Chacun imagine banalement que bonheur et malheur sont le recto et le verso de nos amours. Si seulement c’était aussi simple ! S’il suffisait de retourner la page pour comprendre. En 10 chansons et 10 chapitres, l’espace d’un disque et d’un livre, Françoise Hardy déroule la spirale qui relie entre eux les feuillets de nos amours heureuses et malheureuses. La chanteuse, la parolière, et maintenant la romancière, a accepté de répondre à nos questions avec la franchise et la douce autorité que l’on connait d’elle. L’Amour fou est à la fois son vingt-septième album et son premier roman.
Jérôme Enez-Vriad : 10 chansons. 10 chapitres. L’amour fou, le disque mais aussi le livre portent le même titre. Doivent-ils être envisagés comme un diptyque ou deux œuvres distinctes ?
Françoise Hardy : J’ai souvent eu l’occasion de dire que le livre raconte l’histoire d’amour que, dans les grandes lignes, j’ai vécue toute ma vie. De plusieurs histoires, j’ai tenté d’en faire une seule. Ce sont les tourments qui y sont rapportés qui ont inspiré la plupart de mes textes de chanson – d’hier et d’aujourd’hui.
Le roman exprime l’amour comme une longue espérance. On retrouve dans votre écriture le style languissant et mélodieux du disque. Peut-il alors être envisagé comme la bande originale du livre ?
Non, puisque, comme je l’évoquais, la plupart de mes textes des albums passés, y compris des plus anciens, ont pris leur source dans ce que raconte le livre. Comme exemples les plus frappants, je prendrais : Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin, Mer, La Question, Où est-il ?, Message personnel, etc. J’arrête là, car 85% de mes textes sont concernés, en réalité !
Il semble que vous ayez écrit l’antithèse de L’Amant, dans la mesure où vous décrivez l’impossibilité d’unamour probable, là où Duras exprime le contraire : la possibilité d’un amour improbable.
C’est votre liberté d’interpréter les deux livres de cette façon originale, mais il me semble qu’on pourrait trouver d’autres parallèles aussi étranges et aussi vagues, de ceux que l’on peut retourner comme une crêpe…
Les sept premiers chapitres relèvent d’une narration anonyme à la troisième personne du singulier. Les trois derniers sont écrits à la première personne. Une explication sur ce choix ?
Bizarrement, c’est la seule question que tous les journalistes sans exception m’ont posée. Ils étaient sans doute en mal d’inspiration ! Ce choix comme vous l’appelez, n’a justement pas été un choix, c’est venu très naturellement. Instinctivement. Et je ne saurais vous en donner une explication rationnelle.
On connaît votre intérêt pour l’astrologie et l’on imagine aisément le signe de X., personnage masculin du roman. Etant moi-même Verseau, je m’y suis reconnu dés lors que vous le décrivez ainsi : « X. était de ces êtres devant qui toutes les défenses s’effondrent avant qu’on s’en aperçoive, d’autant mieux qu’ils n’ont aucune conscience de leur pouvoir. » Avez-vous pensé à son signe en créant le personnage ?
Ce qui caractérise en premier lieu le personnage masculin, c’est son ambiguïté, son insaisissabilité, son impossibilité à s’engager, surtout amoureusement. Aucun de ces traits ne correspond aux tendances auxquelles prédispose le Verseau qui, comme tous les signes du centre de la saison, est un signe de détermination, de ténacité et qui se différencie des autres signes par sa faculté à positiver et se projeter dans un avenir meilleur. Des signes tels que la Balance ou les Poissons prédisposent à l’insaisissabilité, à cause de l’indécision qui les caractérise. Les Gémeaux et le Sagittaire aussi, mais c’est à mettre sur le compte du besoin de liberté et de renouvellement permanent. Mais ce sont les dominantes planétaires qui sont les plus révélatrices : une forte composante neptunienne ou une forte composante mercurienne peuvent favoriser l’ambiguïté et la difficulté à s’engager. Cela dit, on aurait tort de ne considérer que le conditionnement « céleste » que chacun actualise en fonction de ses autres multiples conditionnements. En l’occurrence, les tout premiers conditionnements affectifs sont les plus déterminants de tous.
Pourquoi ne pas avoir prénommé ce personnage alors qu’un banal X laisse entrevoir toutes les hypothèses faciles qui font référence à votre propre vie ?
Parce que le personnage de X est une sorte de synthèse des quelques hommes qui ont compté dans ma vie et qui, chacun à leur façon, avaient les caractéristiques évoquées que mon propre comportement aggravait sans doute.
Maintenant que le mariage existe pour tous, X eut-il pu être une femme ?
Suggérez-vous que mon récit aurait pu concerner une histoire entre deux femmes. Pourquoi pas ? Ne connaissant pas du tout ce type de relation, il m’est difficile d’en parler, mais les interactions et jeux de pouvoir y sont sans aucun doute les mêmes. Par ailleurs, les problèmes de l’un des partenaires sont souvent pour celui qui en pâtit ostensiblement une façon de se dissimuler qu’il a en partie des problèmes similaires. Par exemple, la peur de s’engager de celui qui se rend insaisissable masque souvent une peur identique chez l’autre, dont il est complètement inconscient. Car au fond, n’être attiré que par des êtres fuyants peut signifier que l’on fuit soi-même l’engagement.
Revenons au disque. Le piano ponctue l’essentiel des titres à la manière de Chopin, un peu comme si les mélodies se prolongeaient à la fin des chansons. Avez-vous écrit sur les musiques, ou la musique s’est-elle ensuite greffée sur les textes ? Parolière ou auteur ?
Je ne peux écrire qu’à partir de et sur une mélodie qui me touche profondément.
« Et dire que tout à l’heure, le bourreau de mon cœur me couvrait de si jolies fleurs… » À ceux qui disent que les amours malheureuses sont un fonds de commerce dont Françoise Hardy ne sort pas, vous répondez quoi ?
Elles sont le fonds de commerce de la plupart des chansons et pas seulement des miennes ! Et puis, comme l’a écrit Aragon, il n’y a pas d’amour heureux. Cette assertion est d’ailleurs un pléonasme (tout comme l’expression « l’amour fou »)…
Cet album n’est-il pas plus représentatif de la femme que de l’auteur ?
L’auteur est et a toujours été indissociable de la femme chez moi, et mon dernier album est dans la continuitéde tous les précédents. Depuis 1962, j’écris la même chose, je tourne autour du même pot, avec des variantes en rapport avec mon âge.
Un conseil de livre et de disque après avoir lu et écouté les vôtres ?
L’album de Maissiat : Tropiques. Le livre d’Hélène Grimaud : Retour à Salem.
Si vous aviez le dernier mot, Françoise Hardy.
Ce n’est qu’un au revoir…
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L’amour fou de Françoise Hardy
Le disque chez EMI, en CD et téléchargement
Le livre chez Albin Michel, 182 pages – 16,50 €