Franc-Maçonnerie à Rennes : Le Grand Maître de la Grande Loge de France visite la capitale bretonne le 6 novembre dans le cadre d’une conférence publique. Son thème : « Pourquoi être Franc-maçon à la Grande Loge de France aujourd’hui ? ». Ce sera pour Marc Henry l’occasion de rencontrer le grand public, mais aussi les membres rennais de son obédience. En une période de profonde recomposition du paysage maçonnique français.
Un panorama chamboulé
Il y a peu de temps encore, la carte maçonnique était assez simple et marquée, dans l’opinion publique en tout cas, par la position dominante du Grand Orient de France. Et pour cause, cette obédience a pour elle son ancienneté ainsi que ses effectifs (50000 membres, dont quelques femmes depuis sa récente mixité). Quant à sa notoriété, elle la doit de plus en plus à ses prises de positions dans le débat public, voire politique. Souvent classé à gauche (difficile d’en être le Grand Maître sans être encarté au PS, à l’exception du dernier élu qui confesse juste avoir soutenu François Hollande), le Grand Orient de France se fend régulièrement de communiqués (mariage pour tous, crèche Baby-Loup, etc.). Parfois même un communiqué émane d’une loge parmi les 1170 qui composent cette obédience. Le dernier en date – bien que désavoué par le Grand Maître – condamnait les méthodes de Manuel Valls « reprenant les vieilles techniques utilisées en leur temps par les fascistes et l’extrême-droite »(1).
Cette position dominante est en pratique menacée depuis une dizaine d’années par la Grande Loge Nationale Française. Forte de 44000 membres il y a encore quatre ans, cette obédience, qui était la seule à être reconnue par la Grande Loge Unie d’Angleterre, pratique une maçonnerie traditionnelle, théiste et exclusivement masculine. La croyance en Dieu est a priori une condition sine qua non de l’entrée en son sein.
Plus déiste que théiste, mais tout aussi masculine et engagée dans une voie d’amélioration humaine et spirituelle de ses membres, la Grande Loge de France regroupe plus de 35000 membres. Ces frères pratiquent le Rite Ecossais Ancien et Accepté au sein de loges qui, comme à la GLNF, ouvrent leurs travaux « A la gloire du Grand Architecte de l’Univers »(2).
On peut également citer la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (4500 membres) issue de la GLNF dont elle partage les valeurs (maçonniques tout au moins).
Dans ce panorama maçonnique exclusivement masculin (l’ouverture du GODF aux femmes demeure fort récente), la Grande Loge Féminine de France regroupe 12000 sœurs. Elle constitue la plus importante obédience féminine en France. De la même manière, le Droit Humain est, avec 17000 membres, la plus importante obédience mixte.
Mais voilà, la GLNF a connu à partir de 2008 une crise sans précédent. La gouvernance de son Grand Maître de l’époque, François Stifani, suscite alors les plus vives critiques d’un nombre croissant de frères (absence de démocratie interne, politique de recrutement hasardeuse, soupçons d’affairisme et d’enrichissement personnel, notamment dans le cadre d’une maçonnerie d’affaires située sur la Côte d’Azur). L’obédience s’enlise durant 5 ans dans d’interminables procédures judiciaires au terme desquelles elle explose en vol. Elle perd son sésame international : la reconnaissance de la Grande Loge Unie d’Angleterre(3). Son nouveau Grand-Maître, Jean-Pierre Servel, s’emploie depuis son accession au pouvoir il y a quelques mois à la recouvrir. Ses efforts seraient en bonne voie [NDLR : ladite reconnaissance a eu lieu depuis, en juin 2014]
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, entre temps, la diminution de moitié des effectifs de la GLNF depuis 2011 a entrainé une recomposition du paysage maçonnique et… suscité de nouvelles ambitions.
Quelles sont les aspirations internationales de la Grande Loge de France ?
De fait, une partie des frères qui ont préféré quitter l’obédience a rejoint la Grande Loge de France ou la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra, dont les pratiques maçonniques sont proches. D’autres on fait le choix de créer de nouvelles obédiences. Ainsi a-t-on vu apparaître la GLAMF, la GLTF, la GLIF ou encore la GLEFU – née de l’union de la GLEF et de l’OFU… Souvent ces créations sont le fruit d’une volonté de travail maçonnique authentique et traditionnel dans une structure apaisée, parfois elles sont le symptôme d’une « cordonnite(4)», maladie terriblement profane qui pourtant ne touche que des initiés…
Marc Henry a été initié en 1976 au sein de la loge Memphis France. Ancien danseur puis journaliste (notamment à Radio Tour Eiffel, puis dans une agence de presse pour radios locales privées), il a repris des études supérieures afin d’acquérir un DESS de psychologie. Il est devenu ensuite le responsable formation d’une filiale du groupe France Télévisions (en charge du sous-titrage pour les sourds et malentendants). Avant de devenir Grand Maître de la Grande Loge de France en juin 2012, il a aussi présenté, sept années durant, les émissions maçonniques de la GLDF sur France-Culture. |
Quant aux spectateurs de l’explosion de la GLNF, ils ne sont pas restés insensibles à « l’appel de Bâle ». Une déclaration commune des Grandes Loges régulières(3) de Suisse, d’Autriche, du Luxembourg, de Belgique et d’Allemagne. Elle invite la Grande Loge de France à jouer un rôle majeur pour que la maçonnerie française retrouve grâce aux yeux de la Grande Loge Unie d’Angleterre. Ainsi est née la Confédération Maçonnique de France (GLDF, GLTSO, GLAMF, GLIF). Les quatre obédiences qui la composent ont en commun de respecter les règles traditionnelles (invocation du Grand Architecte de l’Univers, présence de la Bible durant les travaux, non-mixité, interdiction d’évoquer les questions politiques ou religieuses…). Ce qui ne peut être vu que d’un bon œil par Londres. Mais là où le bât blesse, c’est que certaines de ces obédiences, comme la Grande Loge de France, entretiennent de bonnes relations avec celles que la Grande Loge Unie d’Angleterre voue aux gémonies de l’irrégularité, à commencer par le Grand Orient de France.
La Grande Loge de France ira-t-elle jusqu’à rompre toute relation avec le Grand Orient ? Si oui, le fera-t-elle dans l’unique but d’obtenir la reconnaissance anglaise (dont les membres de la GLDF se sont passé jusqu’alors sans que cela nuise à leur travail maçonnique) ou parce qu’il lui faudra bien constater que l’une et l’autre obédiences incarnent deux visions très différentes de la maçonnerie ?
En effet si la Grande Loge de France se définit comme « un Ordre traditionnel et initiatique fondé sur la fraternité » le Grand Orient est lui « une association essentiellement philosophique, philanthropique et progressive ». Si l’une n’intervient pas dans le débat public, l’autre ne manque pas de le faire. Quand, à la Grande Loge de France, on s’interroge sur la transcendance, le symbolisme du triangle ou la quête de la Vérité ; au Grand Orient, on préfère évoquer la déréglementation de l’économie, la mondialisation ou la surpopulation en milieu carcéral.
Soit on cherche à changer l’Homme pour le plus grand bonheur de la société, soit on cherche à changer la société pour le plus grand bonheur de l’Homme. Les deux démarches sont éminemment respectables, mais fondamentalement différentes.
Et si la rupture devait avoir lieu, qu’en serait-il des ateliers de la GLDF travaillant dans des temples du GODF et inversement ? Qu’en serait-il des projets immobiliers communs d’une GLDF dont les locaux de Rennes Saint-Jacques deviennent exigus et d’un GODF dont le temple rennais de la rue Thiers n’est plus aux normes de sécurité ?
Autant de questions que le Grand-Maître Marc Henry n’évoquera probablement pas au cours de sa conférence, son objet n’étant pas là. Mais on peut imaginer que ces questions seront dans les esprits des membres de son obédience qu’il rencontrera à l’occasion du 30e anniversaire de la loge rennaise Egrégore(5).
——————
(1) Il s’agit de la Loge Altérité à Tours
(2) La Franc-Maçonnerie étant née en Occident, elle est ancrée dans un héritage religieux chrétien affirmé. La prière d’ouverture de Grand Lodge n° 1 au XVIe siècle comprend une dédicace sans ambigüité : « Que la puissance du Père du ciel et la sagesse du Fils glorieux, par la grâce et la bonté du Saint-Esprit, qui sont trois personnes et un seul Dieu, soient avec nous à notre commencement et nous donnent la grâce de nous gouverner ici dans notre vie de telle sorte que nous puissions parvenir à sa béatitude qui n’aura jamais de fin. Amen. » Jusqu’à la charnière du XVII et du XVIIIe siècle, la mention de la trinité, Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur et l’identification de Dieu le Père au GADLU sont opéré pour que l’initié soit « enrichi de ta divine Sagesse afin qu’il puisse, avec les secrets de la maçonnerie, résoudre les mystères de la divinité et du christianisme ». Dissensions politiques et religieuses conduiront à un déclin qui est consommé au XVIIIe avec, en contrepoint, l’érosion du caractère chrétien et trinitaire. Toutefois, à l’exception du GODF qui a modifié les textes des cérémonies (appelées respectivement “rituels” et “tenues”) pour en éliminer la dimension chrétienne, les principaux rites – français, écossais, york, suédois – présentent tous et toujours une dimension chrétienne essentielle (mais non-institutionnelle).
(3) La reconnaissance d’une seule obédience par territoire est opérée par la Grande Loge Unie d’Angleterre, laquelle joue en quelque sorte le rôle d’obédience mère pour la maçonnerie régulière mondiale (bien que certains historiens contestent le bien-fondé chronologique de cette primauté).
(4) Addiction aux cordons et autres décors maçonniques.
(5) L’une des cinq loges rennaises de la GLDF. Une sixième devrait, selon nos sources, voir le jour prochainement.