L’œuvre du peintre, graveur et illustrateur Géo Fourrier est importante mais peu connue. Présentation d’un artiste breton qui mérite une plus grande attention.
Géo Fourrier, de son vrai nom Georges Nicolas Fourrier, naît à Lyon en 1898. Son œuvre recense des gravures, peintures et illustrations, une pluralité d’usage des techniques plastiques qui font l’originalité de son travail. Alité à cause d’une pneumonie entre 1914 et 1917, il se passionne pour les arts, et particulièrement les arts japonais qui auront une grande influence sur la production artistique bretonne qu’il laissera aux générations futures.
Il se forme à la gravure sur bois auprès du japonais Urishibara et de Prosper-Alphonse Isaac avant d’entrer à l’École Nationale des Arts Décoratifs de Paris, en 1921. De cette expérience universitaire naissent des amitiés avec des artistes tels que Mathurin Méheut et Jean-Julien Lemordant, le folkloriste Anatole Le Braz, le poète et romancier Charles Le Goffic ou encore l’écrivain et officier de marine Pierre Loti.
La découverte du pays Bigouden, son pays de cœur, remonte aux années 1924-1926. C’est à cette période qu’il exécute 14 gouaches devant illustrer un ouvrage Les Bigoudens, jamais édité de son vivant. Cependant, il utilisera ces 14 œuvres comme sources d’inspirations dans lesquelles il reviendra sans cesse puiser.
Géo Fourrier passe également quelque temps dans le Trégor, en 1926, l’occasion de réaliser les illustrations du Crucifié de Kéraliès de Charles Le Goffic. Il s’agit d’une commande de Louis Aubert, créateur de la revue La Bretagne touristique et qui, conquis par le talent de Géo Fourrier, lui confie l’illustration de ce premier volume de la Société des Bibliophiles Bretons. Un premier travail autour de la Bretagne sur lequel il reviendra lors de son installation définitive à Quimper.
Un travail d’ethnographe
Suite au succès d’un bois gravé Le Sonneur de bombarde, exposé à Paris, il obtient une médaille de bronze au salon des Artistes Français en 1927 et le prix de la Compagnie de Navigation Paquet au salon de la Société Coloniale, récompense agrémentée d’un voyage au Maroc. De ce périple en Afrique il ramène des croquis qui serviront d’illustrations au livre Les hommes nouveaux de Claude Farrère.
En 1929, lauréat du prix Bernheim de la Société coloniale des artistes français pour l’ensemble de son œuvre marocaine et second prix de l’Afrique équatoriale française, il est récompensé d’un second voyage Afrique centrale, notamment en Oubangui Chari et au Tchad. Il ramènera plus de 300 clichés, dessins et pastels qui furent exposés au Musée du Trocadéro en 1933.
Lors de ses pérégrinations, Géo Fourrier aiguise son caractère d’ethnologue. Grand observateur, il réalise des photographies, conscient de cette richesse qui l’entoure et qui risque la disparition sans structures destinées à leur conservation. Au-delà d’une simple recherche exotique, l’artiste se présente comme ethnologue et africaniste, une démarche qu’il appuie de ses photographies, croquis, pastels et céramiques. Cette démarche scientifique d’ethnographe influencera sa manière de travailler et sera perceptible dans toute son œuvre bretonne.
La Bretagne au prisme du Japon
À partir de 1928, il s’installe définitivement en pays Bigouden, presque dix ans après son premier voyage en terre bretonne. Jusqu’à la fin de sa vie, en 1966, il passera la plupart de son temps entre Penmarc’h et Quimper.
Fortement influencé par les arts japonais découverts durant sa maladie, il va faire de cette terre d’adoption un champ d’expérimentation où il croise regard ethnologue et esthétique japonaise sans pour autant faire perdre à ces œuvres l’authenticité de leur caractère breton.
Cette touche japonaise est nettement perceptible dans ses estampes et ses illustrations, en particulier dans le cadrage ainsi que la technique de la gravure sur bois. Grâce à son amitié avec Prosper-Alphonse Isaac, Géo Fourrier entretient des relations avec des ateliers de gravure au Japon. Il enverra des gouaches à l’atelier de Takamizawa Mokuhansha à Tokyo pour qu’elles soient gravées sur bois directement au Japon. C’est le cas du Brûleur de Goémon ainsi que de la série des Costumes de fêtes. Pour cette dernière, il souhaite réaliser un fond mica (minéral friable, caractérisé par une structure feuilletée, son éclat métallique et donnant forme à des paillettes), une manière de travailler l’estampe connu des japonais seuls.
Passionné des méthodes de gravures ancestrales japonaises, Géo Fourrier souhaitait conserver cette authenticité du ukioy-e (estampe japonaise) en l’adaptant au paysage breton. Le rendu final de ces œuvres est d’une très grande finesse et élégance, et rappelle ce que l’artiste aimait à rappeler de son vivant, à propos du dessin :
« Rien que l’essentiel, supprimer tout ce qui n’est pas indispensable. »
Cet amour pour le pays du soleil levant poussera Géo Fourrier à adopter pour signature un monogramme où ses initiales G et F entremêlées évoquent un kanji, type de caractère japonais.
Son amour pour la Bretagne
Loin d’être sa terre natale, la Bretagne devient cependant son havre de paix et sa principal source d’inspiration. En attestent l’ensemble des œuvres qu’il réalisera entre 1929 et jusqu’à sa mort, en 1966. Retiré en pays Bigouden, il s’attache à décrire ce paysage qu’il affectionne tant.
Un des motifs qui le fascinent particulièrement : le rôle et la figure féminine dans la société bigoudène. Son œuvre présente un grand nombre de croquis, cartes postales, dessins de femmes aux traits marqués. L’exactitude brutale accusant le caractère de ces visages est une des principales caractéristiques de son trait. Les femmes qu’il représente sont tantôt dans des costumes de fêtes, au travail ou inscrites dans le paysage traditionnel bigouden.
1933
Géo Fourrier réalise énormément de cartes postales qu’il vend dans la petite roulotte construit par ses soins. Sa fille adoptive, Éliane, témoignait à ce propos : « Papa avait fait construire une remorque, sorte de roulotte où il était à la fois possible de faire du camping, comme dans une caravane, et dans la journée, de vendre des souvenirs en ouvrant l’un des côtés : l’auvent vers le dessus afin de se protéger de la pluie ou du soleil, et vers le bas, un second panneau où était disposé un éventaire disparate offert à la vente. […] Des napperons brodés, des poupées bretonnes, et bien sûr des cartes postales (celles de Jos Le Doaré et les nôtres). C’était au pied du phare d’Eckmühl. »
Une première série de cartes postales est éditée par Les Établissements Artistiques Parisiens, entre 1933 et 1940. Une deuxième est éditée après-guerre aux éditions La Civette, à Quimper. En 1950, il lance sa propre maison d’édition, les Éditions d’Art Georges Géo-Fourrier, ce qui lui permet de publier de nouvelles séries de cartes postales telles que :
- trois séries Visages bretons.
- une série Pays Breton.
- une série Visages paysans regroupant des costumes de diverses régions dont la
Bretagne.
Entre 1950 et 1960, il créé de nombreuses pièces en céramique pour la maison HB et Henriot à Quimper ainsi que des publicités pour les cartonnages Autrou de Quimper. Une manière de subvenir à ces besoins, là où sa pratique artistique faillait à lui rapporter suffisamment de quoi vivre. Bien connu des salons à ses débuts, Géo Fourrier va tomber peu à peu dans l’oubli. Loin de ses mentors Auguste Matisse, Claude Farrère et Charles Le Goffic, la mémoire volatile des amateurs d’art parisiens va le reléguer au second plan jusqu’à la fin de sa vie. Il décède à Quimper en 1966 en laissant derrière lui une œuvre méconnu du public.
La majorité des œuvres de Géo Fourrier ont été aujourd’hui réparties chez trois collectionneurs, dont André Soubigou qui a acquis il y a 17 ans l’exclusivité des droits de reproduction auprès de la famille. Il a créé les éditions ASIA grâce auxquelles il a largement contribué à la visibilité de cet artiste, par le biais de la publication de livres et le montage de plusieurs expositions en Bretagne. La reconnaissance de Géo Fourrier se fera notamment avec l’exposition au Musée de Pont Aven en 2002 et celle de Pont l’Abbé en 2003. D’autres villes lui accorderont de petites rétrospectives telles que Penmarc’h, Douarnenez, Trégastel, Nantes et au-delà des frontières bretonnes Rambouillet. Beaucoup de ses œuvres sont actuellement conservées au Musée breton de Quimper.
Enfin, beaucoup de témoignages des locaux ainsi que celui de sa fille adoptive Éliane ont permis de maintenir vivante la mémoire de l’artiste.