La Bibliothèque des Champs libres de Rennes se lance dans la numérisation de ses collections de presse papier, anciennes et d’aujourd’hui, en commençant par les journaux Ouest-France de 1944 à 1954. Ce gros chantier des collections patrimoniales est l’occasion de revenir sur notre visite dans les coulisses de la bibliothèque, en compagnie de Sarah Toulouse, conservatrice à la bibliothèque des Champs Libres et responsable des fonds patrimoniaux, et de découvrir les nombreux trésors qui s’y cachent…
La première mission d’une bibliothèque, comme celle des Champs Libres, est de mettre à disposition livres, revues, disques, DVD et partitions en répondant aux besoins du public. La seconde, et pas des moindres, est de conserver le patrimoine écrit et graphique. « Une bibliothèque peut s’envisager comme un iceberg », comme le souligne Sarah Toulouse, conservatrice à la bibliothèque des Champs Libres et responsable des fonds patrimoniaux. La partie émergée représente les lectures publiques et la patrie immergée les documents conservés, « où se trouve encore plus de documents que dans les étages supérieurs ».
« La raison d’être des fonds patrimoniaux est d’être vus par le public. »
Sarah Toulouse
Que sont les fonds patrimoniaux ? De quoi les collections sont-elles constituées ? De livres certes, mais de quoi d’autre ? Pour une rencontre avec un passé, aussi lointain que proche, Sarah Toulouse nous a ouvert les portes des fonds patrimoniaux de la Bibliothèque des Champs libres, installés dans les sous-sols du bâtiment construit par Christian de Portzamparc. « 200 000 documents sont disponibles au prêt et 400 000 sont conservés dans les fonds patrimoniaux », souligne-t-elle dans l’ascenseur après un arrêt au sixième étage, espace dédié à la consultation des fonds de conservation et du dépôt légal. « Une partie des fonds est conservée aux Champs Libres, l’autre dans le bâtiment des archives municipales. » Toute personne peut effectuer une demande de consultation pour des recherches scientifiques, universitaires ou tout simplement personnelles.
« 400 000 documents, 15 kilomètres de collections »
« Les musées parlent de réserves, les bibliothèques de magasins. » À l’instar des grandes bibliothèques françaises, le fonds de la bibliothèque des Champs Libres est né des confiscations révolutionnaires, au XVIIIe siècle. « Une partie des bibliothèques privées de Rennes a été confisquée, celles qui appartenaient à ceux que l’on appelait les ennemis de la Nation : les nobles émigrés, les congrégations religieuses et les corporations de métier. D’autres biens ont été confisqués, comme les œuvres d’art et les documents à l’origine des musées et des archives. » En 1803, les collections confisquées à la suite de la Révolution fusionnent avec la bibliothèque des avocats, créée à Rennes en 1733 et située au Parlement de Bretagne, afin de former la bibliothèque publique de Rennes. Ces confiscations font aujourd’hui partie du fonds ancien de la bibliothèque.
À partir du XIXe siècle, les fonds s’enrichissent par des achats et des donations. « En 1901, l’historien breton Arthur de la Borderie a donné une très belle collection de 12 000 livres. Plus récemment, un don de l’écrivain et collectionneur Henri Pollès a enrichi les collections des Champs Libres de 30 000 livres et objets. » Sans compter le travail quotidien de repérages et d’acquisitions.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, les fonds patrimoniaux ne sont pas seulement constitués de livres anciens. On y trouve également de nombreux livres contemporains. Avec un budget annuel de 80 000 € et la Bretagne pour axe de développement, la bibliothèque acquiert des livres contemporains tous les ans, enrichissant ainsi les fonds de nouvelles trouvailles. « Ce qui fait qu’un livre est patrimonial c’est le fait de vouloir le conserver. Ça peut être aussi bien une bande dessinée contemporaine qu’un livre du XVIe siècle. » Parmi les achats les plus récents, Sarah Toulouse cite un petit manuscrit de chants religieux ayant appartenu à une religieuse rennaise.
« Nous contrôlons la lumière, l’humidité la température pour des conditions de conservation optimaleS. »
« Les journaux : parmi les plus fragiles à conserver »
« Les collections sont séparées en deux ensembles : les périodiques et les monographies. Les journaux représentent la moitié des collections patrimoniales. » Dans le premier magasin, pochettes et boîtes en carton sont classées sur des étagères ou posées sur des tables. « La qualité du papier rend la conservation de ces documents difficile. » On trouve ici toute sorte de journaux bretons, comme Le Semeur d’Ille-et-Vilaine paru entre 1919-1998, et nationaux, tel Paris Match. La collection du journal Ouest-France créé en 1944 et de son ancêtre Ouest- Éclair (1899) remplit à elle seule des étagères entières.
Les rangées abritent également les ancêtres des journaux de droit, d’Histoire, de science, comme la Revue Horticole, ou encore féminins, comme La Mode, revue du monde élégant et Le Moniteur des dames et des demoiselles.
« Des fonds de conservation ultra contemporain »
Le second magasin est consacré aux monographies. Les romans policiers, dictionnaires, mangas imprimés en Bretagne y côtoient les ouvrages issus justement des confiscations révolutionnaires. « 30 000 livres seulement sur les 200 000 conservés datent du XIe au XVIIe siècle inclus. » Les nouvelles acquisitions font face à des livres imposants aux caractères incroyables et reliures d’un autre siècle. Un regard suffit pour traverser le temps. Sarah Toulouse en attrape délicatement un, à titre d’exemple, le Lexicon Heptagloton (1769), un ouvrage imposant qui se révèle être « un dictionnaire des mots que l’on trouve dans la bible traduits en langues hébraïque, chaldaïque, syriaque, samaritain, éthiopien, arabe et perse ».
La caverne d’Ali Baba des Champs Libres révèle de nouveaux trésors alors qu’on traverse les rayons de disques – CD et vinyles, que l’on tombe sur quelques DVD et une collection de jeux de société, dont la dernière acquisition n’est autre qu’un jeu de société du festival Hellfest. « Les collections contemporaines ont également une partie spécifique, le dépôt légal. C’est l’obligation à tous les éditeurs de déposer un exemplaire de tout ce qu’ils produisent dans une bibliothèque – ajoute-t-elle. Les éditeurs déposent à la Bibliothèque Nationale et les imprimeurs dans une bibliothèque en région. » Depuis 1944, la bibliothèque de Rennes Métropole reçoit le dépôt légal imprimeur, soit les livres, les journaux, les affiches, les cartes postales et les imprimés publicitaires. Tout ce qui est imprimé en Bretagne en somme.
Mais les fonds patrimoniaux n’ont pas encore dévoilé tous leurs secrets. Pour le chapitre final, retour au point de départ, au sixième étage, dans La Réserve…
120 incunables et 75 manuscrits conservés dans La Réserve
Sur les étagères, petits et grands trésors, contemporains et anciens, sont soigneusement rangés dans de jolies boîtes de conservation. 120 incunables (les imprimés du Moyen-âge),« près de 3000 manuscrits, parmi lesquels 75 datant du Moyen-âge, dont le plus ancien date du XIe siècle » et une très belle collection de livres d’artiste y sont conservés. « L’incunable le plus ancien que nous possédons est un livre de Cicéron, imprimé en Italie en 1465, à côté de Rome. » Imprimés en une seule couleur, les premiers imprimés imitent les manuscrits, « les lettrines sont rajoutées à la fin, à la main, par un rubricateur, en charge des titres et des initiales. Cette pratique va peu à peu disparaître et on imprimera l’intégralité du livre. » Aux côtés des pages imprimées, une annotation du bibliothécaire date de la Révolution et d’autres, plus anciennes, dans les marges, sont l’œuvre d’un lecteur du XVe ou XVIe siècle. « Il provient des Dominicains de Rennes qui résidaient dans l’ancien couvent des Jacobins et fait partie des confiscations révolutionnaires. »
La conservatrice sort un nouvel ouvrage. Plus petit et plus vieux, Coutumes de Bretagne, un texte juridique. « C’est le plus ancien document imprimé à Rennes que nous possédons. » Imprimé en 1485 dans le premier atelier installé en ville, « l’imprimeur a procédé comme les moines copistes. Il a mis une petite lettre noire, la lettre d’attente, avant de rajouter une grande lettre en rouge, la couleur traditionnellement utilisée pour les lettrines et les titres après le XIIIe siècle. » Bien moins spectaculaires que peut l’être un manuscrit enluminé, ces ouvrages n’en sont pas pour autant moins intéressants. Ils sont les témoins de l’évolution des manuscrits et des imprimés après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg au milieu du XVe siècle.
La visite se termine par une acquisition assez récente [l’article a été réalisé en avril 2021, ndlr.], un livre de prières datant de la fin du XIVe siècle, Les Heures de Béatrice de Rieux. Il fait partie des trésors des fonds patrimoniaux que constituent les manuscrits enluminés. Cinq siècles ont passé depuis leur création, mais contempler ces chefs-d’œuvre fascine. Les miniatures aux couleurs vives, la finesse des ornements relevés de dorures et la calligraphie soignée racontent une époque et des traditions, un savoir et une technique que l’on conserve aujourd’hui précieusement. On découvre par exemple une nativité différente de celle couramment utilisée à partir du XVe siècle. « Avant, notamment au XIVe siècle, la Vierge est couchée, Saint-Joseph est à côté et le bébé dans la mangeoire. Cet indice aide à la datation du manuscrit. » De même, la commanditaire, Béatrice de Rieux, a été représentée avec une robe qui porte ses armoiries et a ainsi permis de connaître l’histoire de ce manuscrit.
À l’instar des ouvrages qui les constituent, nous pouvons comparer les fonds patrimoniaux à une histoire. Les rayons se remplissent comme les pages d’un livre. Et cette histoire, c’est l’équipe de la bibliothèque des Champs Libres qui l’écrit, à chaque nouvelle acquisition, contemporaine ou ancienne.
Accès au site Les Tablettes rennaises (Site de numérisation des manuscrits du Moyen-âge, du XVe et du XVIe siècles. Ouvrages du XVIIIe siècle en cours de numérisation)
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