Google Cardboard est la deuxième version du masque de réalité virtuelle que le Googleplex de Mountain View a lancé en septembre 2015. Google Cardboard va-t-il révolutionner le tourisme par le virtuel ? Depuis votre canapé, flânez sur le parvis de Notre-Dame de Paris, abîmez-vous dans la contemplation de La Chambre à coucher de Van Gogh ou regarder vos vidéos de vacances en 3D. Unidivers a testé le masque pour vous !
On n’arrête pas le progrès, dit-on. En même temps, à la vitesse où il court, le progrès, le rattraper nécessitera un entraînement plus intensif que celui de Rocky Balboa. Le verre de blancs d’œufs crus ne suffira pas. L’avion de transport supersonique A2, possiblement prévu pour 2030, pourrait relier Bruxelles et Sydney en 4 heures et 40 minutes. C’est-à-dire, à peu de chose près, la distance qui sépare Rennes de Bordeaux en voiture. Un ingénieur, Elon Musk, a lancé un projet un brin futuriste, l’hyperloop : ce nouveau transport, constitué d’un double tube, propulserait des capsules. Il pourrait permettre de relier les centres de Los Angeles et San Francisco en moins de 30 minutes. À quand le transplanage, la poudre de cheminette et le portoloin ?
Forcément, le tourisme s’adapte. La terra incognita, du moins physique, disparaît, les circumnavigations se généralisent, quitter son continent pour un autre devient chose courante. Ce sont moins les destinations que les modes de voyage qui apportent désormais l’innovation. Écotourisme, couchsurfing, hébergement chez l’habitant, séjour festif : la gamme se décline presque à l’infini, comme le sous-entendait ironiquement Philippe Muray dans son poème « Tombeau pour une touriste innocente » :
On lui avait parlé d’un week-end découverte
Sur l’emplacement même de l’antique Atlantide
On avait évoqué une semaine à Bizerte
Un pique-nique à Beyrouth ou encore en FlorideOn l’avait alléchée avec d’autres projets
Une saison en enfer un été meurtrier
Un voyage en Hollande ou au bout de la nuit
Un séjour de trois heures en pleine Amazonie
Comme le suggère le sociologue Hartmut Rosa, l’accélération technique (des transports ou des communications, par exemple) va de pair avec l’accélération du changement social et du rythme de vie. Face à la vitesse, à chacun sa réaction : retraite intérieure, cosmopolitisme obsessionnel, orientalisme d’un nouveau genre, trip à la mode de Caen ou voyages locaux low-cost. Le stade ultime : le tourisme virtuel ? Lequel réalise le paradoxe d’un voyage sans le déplacement. Ce transport non commun remplacerait-il le visa par la licence poétique, et le mouvement par l’arrêt sur image ? Google, présent sur tous les fronts, s’y intéresse depuis quelques années.
Le géant de Mountain View a lancé en 2014 la première version de Google Cardboard.
La deuxième version a été présentée en mai 2015 à la conférence annuelle Google I/O de San Francisco. Mais l’intérêt de Google pour le tourisme virtuel remonte à loin. Le Google Cultural Institute existe depuis 2011. Le site web compte le Google Art Project : la plateforme regroupe plus d’une centaine de musées à découvrir virtuellement grâce à la technologie de Google Street View, et environ 6 millions de documents disponibles ; des expositions d’archives en partenariat avec des musées ; le World Wonders Project, des sites du patrimoine mondial numérisées. En gros, assistez en solitaire à un enterrement à Ornans, à Orsay, gravissez le mont Mitoku ou visitez le Taj Mahal. Toujours en 2011, Google Flights, un site de réservation de vols en ligne, a fait son apparition. Photo-Sphères est un autre outil décisif pour le tourisme : grâce à un appareil photo sphérique, ou un mode spécifique de votre smartphone, vous pouvez prendre des vues à 360° et les poster directement sur Google Street View. En 2012, la rumeur commence à circuler autour du Project Glass. Le système de réalité augmentée était apparu bien avant, mais l’engouement fut énorme. Les Google Glass avaient donc pour ambition de superposer à notre perception naturelle un modèle en 2D ou 3D. En janvier 2015, le projet est suspendu : Facebook avec Oculus Rift et Microsoft avec les Hololens restent cependant dans la course.
Des cendres de la réalité augmentée naît donc Google Cardboard. Le principe est simple : un casque de réalité virtuelle en carton, déjà monté ou à fabriquer soi-même, un coût minime (10 euros, environ), disponible sur Android mais aussi sur les iPhone. Les deux lentilles incrustées dans la boîte fonctionnent sur le mode de la stéréoscopie. Notre cerveau reconstitue du relief en une seule image à partir des deux images planes provenant de chaque œil. Principe similaire, donc. Il reste donc au consommateur à télécharger les différentes applications sur Play Store. Le design rétro-futuriste du casque nous emballe, la promesse de l’immersion aussi. On ouvre la boîte, on place son smartphone à l’horizontale. L’application officielle semble prometteuse : Versailles, les aurores boréales, les chefs-d’œuvre de la peinture, les villes vues du ciel. Des éditeurs privés se sont emparés de la technologie, notamment Jaunt qui propose un concert de McCartney en immersion, des documentaires comme Inside North Korea ou Nepal after the earthquake. Avec l’application Gravity Spacewalk, on vous convie à vivre « une excursion et une visite éducative de l’espace dans la réalité virtuelle ».
Mais pourquoi le résultat est-il décevant ? Outre le fait que tout le monde ne possède pas un smartphone ou une version suffisamment récente, on peut dire que les appareils sont quasiment incompatibles en termes de qualité de l’image. De même, le casque ne permet pas une immersion totale : il faut le tenir, la lumière filtre, il n’est pas modulable. Gardons à l’esprit que certaines innovations sont des passerelles, comme la disquette, et d’autres des flops : pensons à la cravate portefeuille ou encore au Bi-Bop, ce téléphone portable français qui, dans les années 90, fut un échec commercial (on ne pouvait appeler ou recevoir des appels qu’à proximité d’une borne). Google Cardboard restera très certainement une étape vers une réalité virtuelle plus performante.
Cette technologie a-t-elle et aura-t-elle un impact profond sur le tourisme ? Ou même sur l’éducation ? Il paraît inconcevable que les gens choisissent de voyager uniquement de manière virtuelle. Et pourtant… La porosité des frontières entre l’espace public et privé ne cesse de s’accroître. Pour l’heure, la technologie n’est pas suffisamment élaborée pour réaliser une parfaite simulation. D’ailleurs, on aurait tort de penser que les offices de tourisme ou les agences de voyage frémissent à l’idée de leur possible disparition. Le tourisme virtuel sert d’ores et déjà deux objectifs : premièrement, à présenter au client, avant son achat, des destinations en 3D ; deuxièmement, à augmenter les visites dites réelles. On sait, pour le premier cas, que Google et la chaîne d’hôtel Best Western ont signé un accord : le premier offre au second des visites en trois dimensions pour chaque établissement. Concernant le deuxième cas, un exemple cocorico : à l’aide d’une tablette, le projet Imayana permet de visiter le Bordeaux du XVIIIe siècle en réalité augmentée. « Convoqué l’Intendant Tourny ! Ressuscité le Château Trompette ! Le port se remplit à nouveau de navires marchands et, par la magie de la Réalité Augmentée, le visiteur monte à bord… » nous dit la présentation de l’office du tourisme de Bordeaux.
Côté pédagogie, du neuf aussi. Expeditions Pioneer Program, de Google, se met à la disposition de l’éducation. « Imaginez-vous visiter le fond de la mer ou la surface de Mars un après-midi. Avec Expeditions, les enseignants pourront conduire leur classe dans des voyages en immersion virtuelle pour leur apporter des leçons à propos de la vie » nous apprend le site sur sa première page. La réalité virtuelle, donc, s’inviterait donc à l’école.
Attendons encore un peu les grandes découvertes ! Des kits de développement spécifique existent déjà. Les vidéastes peuvent tester Jump, un support de 16 caméras assemblées pour une vidéo RV stéréoscopique. En attendant que se finalisent et se démocratisent les casques de réalité augmentée, par lesquelles, comme Baudelaire le disait, « les parfums, les couleurs et les sons se répondent »…