Ecrire en Grèce, un entretien avec l’artiste Christos Chryssopoulos

Christos Chryssopoulos est un écrivain grec, né à Athènes en 1968. Membre du Parlement culturel européen, trois de ses romans ont été publiés en français chez Actes Sud. Notamment son singulier Une Lampe entre les dents dans lequel il évoque son ressenti d’écrivain en arpentant sa ville. Athènes qu’il connaît si bien et qu’il interroge en tant que ville moderne type, mais aussi en tant que martyre de certaines conceptions culturelles et politiques. Il devrait prochainement rejoindre la rédaction d’Unidivers en offrant régulièrement des billets d’écrivain sur la Grèce et son présent…

Christos Chryssopoulos
« Economy ». Christos Chryssopoulos, novembre 2013

Christos, vous êtes auteur, romancier, mais également traducteur et critique. Toutefois, votre dernier ouvrage traduit en français, Une Lampe entre les dents, ressemble plus à une sorte de journal intérieur d’un homme arpentant sa ville. Et votre ville il se trouve que c’est Athènes… Les actuels événements politiques et économiques en Grèce laissent-ils néanmoins une place pour le roman dans votre écriture ?

Depuis 2010 au moins la situation sociale et économique en Grèce se détériore rapidement et la vie quotidienne se transforme en un environnement très fluide et très instable. Cela concerne tous les aspects de la vie, la vie sociale, la vie professionnelle, la vie des idées, même les relations personnelles se trouvent affectées par ce perpétuel « état d’urgence ».

L’écriture ne peut rester à distance de cette réalité. Les écrivains eux-mêmes sont soumis à la crise et engagés en elle en tant qu’intellectuels publics. Mais toute écriture ne peut, et ne doit, se confronter à cette réalité. Mon livre Une Lampe entre les dents était une tentative de traiter ces matières immédiates. Depuis mon écriture s’est déplacée vers d’autres thèmes.

Ce qui ne signifie pas que mes écrits se soient distanciés de la politique ou de l’actualité. Ils accueillent plutôt ces thèmes selon d’autres voies, à travers d’autres histoires, par un autre vocabulaire. Donc, par essence, en tant qu’écrivain je regarde toujours le monde autour de moi, je cherche ma place en son sein.

"None to share" par Christos Chryssopoulos, novembre 2013
“None to share” par Christos Chryssopoulos, novembre 2013

Votre travail en tant qu’écrivain vous donne-t-il justement un regard particulier sur la situation très « particulière » de la Grèce ?

Oui, je pense que, par définition, les écrivains ont un regard spécial sur le monde. Mais ce n’est pas lié à leur nature intérieure (un peu d’humour : de ce point de vue les écrivains ne diffèrent pas des autres personnes). Ce qui différencie les écrivains des autres c’est la nature de leur travail. Les écrivains regardent le monde comme une source d’histoires à dire. Ce qui veut dire qu’ils ne sont jamais altruistes ou objectifs. Les écrivains exploitent constamment la réalité afin d’en construire une abstraction. En ce sens les écrivains sont les plus manipulateurs de tous les artistes.

Concernant la Grèce, cela me désole, mais cette situation n’est plus « si spéciale ». C’est l’Europe en général qui a été transformée en un espace qui dérive vite loin de ce que nous connaissions en tant que système de valeur européen. Notre héritage humaniste commun est grandement discrédité par un économisme brutal.

"City Internal" par Christos Chryssopoulos, novembre 2013
“City Internal” par Christos Chryssopoulos, novembre 2013

Vous êtes membre du parlement culturel européen, quel est votre sentiment sur l’attitude de l’Union européenne envers la Grèce ?

Il est dur pour moi de reconnaître dans l’UE d’aujourd’hui ce que je pensais être l’Europe. Nous vivons déjà dans une union très différente de celle à laquelle nous nous étions associés avec L’Exemple européen. La démocratie, la justice sociale, la protection contre la pauvreté et l’inégalité, d’égales opportunités dans l’accès à l’éducation et la culture, les droits humains, les droits du travail, la sécurité sociale… tout ceci est très sérieusement menacé. La domination du marché nous a conduits à une effrayante homogénéisation et une grande frilosité dans l’ordre du jour politique qui aboutissent à la remise en cause de presque toutes les caractéristiques précitées de l’identité sociopolitique européenne.

Dans le cadre de cette expérience néo-libérale généralisée la Grèce est unique, pas dans le sens de « spécial », mais dans le sens où ce pays est le plus avancé dans ce processus. La Grèce représente le ca extrême du totalitarisme (tant politique qu’économique) du marché.

 (Le présent entretien est illustré par des photos de Christos Chryssopoulos puisque par cet art il prolonge son écriture… Ses œuvres sont visibles ici)

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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