Pays basque, 1609. Ana, Katalin et leurs amies sont arrêtées, accusées de sorcellerie… Quoi qu’elles disent, elles sont coupables. Il ne leur reste plus qu’à le devenir… Les Sorcières d’Akelarre de Pablo Agüero : portrait moderne d’une hystérie judiciaire, révélatrice d’un fanatisme masculin prégnant.
Sortie discrète pour Les Sorcières d’Akelarre, dans nos salles depuis le 25 août 2021, bien qu’il ait raflé 5 GOYAS. Aux côtés des blockbusters tant attendus sur grand écran, le cinquième long-métrage du réalisateur franco-argentin Pablo Agüero est pourtant une de ses pépites cinématographiques que nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir.
Exit le cliché depuis longtemps obsolète de la sorcière à califourchon sur son balai , le feu, dévoreur crépitant, ouvre le bal de ce nouveau long-métrage. Il dansera toute la durée du film jusqu’à devenir l’élément phare d’une photographie saisissante, en corps à corps perpétuel avec l’obscurité pour un clair-obscur igné.
Après Eva ne dort pas en 2015, Pablo Agüero revient avec le thème on ne peut plus actuel de la sorcière, régulièrement traité, bon an mal an, dans le cinéma, les arts, la littérature ou encore la bande dessinée. Le réalisateur, à l’instar de ses précédentes productions, poursuit sa réflexion autour de la lutte de femmes rebelles pour survivre dans une société répressive, une réalité qu’il a connu dans son enfance et qu’il met un point d’honneur à dénoncer. Quoi de mieux que de jeter son dévolu sur cette période historique qui aura fait couler beaucoup d’encre, et le sang, majoritairement, de femmes innocentes ?
Le film Les Sorcières d’Akelarre, terme basque qui désigne l’endroit où les sorcières célèbrent leurs rituels et un lieu de la mythologie basque, s’ancre dans le Pays Basque, au temps de l’Inquisition, au début du XVIIe siècle. Temps de la misogynie et de la folie religieuse par excellence.
Le synopsis est relativement simple : six jeunes filles sont arrêtées pour sorcellerie. Leur crime ? Avoir dansé de nuit dans la forêt… Ce qui n’était qu’un divertissement devient une preuve, douteuse il va s’en dire, de leur chef d’accusation. « Il n’y a rien de pire que des femmes qui dansent », dira un des protagonistes. Un beau résumé de la situation d’antan en seulement une phrase… Leur culpabilité ne fait aucun doute aux yeux des hommes de foi et de loi, notamment le juge Pierre Rostaguy de Lancre, missionné par le roi pour purifier la région, qui veut tout savoir du fameux sabbat des sorcières. Quoiqu’elles disent, elles sont coupables, alors autant le devenir… ne serait-ce que jusqu’à la prochaine pleine lune, annonciatrice du retour des hommes partis en mer.
Comment résumer le film sans trop en dire ? Les Sorcières d’Akelarre ce sont six jeunes filles prises aux mains d’hommes aveuglés par leurs croyances, pervertis par un machisme ambiant. Tirant son inspiration de Pierre de Lancre, magistrat français qui a fait trembler la population dans le Sud-Ouest au XVIe siècle, Pablo Agüero flirte avec l’histoire et en offre une vision moderne : « […] les films et livres que je connaissais sur la chasse aux sorcières reproduisaient tous, d’une manière ou d’une autre, le discours des inquisiteurs. J’ai alors ressenti l’urgence de nous mettre dans la peau des victimes, des femmes », ces femmes destinées à mourir, un peu trop indépendantes, peut-être marginales, fléau pour les hommes qui ne pensent qu’à dominer le genre dit » inférieur « .
La caméra est braquée sur les accusées, ou plutôt les innocentes. Elle montre leur détermination et leur désir de vivre. Elle transmet une joie de vivre déboussolante au vue de la situation. L’innocence de la jeunesse prise en étau dans un système patriarcat qui frôle parfois le ridicule… Les regards se braquent particulièrement sur le personnage d’Ana Inbarguen, prête à tout pour sauver sa sœur et ses amies, jouée par l’actrice Amaia Aberasturi. Malgré sa (très) courte filmographie, la jeune femme aux traits encore innocents, éblouit par la puissance et la justesse de son jeu. Désirée et malicieuse, elle parvient à transformer l’imaginaire des premières scènes en ce qui semble, dans les dernières scènes, une réalité. On a envie d’y croire.
Le défi de Pablo Agüero fut de réaliser un film de sorcières… sans sorcière justement. « Les hommes ont peur des femmes qui n’ont pas peur », dira le personnage de Madame de Lara, servante affublée d’un chapeau en forme de « grosse bite », selon ses propres dires, pour dissimuler sa longue chevelure grisonnante, symbole de féminité. En trouvant une résonnance contemporaine à cette histoire vieille de plusieurs siècles, Akelarre donne à voir le rapport de l’homme face à la femme et à son corps, source de tous les péchés, même l’originel. Cet homme qui résume la gent féminine à sa beauté, qui l’enferme dans ses pulsions perverses, voire malsaines.
Mais le réalisateur a su rester pudique dans la violence. Nous ne sommes pas dans un film d’horreur, mais dans un drame. Tout n’est que suggestion, mais ce n’est pas pour autant que la gorge ne se noue pas et que le malaise ne s’installe pas… La raison ? Le personnage du juge Pierre de Rosteguy de Lancre, incarné avec brio par Alex Brendemühl. L’évolution du personnage captive autant qu’elle effraie. De mal dominant, il finit par personnifier la perversion… Lucifer es-tu là ?
LES SORCIÈRES D’AKELARRE, un film de Pablo Agüero.
Écrit par
Pablo Agüero et Katell Guillou (avec le soutien du Groupe Ouest). 1H30. En salle : 25 août 2021. Espagne | France | Argentine
Tous Publics avertissement : « Certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes. »
Avec
Alex Brendemühl : Rosteguy de Lancre
Amaia Aberasturi : Ana
Daniel Fanego : Le Conseiller
Garazi Urkola : Katalin
Yune Nogeiras : María
Jone Laspiur : Maider
Irati Saez de Urabain : Olaia
Lorea Ibarra : Oneka
Asier Oruesagasti : Père Cristobal
Elena Uriz : Madame de Lara
Musique originale
Maite Arroitajauregi, Aranzazu Calleja