GEORGES PEIGNARD NOUS OUVRE SON ATELIER DU MORBIHAN

L’artiste breton Georges Peignard embarque le spectateur dans un voyage graphique avec son premier ouvrage Varlamov paru aux éditions Le Tripode. Qui est Georges Peignard ? Les matériaux racontent-ils une histoire ? Quelle place donnée au spectateur dans une exposition ? Unidivers est parti à la rencontre de cet artiste polymorphe. Immersion garantie.

georges peignard
Georges Peignard dans son atelier

« Il existe deux façons de créer un volume : la manière additive et celle soustractive. Mon travail a toujours été lié à cette dernière, c’est-à-dire ôter de la matière et créer une forme surgissant à l’intérieur d’un autre corps ».

Dans une petite commune du Morbihan, Georges Peignard pousse la porte de son atelier où projets en cours de production et œuvres achevées parsèment l’espace. Entre ces murs emplis d’outils en tous genres, de tables et d’étagères peuplées de flacons, l’artiste breton tisse des relations avec chacune des matières qu’il travaille. « Chaque objet peut posséder en lui-même la trace d’une histoire », explique-t-il.

De multiples récits artistiques jalonnent la carrière de Georges Peignard : sculpteur et dessinateur, enseignant à L’École des Beaux arts de Lorient à metteur en scène et marionnettiste, sans omettre son expérience de récit en ligne East End, là où vers l’est finit la ville. Chaque projet semble une aventure où le même fil rouge est tiré depuis plus de 30 ans. « Je réactive toujours la même histoire, mais différemment – explique t-il. Imaginer ma pensée sur scène constitue un autre vocabulaire. Cette autre logique m’ouvre à des compréhensions autres que si la question n’avait été traitée qu’en sculpture ».

Cependant, sa formation de sculpteur compose son savoir d’artiste. Elle anime ce qu’il est et ce qui façonne son histoire d’artiste. Mais, de quelle histoire s’agit t-il ?

georges peignard

Chapitre 1. « Une matière a une histoire par sa corporalité »

Bois, fer, pierre, os, etc. Georges Peignard donne vie à des objets au moyen de matières premières, écho aux temps anciens où l’homme vivait en adéquation avec le monde et la nature, avant l’ère industrielle. « En travaillant la matière, j’imagine l’essence émanant de ce matériau à fort caractère – explique t-il. Le bois est avant tout un arbre qui n’a aucunement envie d’être tronçonné et débité. Toute matière primitive a forcément une identité autre que celle conférée par l’homme. Cette altérité est importante dans l’idée du dialogue ».

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Georges Peignard soustrait de la matière d’un bloc de bois afin de faire naître un objet

« Sculpter signifie passer beaucoup de temps en corps à corps avec une matière afin de la comprendre. Il est facile de trouver une chaise dans le commerce, mais passer du temps à débiter les morceaux, les couper et les assembler est une façon de comprendre l’objet ». D’une intention artistique naît un jeu chorégraphique entre le sculpteur et la matière. Équipé d’une panoplie d’outils, il creuse et modèle le corps, échange avec lui et tente de le comprendre. Comment tenir son partenaire ? De quelle manière le positionner ? À chaque matière, son approche. La somme de cette conversation l’amène dans un univers inattendu entre son intention initiale et ce que la matière a bien voulu l’offrir. « C’est l’idée de rendre présentes les choses ».

Je suis moins opérationnel avec une simple feuille blanche. Nous sommes beaucoup plus humbles face à un matériau.

Il en va de même avec ses dessins dont la patte est résolument celle d’un sculpteur. Georges Peignard traite l’image comme une sculpture, gratte plus qu’il ne peint. « J’utilise de l’encre senellier chargé en gomme-laque, une pâte noire grasse. Je modèle la texture plus que je dessine, toujours dans l’idée de la soustraction », précise-t-il en mimant le geste de ses mains.

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Chapitre 2. « Utiliser des éléments lointains donne une temporalité plus élastique »

L’ère industrielle à l’époque victorienne, la mondialisation, l’écologie, etc. Les œuvres de Georges Peignard font appel à différentes temporalités et problématiques qu’il préfère ne pas nommer directement. Il ne saurait expliquer ce besoin de décalage, mais peut-être n’est-ce pas utile au final. « Peut-être y a-t-il une forme de pudeur, une difficulté à être proche du sujet, à la fois pour le spectateur et pour moi. L’idée est de ne pas donner une image frontale qui soit porteuse d’un message ».

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Ce besoin de distanciation temporelle l’a amené dans de multiples contrées artistiques comme le théâtre. En 2006, il réalise le spectacle Reviens avant la nuit au Centre Dramatique De Bretagne théâtre de Lorient (scène nationale), puis celui de marionnettes Juste un grondement sourd dans le lointain. « Je ne me sentais pas forcément à ma place dans les espaces d’art contemporain, par son intitulé et cette temporalité dans la définition même du mot. Un écrivain et un cinéaste peuvent réaliser des films ou récits en costumes sans être définis comme nostalgique. Le théâtre m’a donné ce que je ne trouvais pas dans l’art contemporain et m’a plongé frontalement dans la narration ».

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« Le site East-End parle de la mondialisation. Via Internet, cet objet peut atteindre le monde. Le sens même du support résonne avec le propos. Tout a été fabriqué, rien n’est récupéré afin de faire sens. Comment dans ce micro-espace est-il possible de concevoir un monde, avec cette définition à la fois économique de créativité et de savoir ? ».

Ses œuvres émergent de situations à plus fortes résonances que celles émanant de faits trop actuels. Un besoin que Georges Peignard ressent afin de ramener des fantômes, l’essence d’un temps passé. « Une sorte de présentéisme se pose sur un fait très actuel et lui confère moins de résonance dans la façon d’être ».

Chapitre 3. « L’histoire racontée est différente en fonction de chacun »

Des tuyaux et des maisons inhabitées, des ponts et des tentes, aucune présence humaine physique, mais nombre de constructions issues de la main de l’homme habitent les créations de Georges Peignard. La Terre semble dépeuplée de tout être humain, pourtant son fantôme plane au-dessus de chaque oeuvre. Même les marionnettes semblent inertes alors que certaines représentent des personnages. « Trouver une manière de parler de l’homme sans le représenter a également été une forme de distanciation. L’animal deviendrait cet interlocuteur étrange qui apporte un regard différent ».

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Ôter cet intermédiaire avec le réel permet à chacun d’être libre et responsable. Si un personnage est représenté, On peut s’identifier à lui. Si l’espace est vide, le visiteur est le seul acteur, sa responsabilité est plus importante. C’est se poser la question : QuE signifie être là ?

Immergé dans un paysage scénographique où abondent nombre d’informations, Georges Peignard laisse le soin au spectateur de tisser son propre récit. « Aller et venir, traverser la salle d’expositions, découvrir un objet à gauche, revenir sur ses pas, etc. Il peut s’attacher à certaines images, en délaisser d’autres et les additionner au hasard de sa subjectivité ».

Le visiteur serait-il l’humain en question ? Il erre dans la salle d’exposition tel un vagabond dans un monde après une potentielle apocalypse. Le public avance personnellement dans ce monde que l’artiste crée sans suivre une figure humaine, un modèle référent. « La liberté du spectateur à composer son histoire sans relation didactique m’a toujours intéressé. Les images que je propose ne suivent pas forcément un ordre didactique ou une règle de lecture préétablie ».georges peignard

Chapitre 4. « Un livre est la plus belle des sculptures »

« Un livre n’est pas seulement important en termes de sujet littéraire. C’est un objet en lien avec mon travail de sculpteur. Il suffit d’ouvrir un livre pour qu’un monde s’ouvre. C’est comme un parallélépipède que l’on sculpte ». Piètre lecteur jusqu’à ses 18 ans, Georges Peignard avoue avoir été peu intéressé par les mots, mais un grand consommateur d’images. « Mes parents étaient instituteurs et des livres d’école traînaient dans le grenier. Je fonctionnais à l’inverse de la mécanique des livres d’apprentissage, ces imagiers qui permettent aux enfants d’appréhender le monde et d’acquérir le sens des mots – raconte-t-il. Encore aujourd’hui, je pense par l’image. Il existe comme une boite à outils d’images premières, complexes et multiples ».

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Du récit dans l’espace, il est passé à la littérature par les images avec Varlamov, une nouvelle aventure dans la continuité de sa pratique. Avec cet ouvrage, l’histoire du sculpteur continue de s’écrire, en toute modestie. « Je suis resté un grand enfant, étonné de tout ce qui m’arrive ».

Varlamov a été pensé avec une écriture spécifique inédite et différente de mon travail initial. Je ne suis pas à la recherche d’une écriture identifiable à Georges Peignard. Ce livre est un moment précis par rapport à ce que j’avais envie de dire.

L’ouvrage est né d’une rencontre avec la directrice de la librairie L’ombre blanche lors de l’exposition L’entaille d’Humbolt à la Fondation d’Art Contemporain de la Caisse d’Épargne (2018, Toulouse), puis avec Frédérique Martin, directeur des éditions Le Tripode et revendicateur de ce genre de littérature. Aucun mot n’accompagne les dessins de Georges Peignard.

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La place est laissée aux images dans Varlamov. Sans être des ersatz secondaires aux mots, elles ouvrent un autre type de relation au monde, dans la façon de le parler et de le comprendre. Il questionne ainsi la place et l’absence de l’homme dans un futur écologique compliqué à partir de l’errance d’un buffle. « Le livre aborde un autre propos que les expositions (exposition Varlamov à l’artothèque d’Hennebont et L’entaille de Humboldt à La fondation Écureuil pour l’art contemporain de Toulouse, ndlr). Sa modalité mécanique impose un choix et un suivi des images. J’ai sélectionné 60 images sur 350. Elles représentent ma lecture et mon propre voyage dans les deux expositions ».

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Très imprégné par la littérature russe, Georges Peignard a trouvé en La Steppe de Tchekov un compagnonnage et un partenaire de dialogue. « La Steppe raconte le chemin d’un jeune garçon envoyé dans une ville afin d’être pensionnaire. Il traverse la longue steppe au sud de l’Ukraine. Le récit n’est fait que de micro événements, de différentes personnes qu’il croise de manière éphémère sur la route. Je voulais garder cette fraîcheur et ce long parcours où les évènements arrivent de manière inattendue comme c’est le cas dans un voyage ».

Au final, l’oeuvre de Georges Peignard ne se définit pas, elle se vit. Alors, à vous lecteurs d’ouvrir Varlamov et de tirer le fil de cette pelote, celui qui anime ce voyage graphique. Écrivez votre histoire. Pelote de laine ou ficelle végétale ? Chacun son interprétation, chacun son expérience.

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Dessins sélectionnés pour l’ouvrage Varlamov

Un prochain livre est en cours de production avec les éditions Le Tripode. Changement de cap et d’esthétique pour ce remake de La Planète des singes, plus proche de la bande dessinée. Le speech ? Un cosmonaute revient de l’espace avec une tête de singe et tombe en Afrique.

Retrouvez une nouvelle exposition de Georges Peignard au Village à Bazouges la Pérouse en mars 2020. Vernissage dimanche 15 mars 2020 (date à confirmer).

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Varlamov
Beau-livre
64 pages
9782370552143
Prix: 19,00 €
Parution: 10 octobre 2019

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