Les rétrospectives sont parfois l’occasion de découvrir des trésors oubliés. Avec « Glasgow », Raymond Depardon publie un des livres photo majeurs de ces dernières années. Un livre noir en couleurs. Indispensable et magistral.


Depuis plusieurs mois, Raymond Depardon accumule les publications comme une sorte de bilan d’une carrière absolument exceptionnelle. On pourrait penser que cette tentation de publication intensive conduise à éditer des « fonds de tiroir ». On se tromperait lourdement. Le lecteur peut même se demander quelles raisons ont écarté de toute parution, pendant 35 ans, les 68 photographies en couleurs, éditées aujourd’hui et consacrées à la ville écossaise. Il aura fallu l’exposition au Grand Palais « Un moment si doux » en 2013-2014 pour que quelques négatifs soient exploités et exposés. Commandé en 1980 par le Sunday Times le reportage ne sera en effet jamais publié avant ce début d’année 2016.


Le grain exceptionnel de la Kodachrome 64 et la qualité de l’impression donnent aux murs sombres des rues interminables, mais quasiment désertes, un caractère de décor de théâtre où jouent des enfants. L’objectif grand-angle du Leica dans des cadrages rigoureux envoie le regard errer dans des perspectives tendues vers un horizon où le noir rejoint le gris. Et puis comme une annonce de son travail intitulé en 2010, « La France », il y a ces façades figées dans le temps, façades silencieuses et parlantes à la fois. Désertes ou animées par un personnage adossé aux murs lépreux. Des façades comme des vestiges de lieux appelés à disparaître et qui en disent long sur la vie des gens de peu, souvent absents des clichés.
Les poteaux où les grues structurent l’espace car Raymond Depardon n’est pas un photographe de rues à la manière de Doisneau ou de Eliott Erwitt. Il ne cherche pas l’anecdote et peu nous importe que le lieu photographié soit Glasgow (dont William Boyd dans sa préface nous explique qu’il n’existe plus ainsi). Ces diagonales ou ces verticales multiples sont des repères pour nous amener à voir l’essentiel, à séparer le réel de l’illusion. À voir la lumière qui perce souvent au bord de l’image. À comprendre l’espace et la place de l’individu dans cette géométrie organisée.


Livre Glasgow, Photographies Raymond Depardon, Préface William Boyd, traduction Isabelle Perrin, Éditions du Seuil, 144 pages, février 2016, 29 €
https://www.youtube.com/watch?v=GoYPIH9CqYA
https://www.youtube.com/watch?v=fBdkMXgLMxo
Né en 1942, Raymond Depardon est photographe, réalisateur, scénariste et journaliste français. Il est considéré comme l’un des maîtres du film documentaire et son œuvre photographique est reconnue internationalement. Une grande exposition de ses photographies couleur intitulée « Un moment si doux » s’est tenue au Grand Palais à Paris en 2013-2014. Avec Hubert Henrotte, Léonard de Raemy et Hugues Vassalet, il a créé l’agence photographique Gamma en 1966 qu’il a quittée pour entrer à l’agence magnum en 1979. Il reçoit de nombreux prix tout au long de sa carrière. De son travail à Glasgow, il dit :
Je suis allé deux fois en Écosse, au printemps et en automne. Quand je suis arrivé à Glasgow, j’ai tout photographié, c’était très différent, côté lumière, je venais d’une longue série du désert. Je n’ai pas arrêté de marcher, j’ai erré dans tous les quartiers que je ne connaissais pas. Très vite, les premières personnes qui m’ont accueilli, c’étaient les enfants. Je ne comprenais rien, je ne parle pas bien anglais, ils m’ont pris par la main et m’ont emmené dans leurs repères. Un peu comme en Afrique.
1979 : Prix Georges-Sadoul pour numéros zéros (documentaire)
1981 : César du meilleur documentaire pour Reporters
1985 : César du meilleur court métrage
1991 : Grand prix national de la Photographie
1995 : César du meilleur documentaire pour Délits flagrants
2006 : Globe de cristal du meilleur artiste plasticien
2008 : prix Louis-Delluc pour Profils paysans : La Vie moderne
2010 : Personnalité culturelle de l’année28
2009 : César du meilleur film documentaire pour Profils paysans : La Vie moderne
2013 : César du meilleur documentaire pour Journal de France
14 juillet 2016 : Depardon est nommé Chevalier de la légion d’honneur
