La Bretagne intérieure et l’enfance composent cette prose poétique que Jean-Louis Coatrieux intitule Fleur. Joli nom pour une enfant dont la voix secrète affleure dans le périmètre géographique de Saint-Nicolas-du-Pelem et Locuon.
Et c’est que l’écrivain, qui est né à Saint-Denis, dans le Grand Paris, passait ses vacances dans ce petit coin de Bretagne sous l’aile de ses grands-parents. C’est là qu’il a vécu les riches heures de son enfance, là qu’il a rêvé, et c’est ce paysage intérieur qu’il nous offre par les lèvres de cette petite fille, son porte-voix, alors que l’adulte savant qu’il est devenu a la tête pleine de ces signaux électromyographiques qui peuplent ses recherches. Rassasié d’imagerie médicale, dont il fut l’un des experts et des promoteurs, Jean-Louis Coatrieux se laisse ici bercer d’images paysannes et de ce temps immobile et apaisant qui est celui des pierres :
« Les gros rochers ronds de la rivière avaient trouvé leurs places avec le temps, calés solidement les uns aux autres, les uns sur les autres. Des branches s’emmêlaient dans les failles apportées par les hautes eaux d’hiver et du printemps. »
Locuon
Hors de ce cocon préservé, du « vert paradis des amours enfantines », l’univers est chaotique, tourmenté, agressif, un monde où « beaucoup de gens veulent croire à la paix, quand d’autres sont toujours prêts à en découdre et à effacer les vies après eux ». Cette Bretagne-là qu’il redécouvre est havre de paix et temple de sérénité et le poète ne cesse d’en être ému :
« Cette vallée a toujours fasciné Fleur. Elle est si étroite et boisée que la lumière s’y fait rare. Les rochers ont roulé jusqu’ici comme des dés dans les mains de géants. Un peu plus loin le bief, ses nénuphars plantés dans la vase et sa digue fissurée par le souffle d’eau à retenir pour le moulin… C’est ici qu’elle apprit la légende des pierres de granite et entendit les coups d’escoudes portés par les carriers gallo-romains, tranchant à vif des feuillets de roche. »
Et, alors que l’enfant déchiffre le monde, la question affleure à son esprit : « Comment apprendre l’histoire des pierres et des arbres condamnés à rester muets ? » Elle ouvre les yeux, contemple, s’étonne, et prend note en alignant ses lettres sur son cahier d’écriture. Et l’enfant s’émerveille aux tâches artisanales du sabotier, du forgeron qui chante « en accompagnant ses frappes sur le fer rouge », du maréchal-ferrant et de l’odeur de brûlé du fer posé sur le sabot, d’un « visage rendu écarlate par l’effort ». Mais il y a aussi, sur cette terre légendaire, « ces contes étranges que le grand-père semblait tirer de sa poche aussi facilement que son tabac à rouler ». Avec une attention particulière pour « cette terre pauvre, celle de son enfance, où se plantaient avoine, blé et pomme de terre, une terre laissée aussi en herbe lorsque vous aviez des bêtes ».
Et puis, il y a l’église avec le cimetière qui l’entoure et qui fait peur à la petite fille, mais elle n’en réalise la portée que plus tard, en grandissant :
« Elle comprit comment les visiteurs occasionnels ressentaient ici l’âme du village, une façon de protéger les leurs et de prolonger le commerce des âmes ».
Anatole Le Braz (Le Passeur d’âmes, Terre de brume, 2009) n’est pas loin et Coatrieux plonge, après lui, dans la mémoire des pierres. Avec une parole économe et des mots tout simples, il entre au bois amical de la poésie et nous livre, à travers les yeux et dans la voix de Fleur, la redécouverte de son enfance, en se rappelant, peut-être, l’interrogation poétique de Saint John-Perse :
« Sinon l’enfance, qu’y avait-il qu’il n’y a plus ? ».
Et il nous livre, dans la modestie d’un haïku et la vibration de sa voix inspirée, la quintessence de cette prose poétique :
Derrière les arbres
Un étang
Mon cœur bat
Mon enfance
Est là.
Jean-Louis Coatrieux, Fleur (Prose poétique), La Part Commune, mai 2024, 64 p., 11 €