier pour ces jeunes filles qui doivent pallier l’absence de leurs parents, de la mère avec qui la communication est difficile ou du père que l’on a peu connu.Ces relations père-fille nous rappellent les films de Yasujiro Ozu, le grand maître japonais dont Kore-Eda Hirokazu se réclame. On aurait pu d’ailleurs prendre un titre des films d’Ozu pour celui-ci : « Il était un père », « Printemps tardif » « Été précoce » ou encore « Fleurs d’équinoxe ». Outre des thèmes chers à Ozu, comme le rapport à la nature ou la transmission entre générations, le réalisateur s’intéresse aussi à des personnages secondaires. Ce sont des observateurs privilégiés du temps qui passe. Je pense ici aux deux personnages de la gargote : la cuisinière aux maquereaux frits qui connait la famille des trois sœurs et l’homme accoudé au bar qui a plein d’anecdotes à raconter à Suzu sur son père. Mais là c’est déjà un autre film.
Comme Ozu, Kore-Eda Hirokazu choisit aussi de filmer de manière très classique avec une caméra à hauteur de tatami. C’est le bon angle pour cadrer les personnages lorsqu’ils sont assis dans la maison. Le réalisateur nous invite à partager leur intimité. Se créent alors des relations chaleureuses entre les personnages et les spectateurs. Kore-Eda Hirokazu reste en plan fixe ou alors avec un léger travelling très doux qui semble caresser les acteurs. À noter d’ailleurs, la beauté des jeunes filles très bien mises en valeur par le directeur de la photo. Le film est alors découpé en séquences tournées au rythme des saisons et des aventures des jeunes filles. Les séquences se terminent par un fondu au noir qui ponctue ainsi chaque épisode de la vie.
Ces moments se prolongent. C’est le dernier compliment à apporter à Notre petite soeur. Le film ne semble jamais vouloir se terminer. Plusieurs fois, le réalisateur semble nous indiquer la fin et puis un nouvel événement arrive. Le film est relancé et la vie continue. Pour notre plus grand plaisir. Car même si Notre petite soeur ouvre et se clôt par un enterrement, c’est une œuvre joyeuse et vivifiante.
https://www.youtube.com/watch?v=OH_RkXDMkZE