En cent ans, nos définitions du proche et du lointain ont été bouleversées. Les systèmes de solidarité sont attaqués et leur légitimité mise en doute. La construction de l’Europe n’enthousiasme plus. Les étrangers font peur et tous les pays riches limitent le flux d’immigrants. Les relations sociales de proximité sont devenues plus violentes. Les menaces : terrorisme, crack financier, pandémie, effrayent. Qui est mon prochain ? De qui me montrer solidaire ? Avec qui élaborer le vivre ensemble, le développement économique ou les dispositifs qui me protègeront des risques ? Des questions ardues et des réponses jamais unanimes.
Pour répondre à ces questions, l’auteur examine les lignes de force qui dessinent les logiques du proche et du lointain, les tensions sociales provoquées, les pratiques de solidarité qui subsistent ou émergent, malgré tout.
À son époque, l’Eglise primitive a redéfini à l’échelle du bassin méditerranéen la fraternité (et donc de la proximité), le dialogue interculturel, les échanges… Sommes-nous capables, aujourd’hui, de répéter, à notre mesure, une telle expérimentation ? Quel rôle les chrétiens et les Eglises peuvent-ils jouer dans le contexte actuel d’une redéfinition radicale du proche et du lointain ? Quelles nouvelles solidarités, quels nouveaux échanges peuvent-ils promouvoir ?
Si proches mais si loin les uns des autres, Qui est mon prochain dans la société mondialisée ? Frédéric de Coninck, Editions Olivétan, 2011, 92 p., 14 €
Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho…
Les affres de la solidarité lorsque l’espace s’élargit et que la mobilité augmente
La parabole du bon Samaritain est l’un des textes les plus connus et les plus commentés de l’évangile de Luc. Elle est introduite par un bref dialogue entre un légiste et Jésus à propos, notamment, du commandement : «tu aimeras ton prochain comme toi-même». Ce commandement soulève une question chez le légiste : «qui est mon prochain ?» (Le 10.29). Lorsque nous lisons le texte, aujourd’hui, nous considérons volontiers cette question comme mesquine. Le légiste nous semble chercher la petite bête et restreindre un peu vite la portée du commandement de Dieu. Je crois, pour ma part, que sa question était sincère et qu’elle renvoyait à un authentique malaise qui le travaillait. Et je pense, qui plus est, que ce malaise est largement analogue au malaise que ressentent aujourd’hui beaucoup d’hommes sur la surface de la terre.
L’idée de prochain, en grec comme en français, renvoie à l’idée de quelqu’un qui est près de nous : «proche». Mais proche dans quel sens ? Au premier siècle de notre ère, les conditions de la proximité ont bien changé. Il est devenu plus facile de se déplacer dans l’ensemble de l’Empire romain. Depuis le règne d’Auguste (le «César Auguste» mentionné au moment de la naissance de Jésus), les conflits régionaux se sont éteints en Asie Mineure et les guerres se sont éloignées aux frontières de l’Empire, loin de la Méditerranée alors sillonnée par de nombreux navires. Les routes romaines se sont multipliées et tout cela est d’ailleurs lisible en creux quand on remarque avec quelle facilité les apôtres voyagent dans le livre des Actes. Paul mentionne bien l’existence de bandits (2 Co 11.26); il y en a également dans la parabole, mais il n’en reste pas moins que la mobilité a considérablement augmenté à cette époque. On se retrouve donc à croiser dans la ville ou sur les routes des personnes qu’on ne connaît pas. Celui qui est proche dans l’espace n’est pas forcément proche socialement.
Et puis il y a pire et cela remonte à plus loin. Depuis 63 avant Jésus-Christ, la Palestine est occupée par les Romains. Les juifs croisent tous les jours, dans les rues, une armée d’occupation. La Palestine est une colonie dont les richesses partent à Rome. Ces soldats ennemis sont proches, trop proches : sont-ils des prochains ?