Dans White God Kornel Mundruczo filme le gouvernement hongrois conservateur de Viktor Orbán prendre une curieuse décision logique. Les élus décrètent une lourde taxe sur les chiens bâtards au profit des chiens de race. Résultat : leurs propriétaires s’en débarrassent, les refuges sont surpeuplés. Et si la Lili, âgée de 13 ans, adore son chien Hagen, son père l’abandonne tout de même dans la rue. Tandis que Lili fouille toute la ville pour le retrouver, Hagen abandonné découvre la cruauté des hommes. Alors il rejoint une bande de chiens errants prêts à fomenter une révolte contre les hommes. Leur vengeance sera sans pitié. Lili est la seule à pouvoir arrêter cette guerre.
Plus qu’une critique, cet article est un simple partage d’une expérience sensible. J’ai vu White God de Kornel Mundruczo, dans la deuxième salle du formidable cinéma le Vox à Mayenne, vendredi dernier 2 janvier. Cinéma formidable, car tenu par des connaisseurs qui mêlent audacieusement les films alimentaires nécessaires aux films essentiels qui forment l’essence du cinéma. Ces œuvres d’art qui ne sont possibles que dans la forme cinématographique.
Nous étions cinq ou six dans la salle. C’était déjà bien. Mais qu’il est malheureux de penser aux cinéphiles qui vont rater cette merveille sur grand écran. Sans projeter sa subjectivité sur autrui, à la façon du passionné qui n’a pas assez pratiqué l’altérité, rater White God serait un malheur esthétique. Et le prochain long métrage de Mundruczo est désormais à attendre comme ceux de Dumont, de Malick, de Ceylan et plusieurs autres.
Avant de se rendre au cinéma, White God, apparaîtra à certains comme une épreuve nécessaire. Comme le sont les brillantes mais sombres métaphores de notre époque. D’autant qu’il est l’anagramme de White Dog (Dressé pour tuer) de Samuel Fuller. Là aussi, interdit aux moins de douze ans. De fait, ce film prend par le col le spectateur et ne lâche pas le long de ses deux heures sur fond de Rhapsodie hongroise n°2 de Liszt. Bien vite, ce dernier comprend que plusieurs niveaux d’analyse s’emmêlent subtilement : que l’ambition du cinéaste est sociale, éthologique, existentialiste, voire spirituelle.
Dans l’œil du cyclone : l’angoisse du soulèvement des masses populaires dans l’Europe du XXIe siècle. Une plongée cruelle dans le rapport qu’entretiennent l’humain et le chien. Une métaphore qui voit tous ceux qui ont maltraité être à leur tour maltraités. Et ce, dans une ville de Budapest filmée magnifiquement. À noter une exceptionnelle scène de voiture, portes ouvertes, abandonnée sur l’un des célèbres ponts de la ville désertée.
Mis à part quelques brefs moments sanglants, White God n’a pas été une épreuve. Mundruczo, à l’inverse d’un Haneke, nourrit une empathie pour ses personnages humains et canins. Cette empathie est contagieuse et édifie en permanence jusqu’à la conclusion du film, coup de théâtre et récompense pour le voyageur cinéphile.
Un dernier mot : si vous aimez les chiens, ne ratez pas ce film. Et si vous n’aimez pas les chiens, allez vous faire mordre. Un tout dernier mot : le philosophe Michel Henry aurait aimé White Dog. Et cela est réjouissant.
Raphaël Denis
White God Kornel Mundruczó, décembre 2014, 1h59. Avec Zsófia Psotta, Sándor Zsótér, Lili Horváth. Prix Un Certain Regard – Cannes 2014.
Kornél Mundruczó est né en Hongrie en 1975. PLEASANT DAYS, son premier long métrage, a reçu le Léopard d’argent à Locarno en 2002. Son deuxième long métrage, JOHANNA – une adaptation de l’opéra filmique de l’histoire de Jeanne d’Arc – a été sélectionné au festival de Cannes dans la section Un Certain Regard en 2005. DELTA a été présenté en compétition au Festival de Cannes en 2008 et a reçu le Prix FIPRESCI. En 2010, TENDER SON – THE FRANKENSTEIN PROJECT a également été présenté à Cannes en compétition.