Considérée comme la mère de la danse contemporaine africaine, la chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny, agée de 76 ans, a reçu le Lion d’or de danse 2021 à la Biennale de Venise, mardi 16 février dernier. La Rédaction Unidivers l’avait rencontré à l’occasion de sa venue au Triangle – Cité de la danse en avril 2019, pour son solo À un endroit du début, une autobiographie chorégraphique mise en scène par Michael Serre. Un retour aux sources poignant et d’une grande beauté. Présentation de la chorégraphe et entretien.
En 2014, le magazine Jeune Afrique classe Germaine Acogny, véritable émissaire de la danse et de la culture en Afrique, parmi les 50 personnes africaines les plus influentes dans le monde. Une place qui souligne le parcours singulier de la fille spirituelle du chorégraphe français Maurice Béjart, rencontré en 1975. Après avoir dirigé l’école Mudra Afrique — fondée par Maurice Béjart et le président Léopold Sédar Senghor — à Dakar durant six ans (entre 1977 et 1982), elle s’envole pour Bruxelles avec la compagnie du chorégraphe français. Dès lors, elle chorégraphie, danse et enseigne dans le monde entier.
Influencée par l’héritage gestuel de sa grand-mère, prêtresse yoruba, l’apprentissage des danses traditionnelles africaines et des danses occidentales, la chorégraphe a mis au point sa propre technique de danse africaine, véritable signature à chaque spectacle qu’elle crée ou qu’elle interprète.
Après son retour au Sénégal en 1995, elle crée l’association Jant-Bi/l’École des Sables à Toubab Dialaw (1998). Elle propose des stages de formations professionnelles de trois mois avant d’inaugurer l’École des Sables en 2004, un centre international de danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique. Parallèlement à ses créations, elle enseigne à la nouvelle génération de danseurs et chorégraphes et contribue toujours au développement de la danse contemporaine africaine.
Unidivers : Votre propre histoire a une première fois été esquissée dans Songook Yaakaor (« Affronter l’espoir », 2010) et un dialogue entre l’Orient et l’Occident déjà créé avec Mon élue noire (2015). À un endroit du début parle de vos origines, de votre père Togoun Servais Acogny, fonctionnaire colonial, et de votre grand-mère Yoruba, grande prêtresse vaudoue. Ce dernier spectacle peut-il se lire comme un approfondissement de ces précédentes créations, à travers des personnes qui ont permis de vous construire ?
Germaine Acogny : Mon élue noire est un solo conçu par Olivier Dubois, directeur du Ballet du Nord, selon l’optique du Sacre de Stravinsky. Le spectacle aborde la colonisation et les textes d’Aimé Césaire que je cite (écrivain et homme politique français). Je n’y suis qu’interprète, mais on peut y voir des improvisations, des mouvements personnels adaptés. Olivier Dubois a mis en scène un spectacle qui me présente et qui dévoile qui je suis. On peut donc dire qu’il y a un lien, mais À un endroit du début n’a pas forcément été réalisé dans cette intention là. Ce n’est peut-être pas de manière intentionnelle, mais au final les choses se font, se recomposent et se retrouvent sur le fil d’une vie et tant mieux si le spectacle rentre dans une logique que le public comprend.
Unidivers : À un endroit du début commence par des mots, une entrée en matière théâtrale qui laisse ensuite place à la danse. Pourquoi ce choix ?
Germaine Acogny : Le metteur en scène Michael Serre s’est servi de Récits d’Aloopho, livre autobiographique que mon père a écrit. Le texte du début fait partie de cette biographie. L’histoire explique ce qui lui est arrivé : sa rencontre avec la colonisation, la religion chrétienne, la religion musulmane et son combat également, entre l’animisme, le catholicisme et la colonisation. C’est à travers ce livre et le combat psychologique qu’il a mené que je navigue afin de me retrouver en tant que personne.
Unidivers : Votre grand-mère était prêtresse vaudoue et votre père s’est converti au catholicisme. Quel regard le spectacle porte t-il sur ces deux pans de la religion ?
Germaine Acogny : À un endroit du début est un constat. Il s’agit d’un choix qui m’est propre, sans établir une quelconque supériorité de la religion catholique face au vaudou. Ayant compris ce qu’était la religion catholique et comparé avec les actions de ma grand-mère, je ne renie ni l’un ni l’autre. Les deux sont complémentaires. Le catholicisme n’apporte rien de plus que la religion animiste, peut être le Christ que je ne connaissais pas dans le vaudou, mais il peut être comparable à d’autres dieux ou à d’autres esprits.
Tout est une question de choix personnel. Il est possible de choisir entre les deux ou de naviguer de l’un à l’autre. Le vaudouisme, ou l’animisme, est une philosophie qui me plaît beaucoup, cette relation à la nature, à la vie, au cosmos et à l’être humain aussi…
Unidivers : S’agit-il d’une thématique récurrente dans votre carrière ?
Germaine Acogny : Pas vraiment puisque j’ai également travaillé sur le génocide, sur le G8 africain, sur les thèmes qui concernent les femmes, etc.
Unidivers : Plus que votre propre place en tant que femme justement, À un endroit au début reflète l’expression d’un féminin universel opprimé, mais en lutte …
Germaine Acogny : Exactement, un féminin universel dans le sens où ce qui m’est arrivé est également arrivé à Médée, figure mythologique grecque très inspirante pour ce spectacle. Ce qui arrive aux femmes est une vérité universelle et fait partie des préoccupations actuelles.
Unidivers : Selon vous, la danse, langage universel en soi contrairement aux langues qui créent plus facilement une barrière, est un bon moyen de véhiculer un message ?
Germaine Acogny : La danse, et par extension le corps, est un moyen d’expression fort. Le spectacle contient plus de textes que mes créations précédentes, mais associé à la vidéo et la musique, tous me confortent dans cette liberté de mouvement, cette discipline. Grâce au corps, chacun peut être touché par cette vérité selon sa culture, son vécu, sa philosophie, l’endroit où il vit, les problèmes qu’il a pu traverser, etc. Que ce soit en Afrique ou en Europe, j’en ai la preuve chaque soir dans les villes dans lesquelles je passe.
Unidivers : La vidéo tient une place importante également. Elle est projetée et semble créer un lien entre les gestes que l’on voit et les mots que l’on entend…
Germaine Acogny : Mikaël Serre est venu dans le village où j’habite au Sénégal afin que je puisse lui montrer les lieux, les femmes et les rites qui se font. À partir de cette visite, il a choisi les vidéos présentes dans le spectacle. Mikaël Serre est un chef d’orchestre extraordinaire qui manipule la vidéo, la musique et les met à mon service afin que je sois libre de me mouvoir dans cet univers. Tous deux deviennent des partenaires et m’aident à jouer cette pièce au plus profond de moi. Chacun me sert de support et m’accompagne toute la durée du spectacle.
Unidivers : À un endroit du début aborde le thème de l’immigration, un sujet qui traduit votre engagement autant politique que social que l’on retrouve d’ailleurs dans la majorité de vos créations….
Germaine Acogny : Bien sûr, le spectacle parle d’immigration, une situation qui a toujours existé. Vous savez, en Afrique et en Europe, l’éducation se construit par les contes. L’un d’entre eux raconte l’histoire d’un sage qui attisait la jalousie de tous. Le roi, devant le faire partir, l’a convoqué au palais et l’a enfermé vivant dans un cercueil avant de le jeter à l’eau. Cependant, le cercueil a flotté pendant quelques jours avant d’arriver dans un pays inconnu où le roi venait de mourir. Contents de trouver cet homme au destin extraordinaire, les habitants ont décidé de le nommer roi de leur pays car ne devenait roi que des personnes au destin extraordinaire…
Vous connaissez la phrase « vous savez où vous êtes nés, mais vous ne savez pas où vous allez mourir » ?
Cette histoire montre que l’immigration a toujours existé. Aujourd’hui, on ferme les frontières, on prend nos biens en Afrique, l’or et le diamant. Le chef d’état les vend à travers le monde et la population ne peut rien y faire…
Unidivers : On vous définit comme la mère de la danse africaine contemporaine. Pouvez-vous nous parler d’un ou plusieurs danseurs et/ou chorégraphes dont le travail entre dans cette même ligne artistique ?
Germaine Acogny : Je n’ai pas de noms en tête, mais il ne peut y en avoir qu’un. Beaucoup ont été formés à l’École des Sables et ont reçu l’enseignement de ma technique de danse. Dire des noms en particulier serait en privilégier un ou deux. De nombreux artistes sont des messagers dont je suis très fière. Qu’ils soient noirs, blancs ou asiatiques, tous véhiculent le message de l’école des Sables, un message de perfection, d’excellence, sans frontière entre les danses…
À un endroit du début, Germaine Acogny et Mickaël Serre – durée 1 h
Mercredi 3 et jeudi 4 avril 2019 au Triangle, Cité de la danse à 20 h
conception et mise en scène Mikaël Serre / chorégraphie et interprétation Germaine Acogny / assistant chorégraphie Patrick Acogny / scénographe Maciej Fiszer / costumes Johanna Diakhate-Rittmeyer / musique Fabrice Bouillon « Laforest » / vidéo Sébastien Dupouey / lumière Sébastien Michaud / direction technique Marco Wehrspann
Production : JANT-BI, Sénégal / Coproductions : Les Théâtres de la Ville du Luxembourg, Théâtre de la Ville – Paris ; Institut français/Paris / Résidence et coproductions : La Ferme du Buisson, scène nationale de Marne-la-Vallée / Résidence : Le Centquatre, Paris.
Le Triangle – Cité de la danse
Boulevard de Yougoslavie
35 000 Rennes
Téléphone : 02 99 22 27 27
TARIFS
27€ plein
13€ réduit
11€ -12ans
4€ SORTIR !
PASS Triangle :
16€ plein
11€ réduit
++ des ateliers et rencontres
seront programmés
autour du spectacle,
restez connectés !
AUTOUR DE
VEN. 5 AVR.
Rencontre
Déjeuner partagé avec Germaine Acogny