RENNES. FINIS TON ASSIETTE ! UN BANQUET DÉMOCRATIQUE AUX TOMBÉES DE LA NUIT

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Le spectacle Finis ton assiette ! sera présenté à Rennes du 28 au 30 décembre 2021 dans le cadre de Réveillons-nous, temps fort hivernal du festival Tombées de la nuit. Sous la forme d’un banquet musical loufoque, la création de Sara Selma Dolorès Amari et de sa compagnie Thank You For Coming fait du repas qu’on partage un prisme puissant d’interrogation de nos sociétés démocratiques. De quoi rendre toute sa résonance à un cri si fédérateur : à table !

finis ton assiette
© Jef Berhin

Avec Finis ton assiette !, le festival Tombées de la nuit vous invite à la Maison bleue (Rennes) pour un banquet bien particulier qui sera donné du 28 décembre au 30 décembre 2021. La compagnie belge Thank You For Coming, menée par Sara Selma Dolorès Amari est de retour à Rennes, après un passage aux Tombées de la nuit en 2018 pour le spectacle Les Ogres, avec cette nouvelle proposition qui clôture une trilogie de la bouche, ou de la bouffe, on ne sait plus trop, entamée avec Boudins et chanson en 2011. Les trois œuvres interrogent, de façon métaphorique ou réelle, ce que nos appétits traduisent de nous, à travers des spectacles hybrides et participatifs. Finis ton assiette ! radicalise cette forme en abolissant la scène pour transformer les spectateurs en convives d’un repas comique, musical et didactique. Que disent de notre société nos façons de se rassembler autour d’une table pour manger ? Voilà à peu près l’interrogation de départ du spectacle.

Finis ton assiette !, plan de table

« Est-ce que c’est un spectacle à proprement dit, je ne sais pas », devise Sara Selma Dolorès Amari. « Les gens sont assis à table, sont amenés à goûter, avec les yeux, les oreilles, le nez et la bouche, et sont amenés à faire des chemins intérieurs, personnels, dans leur propre histoire alimentaire », poursuit la comédienne. Point de scène donc, ou plutôt, une scène en forme d’assiette, ronde, plate, délimitée par les tablées de spectateurs, avec au centre Sara, créatrice et comédienne, Pascal Lazarus, comédien et aspirant cuistot, et Jérémie Mosseray, musicien, qui se demandent bien à quelle sauce ils vont être mangés à chaque représentation.

De gauche à droite, Sara Selma Dolorès Amari, Pascal Lazarus et Jérémie Mosseray. Cochon non contractuel.

Les trois complices ont conçu une cuisine mobile dont les ustensiles, reliés à des micros, permettent de sonoriser et de mettre en musique la préparation du repas. « C’est un symposium musical », explique Sara. « Tous les bruits de cuisine, de bouffe, sont utilisés, loopés, transformés en live : on mixe de la soupe et on mixe le son de la soupe en train de se faire mixer pour en faire un son bruitiste. Il y a quelque chose de l’ordre de la performance ». Tandis que Jérémie s’active à la musique, Sara tient le rôle d’hôtesse, animant la discussion que Pascal alimente de ses pitreries.

L’absence d’estrade permet un contact direct entre les acteurs et le public, qui abolit, de fait, le fameux quatrième mur de l’illusion théâtrale, cette vieille convention censée séparer la fiction qui se déroule sur scène de l’audience réelle. « Dans tous mes spectacles, il y a de l’interaction avec le public. Je parle aux gens. On ne va pas faire semblant qu’on n’est pas là ! », ironise Sara. Et, de même, le comédien, en tant qu’il incarne un personnage et récite un texte, disparaît, glissant du côté de l’improvisation permanente, de l’art du rebondissement.

Entrée, plat, dessert ?

Aussi, le texte conçu par Sara Selma Dolorès Amari n’en est pas vraiment un. « Il y a un canevas avec des actions, qui reprend des idées motrices pour faire avancer le spectacle », précise-t-elle. Chaque représentation sera donc légèrement différente de la précédente, en fonction du public présent. Et de même, la longueur de Finis ton assiette ! est variable, entre 1 h 15 et 3 h environ : « ça peut durer plus longtemps si on a beaucoup de choses à se dire, ou si quelqu’un ramène un cubi de vin », s’amuse la créatrice.

À leur arrivée, les spectateurs se voient remettre un menu proposant huit soupes différentes : démocratique, capitaliste, wellness, féministe, moderne, réactionnaire, populiste, ou bourgeoise-bohème. Une fois attablés, le spectacle commence et prend la forme d’une rétrospective loufoque des us et coutumes du repas : comment mangeait-on à la préhistoire ? Et au Moyen-Âge ? Et comment mange-t-on aujourd’hui ? Et comment mangera-t-on demain ? « On ne fait pas que faire parler les gens. On leur sert à manger, et on leur raconte pourquoi on leur sert de cette façon », détaille Sara.

© Jef Berhin

La performance tient donc tout à la fois de la création sonore et du jeu du comédien et de la comédienne que de la préparation du repas (avec des ingrédients issus de circuits courts). « La dernière fois, Pascal a fumé des haricots avec du foin en direct sur le plateau », se remémore Sara. Cette mise en scène de la cuisine n’est pas sans rapport avec le succès des émissions télévisées type Top Chef, qui, selon Sara, ont participé à améliorer le niveau général de cuisine. D’ailleurs, Sara, cheffe d’orchestre de cette prestation se sent parfois animatrice de télévision. « La télé s’est accaparé le terme divertissement, alors que le théâtre ne veut surtout pas en faire », commente-t-elle. Elle, au contraire, partisane d’un théâtre de rue, issue d’une famille de circassiens, avoue « un goût pour les arts mineurs, pour le cirque, le cabaret, les drag queens, pour la vulgarité, pour l’humour, un vecteur incroyable de communication ».

Dans cette veine burlesque, l’enjeu principal de Finis ton assiette !, l’exercice de démocratie qui s’y trame réside dans l’élection de la soupe qui sera dégustée par l’assemblée. Rudimentaire par excellence, la soupe est en fait le seul plat universel, répondant au besoin premier et primitif de se nourrir. Pourtant, les recettes proposées semblent réaliser une cartographie sociologique dans laquelle ce qu’on mange reflète ce qu’on pense. La soupe, si fédératrice en apparence, selon qu’elle est préparée avec un bouillon-cube ou des légumes oubliés, peut tout aussi bien révéler les clivages. « Quand j’ai écrit les recettes, je me suis arrangée pour que toutes les soupes soient d’une façon ou d’une autre excluantes. Car faire un groupe, c’est toujours exclure quelqu’un », affirme Sara. « La soupe démocratique n’est pas excluante, mais elle est un peu fade », ajoute-t-elle.

Dis-moi ce que tu manges…

« J’adore prendre des objets vulgaires et en faire de vrais objets de réflexion », explique Sara Selma Dolorès Amari. Férue de pop philosophie, cette discipline qui s’attache à étudier des sujets du quotidien, elle est aussi obsédée par la nourriture dont elle interroge depuis son premier spectacle les portées métaphoriques ou réelles. Finis ton assiette ! cherche à souligner que l’alimentation, en tant qu’elle est le souvenir d’habitudes personnelles et familiales, nous construit en tant qu’individu qui allons ensuite façonner collectivement notre société. L​​e vrai miroir de nos discours serait-il le cours de nos repas ?

« Mon père est Tunisien, et ce que je sais de ma double culture passe énormément par la cuisine, par la façon de partager les repas », raconte Sara. « On a tous une madeleine, comme dirait Marcel [Proust], qui n’est pas forcément une madeleine, mais quelque chose qui, en un instant, nous ramène à un autre monde, un autre état de nous-mêmes, à l’enfance ou autre, à des moments de notre vie qui sont associés à des odeurs, ou à des saveurs », continue-t-elle.

Au-delà de ces multiples constructions personnelles possibles, ou plus précisément, dans leur prolongement lointain mais inévitable, Sara rappelle que « l’alimentation est quand même le cœur d’une politique et d’un futur, de problématiques. Il y a encore des gens qui meurent de faim aujourd’hui ». Élevée au niveau le plus collectif, la question de la nourriture devient effectivement un enjeu sociétal majeur, de même qu’elle est un besoin primaire individuel. « Manger, c’est exprimer les besoins d’un corps, c’est partager, c’est parler. Le premier endroit où on fait politique, chœur, société, c’est l’endroit où on s’assoit à table, où on partage, où on réfléchit à comment on va partager la bouffe », affirme Sara. Finis ton assiette ! vise donc à recréer cette dynamique au travers d’un spectacle-banquet où l’objectif est de causer, à l’image de son ancêtre platonicien. « Il y avait un objectif de convivialité, dans le sens premier d’un ensemble de règles qu’on décide d’accepter pour faire communauté », précise Sara.

Conçu en 2019 pendant les manifestations de Gilets jaunes, Finis ton assiette ! est un exercice ludique de démocratie. « À cette époque, la question de faire communauté, de parler pour y arriver, était au centre de tous les ronds-points de la France. J’ai écrit ce spectacle en me disant qu’on allait recréer un rond-point où on parle », témoigne Sara. L’élection de la soupe à la majorité des votants est d’ailleurs un clin d’œil au référendum direct, alors réclamé par le mouvement contestataire. Originaire de Suisse, Sara ne partage pas forcément ce fantasme de démocratie directe : « En Suisse où on fait très souvent ce genre de vote, les gens votent pour des trucs hallucinants », déplore-t-elle. 

© Xavier Bergeron

De même, le spectacle de Sara met en évidence les difficultés de l’exercice démocratique. Comment choisir quand les propositions politiques tiennent de plus en plus de la caricature ? Et comment se satisfaire d’un choix qui n’est finalement pas vraiment le nôtre ? Car « assister en direct au processus de vote, avec une si petite assemblée, met en évidence que la démocratie est aussi la tyrannie de la majorité, c’est-à-dire d’une minorité qui, parce qu’elle s’est accordée alors que les votes s’éparpillent, s’impose comme majorité », témoigne Sara. « Ce n’est pas tant pour se moquer que pour montrer, en mangeant de la soupe, que voter c’est chaud, et que la démocratie est imparfaite dans sa définition ».

Au lendemain des réunions de Noël, si les discussions avec tatie réac, tonton facho et cousine anar ne vous ont pas convaincu, allez déguster un grand bol de dialogue démocratique aux Tombées de la nuit. Et pas de gâchis, finis ton assiette !

Retrouvez toutes les informations et la billetterie sur le site des Tombées de la nuit

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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