Retrouvez Nicola L Chelsea Girl au Frac Bretagne de Rennes jusqu’au 18 mai 2025. L’exposition fut présentée à Londres en automne dernier. Elle retrace pour la première fois le parcours sur notre continent de l’artiste française, également féministe, invisibilisée du public européen après son départ à New-York en 1966.
Souvent célébrée dans le contexte du Pop Art, du Nouveau Réalisme, du féminisme et du design, Nicola L (ou Nicola Leuthe) est une figure à part de la scène artistique française. Née au Maroc en 1932 et morte en 2018 à Los Angeles, elle se forme à l’École Julian et aux Beaux-Arts de Paris. Elle s’émancipe par la suite de son enseignement académique, notamment la peinture abstraite, grâce à sa proximité avec le groupe français Nouveaux Réalismes. Elle réinvente alors son travail dans l’art conceptuel autour de la représentation du corps, de l’espace et de la fonctionnalité, avec un engouement marqué par les politiques contre-culturelles, féministes et collectivistes. En 1966, elle part à New-York et découvre les mouvements de la contre-culture américaine au célèbre Chelsea Hotel. En 1979, elle s’y installe et y résidera pendant plus de trente-cinq ans. L’exposition du Frac Bretagne la surnomme donc tout naturellement : Chelsea Girl.
Grâce à ses pratiques pluridisciplinaires, les oeuvres de Nicola L se présentent sous différents aspects du design à la sculpture, du collage à la peinture ou encore de la performance au cinéma. Des formes variées, mais qui ont pourtant un thème commun : celui du corps humain. Des pieds-canapés, des lampes en forme d’œil ou de bouche, des meubles aux silhouettes de femmes… Ici, les corps sont réduits à leur seule fonction d’objet. Un corps de femme peut alors être « démembré » pour faire office de canapé, de coussins, de tiroirs. L’artiste définira d’ailleurs ce concept « d’art fonctionnel » qui invite les visiteurs à utiliser les œuvres, les toucher, les ouvrir ou les pénétrer. Des sentiments déconcertants peuvent émerger des visiteurs devant les corps suspendus aux murs ou posés au sol qui n’appartiennent plus à personne ou à l’inverse, appartiennent à celui qui veut.
C’est notamment la série Les Pénétrables, ces immenses toiles de vinyle ou de fourrure auxquelles sont ajoutées des manches pour les bras, les jambes et la tête, qui appelle le spectateur à se glisser à l’intérieur comme pour se former une seconde peau. Nicola L créé le premier d’une longue série en 1964, déçue de ne pas voir entrer les spectateurs dans ses tableaux. Elle dira même : « Les gens n’entraient pas dans mes toiles, alors j’ai par défi troué mes tableaux pour qu’ils y rentrent ». Comme des secondes peaux, des masques, ou des carapaces, l’exposition présente La Chambre en Fourrure où les visiteurs peuvent entrer par l’extérieur ou par l’intérieur, sur les murs ou au sol, pour « faire corps et faire des corps« . Faire corps, c’est à dire réunir des corps dans une même peau afin d’habiter l’espace collectivement. Tandis que faire des corps, c’est les défaire d’abord, puis disséminer ces fragments dans l’espace en les rendant fonctionnels.
Une esthétique typique des sixties, ronde, colorée, douce, lisse ou brillante qui contrebalance pourtant avec des thématiques plus rugueuses. En effet, au delà de mobiliers designs, modulables, ludiques voir parfois humoristiques, les oeuvres de Nicola L prennent leurs origines dans une revendication politique traitant de sujets violents. L’oeuvre la plus frappante reste sans doute La Femme télévision (1969). Représentant une femme, les seins sont remplacés par deux tiroirs, un placard évidé en son centre reçoit une télévision avec deux deux jambes à disposer au sol de chaque côté. Un message sonore sort de sa bouche : « Je suis la dernière femme objet, vous pouvez me toucher, mais je répète, c’est la dernière fois ». Une oeuvre sexuellement suggestive qui revendique un féminisme déjà très présent chez Nicola L dans les sixties.
Le point de départ de l’exposition est l’achat par le Frac Bretagne de Tapis gris pour cinq personnes créé en 1975, puis le prêt d’autres œuvres afin de créer un corpus représentatif de l’ensemble de son oeuvre qui offre la possibilité au public de découvrir cette artiste singulière. Longtemps remarquée pour son travail aux États-Unis, son pays d’adoption, c’est la première fois qu’une telle exposition est mise en lumière en Europe : Au Camden Art Center à Londres en automne dernier, au Frac Bretagne aujourd’hui, et bientôt à la Kunsthalle de Vienne et au Museion de Bolzano. Associée dans un premier temps au groupe des Nouveaux Réalistes, son départ pour les États-Unis et, on peut le croire, le fait qu’elle soit une femme, ont largement concouru à son invisibilité que cette première grande exposition rétrospective souhaite aujourd’hui participer à corriger.
INFOS PRATIQUES :
Frac Bretagne, 19 Avenue André Mussat, 35000 Rennes
02.99.37.37.93
Exposition gratuite
Jusqu’au 18 mai 2025