François Legeait et Gaël Le Ny photographient le quartier kurde de Ben U Sen

François Legeait et Gaël Le Ny sont des photographes engagés. Ils exposent à l’Antipode de Rennes 24 photos sur le quartier kurde de Ben U Sen, situé dans la ville de Diyarbakir au sud-est de la Turquie. En préambule d’un livre sur le même sujet qui paraîtra début mai aux éditions de Juillet accompagné de textes du chanteur Élie Guillou.

François Legeait a réalisé auparavant 4 ouvrages avec ce même éditeur, anime des ateliers photos et s’est intéressé à l’Irlande, le Cambodge, la Palestine et aux migrants de Calais. Gaël Le Ny est professeur de photographie à l’école MJM de Rennes et s’est investi pour le peuple kurde depuis 2002. C’est à l’occasion d’un reportage en Palestine, à Haïfa, qu’ils se sont connus. Les deux comparses ayant en commun un intérêt pour les peuples opprimés et les populations francois legeaiten difficulté, c’est naturellement que Gaël embarqua son nouvel ami vers le Kurdistan pour y photographier les Kurdes en arrière-plan de la présence de la Ville de Rennes dans la réalisation d’un diagnostic sur la réhabilitation des murailles de Dijarbakir.

La paire de reporters désirait fortement photographier les Kurdes de Turquie en ce qu’ils ont de plus profond. Ils ont déniché une histoire qui s’enracine sur le territoire et permet de parler de l’histoire récente de ce peuple. Le quartier de Ben U Sen, demeurant au pied de la forteresse de Diyarbakir, correspondait en tout point à cette richesse inhérente d’un peuple assujetti par le pouvoir turc depuis pas loin d’un siècle, dès lors que Mustapha Kemal Atatürk, le premier président de la République de Turquie, a trahi les promesses du traité de Sèvres (1920) sur son droit à l’autonomie.

Le quartier Ben U Sen

Cet arrondissement, situé en surplomb de la Vallée du Tigre, est une émanation urbanistique de la ville de Diyarbakir entourée d’une muraille de basalte longue de 3.5 km. Le premier peuplement, en majorité Kurde, date d’il y a cent ans environ. L’actuel est lié à la campagne de l’armée turque dans les années 90 qui chassa de nombreux paysans de leurs villages rasés parce qu’ils servaient de relais à la guérilla du PKK, à l’arrivée récente d’une vague de réfugiés diyarbakir ben u sende Syrie, et même à l’existence d’une population tzigane autochtone. Le quartier compte environ 18 000 âmes. Il est comme jonché sur un promontoire naturel, ressemblant quelque part aux favelas de Rio. Les paysans débarqués dans les années 90 y ont construit des habitations de fortune, souvent en rajoutant des étages à des maisons en parpaings. Ils ont créé une ville-village en dehors de la cité de Diyarbakir qui compte environ 1.8 million habitants, officiellement 1.2 million pour l’État turc. On y trouve de tout : épiceries, potagers, productions agricoles, abattage, etc. Il y a aussi une école, mais uniquement en langue turque, car l’enseignement du kurde est interdit. L’eau courante et l’électricité ne font pas défaut, mais pas le tout-à-l’égout, l’eau de ruissellement étant déversée vers le centre et la rue principale, d’où elle est évacuée. L’emploi salarié est quasi-inexistant dans cette communauté alors que le chômage n’y est presque pas visible, car cette microsociété fonctionne sur la base de la solidarité. Peu d’argent tourne dans cette économie vraiment « solidaire et sociale », le troc y fonctionne à merveille.

L’importance de ce quartier et de la région

Pour nos photographes, le quartier de Ben U Sen est essentiel par rapport à la résistance au pouvoir central emmuré dans sa conception mono-ethnique et centralisatrice de l’État, et vis-à-vis du monde ultra-libéral uniforme, contraignant et antisocial qui gagne du terrain chaque jour qui passe. Dans ce faubourg, la police ne rentre pas, mais il n’y a pas vraiment de délinquance. L’habitat y est sommaire sans que les résidents soient dépourvus de sérénité. L’hôtellerie de luxe et les lieux de sortie à l’occidentale y sont absents sans que la population ait perdu l’envie de sortir dans la rue et de parler. Ce territoire est un îlot de résistance socio-culturelle à la brutalité des armes et de l’argent. Il est quelque part anthropologiquement beau.

turquieLa ville de Diyarbakir, capitale du Kurdistan, est elle-même un pays dans le pays. Les maires élus, toujours kurdes, excèdent Ankara. Quelques-uns ont été emprisonnés de manière honteuse et ridicule. Abdullah Demirbas, par exemple, maire de la municipalité de Sar, arrondissement de Diyarbakir, a été destitué en 2007 par l’État turc pour avoir adopté le multilinguisme et proposé les documents administratifs en plusieurs langues (turc, kurde, syriaque et arménien), et incarcéré en 2009 sans être jugé.

Plus largement, Diyarbakir est stratégiquement située sur les bords du Tigre, aux croisements de deux continents, de plusieurs régions et influences, aux portes de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran, et surtout au centre de nombreuses voies fluviales du sud-est de la Turquie qui constituent une richesse, mais aussi une source de conflit lorsque le pouvoir central utilise l’eau comme pression contre les pays voisins, et construit des barrages démentiels, dont le plus imposant, Atatürk.

Réhabilitation de la forteresse de Diyarbakir

Il y a quelques années, la Turquie a décidé de restaurer les remparts de Diyarbakir en établissant un périmètre de protection de 300 mètres intra et extra-muros. La municipalité de Diyarbakir a été mandatée pour étudier la réhabexpo kurdeilitation des quartiers concernés par l’aménagement. C’est dans ce cadre que la Ville de Rennes est intervenue comme conseil afin de réaliser une étude topographique du quartier dans le cadre des Ateliers de maîtrise d’œuvre de Cergy. Ce soutien de la municipalité rennaise, bien que datant de 30 ans, n’a débouché sur aucune convention, aucun projet, ni même une perspective de jumelage ; les élus rennais ayant vraisemblablement eu peur de froisser la Turquie.

Du coup, la mairie de Diyarbakir s’est retrouvée seule à devoir gérer ce plan de réhabilitation prévu par l’État Turc en cogestion forcée avec le Ministère de la culture et du patrimoine qui a pris le relais du TOKI, office national d’urbanisme, tête pensante de la vision urbanistique ultralibérale du premier ministre Tayyip Erdogan. Malgré le bon état des murailles, les penseurs du parti gouvernemental AKP ont peut-être imaginé faire par le biais de cette gentrification d’une pierre deux coups : réaliser un fructueux projet immobilier et casser une résistance culturelle impossible à quadriller. Quoiqu’il en soit, il a d’abord été institutikurdistanonnellement convenu de garder uniquement les maisons et bâtiments aux normes et de bâtir ici et là des immeubles collectifs de 5 à 10 étages pour les personnes déplacées. La municipalité s’est alors démenée, en opposition à l’État, pour garantir le maximum de relogements sur place. Mais tout ceci est très hypothétique avec un pouvoir jacobin qui ne sait pas déléguer les compétences qui pourraient l’être comme les questions urbanistiques.

La population du quartier Ben U Sen est désormais en péril, sous la menace des bulldozers du parti AKP et d’un relogement aléatoire… La seule bonne nouvelle relative proviendrait du classement de la forteresse sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO qui devrait intervenir le 15 juin 2015 et qui offrirait des moyens financiers pour une réhabilitation intelligente et contrôlée.

Les perspectives d’avenir pour les Kurdes

On voit parfaitement à travers le symbole de ce renouvellement urbain contraint d’un quartier historique que le règlement du conflit entre la résistance kurde et l’armée turque est loin d’être réglé, malgré la signature d’un cessez-le-feu historique, au Nouvel An kurde (newroz) du 21 mars 2013, par le leader kurde Abdullah Öcalan (emprisonné depuis 1999). Pour résumer la situation, les Turcs soufflent le chaud et le froid sans que les Kurdes et leur résistance puissent compter réellement sur une ouverture politique franche. Mais l’horizon de ce peuple disséminé à travers la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran, dont le nombre varie entre ben u sen25 à 30 millions de citoyens, n’est pas complètement gris et fermé. En effet, l’image des Kurdes dans l’opinion mondiale a énormément changé, surtout depuis que les Peshmergas combattent au sol l’État islamique en Irak et reprennent peu à peu le territoire conquis.

De plus, un changement important vient d’intervenir avec l’Iran qui, ayant trouvé un accord sur le nucléaire avec les Américains, devient de fait « la » puissance régionale. Ce bouleversement géopolitique ne résout pas pour autant les problèmes des Kurdes iraniens – lesquels, faut-il le rappeler, ont connu brièvement une république autonome en 1946 (proclamation brisée par un accord entre l’URSS et l’Iran) –, mais laisse la place à la constitution d’un État kurde en Irak et au nord-est de la Syrie. Peut-être que ces autonomies pousseront Tayyip Erdogan à conclure une vraie paix pour ne pas se risquer à faire une autre guerre qui serait beaucoup plus coûteuse qu’auparavant. Les États-Unis ont apparemment décidé de changer leurs alliances au Moyen-Orient. Et la Turquie fait partie des pays qui n’ont pas toujours eu une politique loyale vis-à-vis des Occidentaux en dépit de leur appartenance à l’OTAN. Elle risque beaucoup à s’entêter avec un peuple kurde qui est aussi lassé par ce conflit qui n’en finit plus (45 000 morts depuis 1884, 2 à 3 millions de personnes exilés). Dans l’absolu, il vaudrait mieux accorder un peu d’autonomie et des droits à ce peuple que laisser pourrir la situation et provoquer un irrédentisme encore plus vivace. L’opinion publiGael Lenyque turque doit évoluer radicalement quant à la question kurde. On évoque d’ailleurs la possible libération d’Abdullah Öcalan.

Et l’Occident a tout intérêt à s’associer et à coopérer avec de réelles structures nationales proches de ses valeurs démocratiques et sociétales. Contrairement à des pays multiconfessionnels comme la Syrie et à l’Irak, les Kurdes sont une vraie entité culturelle, sur laquelle peut être bâti un État stable. De surcroît, leur intention politique promeut un projet de « confédération démocratique » fonctionnant sur la démocratie participative. En Syrie, ce principe est déjà à l’œuvre dans trois cantons au nord-est, le Kurdistan occidental. L’avenir du Moyen-Orient s’écrira désormais sur un nouveau modèle politique et de nouvelles frontières. C’est une des rares issues envisageables pour apaiser cette région du monde et garantir la survie des Chrétiens d’Orient. Les grandes puissances, malgré des intérêts divergents, peuvent trouver respectivement des avantages à la création d’un foyer national kurde autonome.

L’exposition Ben U Sen L’Âme kurde de François Legeait et Gaël Le Ny montre la réalité à la fois heureuse et malheureuse de ce bidonville qui refuse d’en être un. Elle se déroule du 3 avril au 7 mai à l’Antipode de Rennes.

Bon de souscription à télécharger ici

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