Du 22 au 25 novembre 2017, le festival Migrant’scène s’installe à Rennes. Entre concerts, lectures, débats et projections, une exposition photographique retiendra l’attention. Du 17 novembre au 22 décembre 2017, François Legeait, photographe engagé sur de nombreux sujets d’actualité, expose Calais : des ruines aux jungles au Grand Cordel.
Il est essentiel de sensibiliser et de mobiliser le public et le festival devrait y contribuer.
Unidivers : François Legeait, vous exposez du 17 novembre 2017 au 22 décembre 2017 une série de clichés sur la jungle de Calais à l’occasion du Festival Migrant’scène. Est-ce la première fois que vous participez à ce festival ?
François Legeait : En effet. C’est la MJC Grand Cordel qui m’a invité à exposer dans le cadre de Migrant’Scène. Notre intention initiale était de reprendre des images existantes puisque je travaille sur Calais depuis longtemps. Mais mes reportages sur le Moyen-Orient permettaient une mise en perspective que nous avons jugé intéressante. C’est donc une nouvelle expo qui y est présentée.
U. : Qu’est-ce qui vous intéresse ou/et séduit dans Migrant’scène ?
François Legeait : Le public est surinformé – mais rarement à bon escient – sur la crise migratoire qui est un enjeu politique majeur. Tous les gouvernements l’ont instrumentalisée à leur profit, sans rechercher de solutions pérennes (et courageuses) à ce qui est d’abord un drame humain. À cet égard, il est essentiel de sensibiliser et de mobiliser le public. Le festival y contribue.
U. : Votre exposition présente un voyage : celui des migrants entre leurs différents pays d’origine et leurs conditions d’accueil à Calais. D’où part-on ? Où va-t-on ? Que perd et gagne-t-on ?
François Legeait : La première partie de l’exposition montre des images de Turquie, de Syrie et d’Irak. Elles évoquent l’exode, les civils fuyant les combats, les camps de réfugiés… La seconde revient sur les conditions de vie à Calais depuis une dizaine d’années. Et elles n’ont jamais été pires qu’aujourd’hui ! L’idée est de rappeler qui sont les « migrants » – un terme que je n’aime pas beaucoup, mais par quel autre le remplacer ? En réalité, il y a des phénomènes migratoires, mais il n’y a pas de « migrants ». Il n’y a que des gens qui essaient de s’en sortir.
U. : Est-ce que cette exposition est aussi une occasion pour vous de sensibiliser le public sur les migrants et leurs conditions de vie réelles à Calais ?
François Legeait : Oui, bien sûr. Le gouvernement communique sur le prétendu succès du démantèlement de la « jungle », l’année dernière. En un an, nous dit-il, nous serions passés de 8000 à 500 migrants à Calais ! Toutefois, malgré une débauche invraisemblable de moyens, des violations répétées des droits de l’Homme envers une population particulièrement vulnérable et son maintien dans des conditions sanitaires révoltantes, le phénomène persiste ; et il ne fait aucun doute que, d’ici peu, on sera revenu aux mêmes chiffres ! Cette communication est de la désinformation pure et simple. Les gens doivent connaître la réalité.
U. : Ce n’est pas la première fois que vous souhaitez mettre en avant le thème des réfugiés et des migrants et leur place dans la société actuelle. Vous êtes l’auteur de cinq ouvrages : Destins Clandestins, les réfugiés après Sangatte (2006), Palestine 141 (2008), Amok, un atelier photo au Cambodge (2010), Askarkids, un atelier photo en Palestine (2010) et Ben U Sen (2015), qui est également une exposition. Une ligne rouge et une ligne droite…
François Legeait : Oui, en effet. Avant le Kurdistan, j’ai travaillé sur la Palestine, sur Calais, mais aussi sur l’Irlande du Nord. Ce qui m’intéresse, c’est la résistance et la résilience de populations confrontées à l’oppression ou au conflit. Comment une minorité défend-elle ses droits, sa culture ? Comment un peuple résiste-t-il à la violence d’un Etat ? Comment une communauté survit-elle à la guerre ? Qu’est-ce qui, à titre individuel, nous fait tenir bon quand tout s’écroule autour de nous ? Qu’est-ce qui nous tient debout ?… L’exode fait partie des options, souvent en dernier ressort. La migration est donc un aspect de ce travail, et peut-être un des plus sensibles, parce qu’elle constitue une sorte de lien entre « là-bas » et « ici ». Elle fait en quelque sorte partie de mon quotidien.
U. : Que cherchez-vous à susciter chez le spectateur ?
François Legeait : Par sa mise en œuvre graphique, la photo d’information cherche à capter l’attention et à provoquer une émotion chez le spectateur. Par sa sémantique, elle a pour objectif de transmettre une information. De l’émotion provoquée dépend la perception de l’information. La subjectivité du photographe se manifeste donc dans chaque image, et il faut en être conscient.
U. : Vous travaillez souvent avec des enfants, notamment en organisant des ateliers photo, au Cambodge et en Palestine. Vos deux ouvrages, Amok, un atelier photo au Cambodge et Askarkids, un atelier photo en Palestine, sont les résultats de votre collaboration avec les enfants de ces deux pays. Pourquoi les enfants plutôt que les adultes ? Que représentent-ils dans la crise actuelle ?
François Legeait : Tout a commencé au camp de réfugiés d’Askar, en Cisjordanie. Après avoir photographié les jeunes Palestiniens dans « Palestine 141 », il m’a paru logique de leur donner à leur tour la parole. Ils sont les mieux placés pour parler de leur vie, et la photographie est un outil adapté. Les enfants représentent l’avenir, naturellement, mais il faudrait surtout qu’ils incarnent l’espoir. Cela passe par l’éducation et la culture, et relève de notre responsabilité. D’où ces ateliers.
U. : La crise migratoire est devenue un important sujet d’actualité en France, mais également en Europe. Selon vous, les gouvernements se mobilisent-ils suffisamment pour venir en aide aux réfugiés ?
François Legeait : Absolument pas. Ils se mobilisent d’ailleurs moins pour leur venir en aide que pour s’en débarrasser. Dans « Destins Clandestins », j’écrivais : « Nous ne les considérons pas comme des victimes qui sollicitent notre protection, mais comme une menace dont il conviendrait de se protéger ». C’est toujours vrai. De plus, obnubilés par la montée du « populisme », nos gouvernements se livrent à une surenchère répressive totalement contreproductive, qui fait le lit de l’extrême droite bien plus que l’arrivée quotidienne de nouveaux « migrants ».
U. : Quels sont vos projets ?
François Legeait : Un nouvel ouvrage est en préparation avec mes compères Gaël Le Ny (NDLR avec qui il a collaboré à l’exposition Ben U Sen) et Elie Guillou. Une rétrospective des cinq années écoulées au Kurdistan de Turquie : les espoirs suscités par l’ouverture de négociations de paix en 2012, le glissement du régime turc vers la dictature jusqu’à la reprise des combats et la destruction des villes kurdes en 2016. Ensuite, je repartirai vers d’autres horizons…
François Legeait Exposition Calais des ruines aux jungles. Du vendredi 17 novembre au vendredi 22 décembre 2017. Le Grand Cordel 18, rue des Plantes 35000 Rennes.
02 99 87 49 49
contact[@]grand-cordel.com