Les Beatles étaient ils en réalité cinq ? Scoop éditorial ou nouvelle recherche génétique ? Rien de tout cela, car derrière le titre énigmatique d’un roman se cache une superbe biographie signé du journaliste Vincent Duluc. Plongée dans Georges Best, une âme en perdition.
« Sea, sex and sun » : triptyque du bonheur dans les régions ensoleillées au Sud de l’Europe. « Femmes, alcool, football » : triptyque du malheur dans la région de Manchester au Nord de l’Angleterre. Mais dans quel ordre ces malheurs ?
Un jour c’était l’alcool d’abord, les femmes ensuite, un autre jour c’était l’inverse, il expliquait avec reconnaissance que l’alcool lui avait permis d’atteindre les femmes et qu’il lui fallait alors respecter l’ordre original. Et le football ? Le football n’avait pas de classement. George murmurait : le football a toujours été là.
George ? George. Un footballeur né à Belfast en 1946. Et pas n’importe quel footballeur ! Le meilleur ! The best ! Logiquement donc George Best, ballon d’Or 1968. Mais pourquoi un Beatles ? Parce que contemporain du groupe anglais, il était le seul footballeur à posséder alors une longue chevelure, signe extérieur de son non conformisme et de son mal de vivre. Parce que Best, Pete Best était le nom du quatrième Beatles lors de leur premier concert, avant d’être remplacé rapidement par Ringo Starr.
C’est à ce génie du sport le plus populaire au monde que Vincent Duluc consacre un roman car il s’agit bien d’un roman et pas d’une biographie écrite en gros caractères répondant à une commande d’un éditeur surfant sur la vague de la coupe du monde. Vincent Duluc est journaliste à l’Équipe et pareil à nombre de ses collègues (contrairement aux idées reçues), il possède une superbe plume lorsqu’il peut s’éloigner des compte rendus de compétitions sportives. Et comme son sujet, libéré des contraintes éditoriales d’un quotidien, il se lâche, dribble avec le langage, chaloupe, esquive le banal, pour ajuster son tir et finalement marquer, marquer le lecteur de ses mots et de son style. Avec Duluc, on court sur le terrain de la littérature pas dans les vestiaires nauséabonds du voyeurisme.
Car le journaliste le connait bien cet enfant de Belfast. Il a scruté sa silhouette revêtue du maillot rouge de Manchester placardée sur les murs de sa chambre d’adolescent à côté des chanteurs de Liverpool. En grandissant et en côtoyant les petites anglaises, il a cherché à percer le mystère de cette gueule d’ange assise sur une Jaguar type E là où s’est assis « un fantasme de femmes et une conversation de garçons ». C’était du temps où la télé était en noir et blanc, où l’équipe de Manchester au sommet avait été broyée dans un terrible accident d’avion. C’était du temps où les fulgurances des plus grands joueurs de foot étaient lues plus que vues. Et les traits de génie de George Best, l’auteur visiblement en connait seconde par seconde la dramaturgie, les images. Probablement jusqu’à la couleur des chaussettes, match par match.
Mais ces touches de balle qui lui permettent de « dribbler ses adversaires à contre sens et remonter le terrain comme un saumon » sont là comme un simple contre point de la vie du footballeur Irlandais. Elles sont évoquées parce ce sont elles qui en ont fait de lui une icône mondiale. Elles sont le fondement de la vie de George Best. Et de sa chute. « 1968 était un sommet et à vingt deux ans c’était triste ». Tout est dit : à peine sorti de l’adolescence George Best a tout : argent, femmes, gloire et voitures tapageuses. A vingt deux ans d’une certaine manière sa vie est déjà finie.
Le talent du romancier est donc de décrire l’inéluctable qui conduira le footballeur prodige à la mort en 2005 à l’âge de 59 ans. Le fil chronologique est souvent cassé, rendant la lecture plus vivante et riche. Par touches successives l’écrivain accompagne George Best dans sa descente aux enfers, sans psychologie de comptoir mais par bribes, par faits très précis, décryptés froidement. Des faits passés à l’aune de la littérature. De l’enfance, « une vie à l’ombre », au premier renvoi du club de Manchester United à la gloire suprême en 1968, en passant par les relations avec les femmes, avec l’alcool, la rémission américaine et la dérive finale. Et par tous les excès possibles imaginables comme si l’enfance et ses frustrations nécessitaient les extrêmes : coucher avec plusieurs Miss Monde, avoir la demeure la plus extravagante et la plus chère possible, toucher des salaires plusieurs milliers de fois supérieurs à son père ouvrier aux chantiers navals, employer trois secrétaires pour traiter le courrier des midinettes amoureuses. La démesure : « Il les explorait (les limites) mais à toute vitesse et chaque fois qu’il heurtait le mur, il était trop tard ».
Ce parcours pourrait être celui d’une rock star, d’un peintre génial, d’un talent inné qui se brûle avec les flammes de la création, même si cette création est une création gestuelle. On sait à l’avance la déchéance, on sait la fin de l’histoire dès la première page, on sait la perversion, la face obscure qui entrainera à son tour la propre mère dans l’alcool, on sait, mais on est pris par l’empathie témoignée. Car Vincent Duluc aime George Best. Il aime son dribble mais aussi le dixième de seconde décisif qu’il perd rapidement à cause de ses excès. Ce dixième perdu qui ramène le génie au niveau des hommes. Sans jugement, sans concession, mais avec style le romancier nous fait entrer dans la vie d’une légende, par la petite porte : celle de l’intimité.
« Femmes alcool, football », dans le désordre le plus total : c’est l’histoire d’un homme, qui une fois son œuvre réalisée, courte car tributaire aussi de ses équipiers qui déclinent, ne connaît plus le sens de sa vie. Comme si la vie nécessitait cette adrénaline, ce sublime quand la foule se lève, crie, hurle, gronde, lorsque la balle fouette le fonds du filet, quand l’adversaire s’effondre devant vous, victime de vos pas de danseur. Quand vous êtes hors norme. Quand vous êtes au dessus. Quand le tableau d’affichage comptabilise vos exploits. Quand la vie vaut d’être vécue. Jusqu’à la fin de la partie. Jusqu’au coup de sifflet final. Jusqu’au vertige.