Sans préavis, le gouvernement grec a coupé la diffusion de la télé publique grecque le 11 juin. L’arrêt a été brutal. Le choc est violent. Toute la nuit du 11 juin, la chaine publique a émis sans interruption sur internet. La population est venue en masse se réunir autour du siège, comme pour protéger ce média rebelle. Aujourd’hui, la population grecque se sent le jouet d’une classe politique corrompue et d’une finance internationale prédatrice. De fait, quelques jours auparavant, le FMI reconnaissait s’être trompé dans la résolution de la crise grecque. Quand le berceau de la démocratie vacille…
Le Fond Monétaire Internationale est plus enclin à la critique qu’aux excuses. Si son rôle dans des crises africaines ou sud-américaines est avéré, il n’a pour autant jamais délivré de communiqué contrit faisant part des regrets quant à la méthode employée. D’où la surprise d’entendre le chef économiste du FMI économiste, Olivier Blanchard, reconnaître qu’ »en effet ça n’a pas été idéal […] on a probablement perdu du temps ». En pratique, quel a été la feuille de route ? Quand Dominique Strauss-Kahn était à la tête de l’institution, il a multiplié les voyages à Athènes et dans les capitales européennes. Christine Lagarde et d’autres économistes européens ont continué le dépeçage du pays, sans compter les atermoiements de l’Allemagne, dont l’économie reste plus fragile malgré les affirmations de certains commentateurs.
Le service public grec est en cours de démantèlement avancé, vendu au plus offrant ou supprimé. Les salaires ont chuté, entrainant avec eux des milliers de petites sociétés. Un journaliste dénonçant les fraudes fiscales a été arrêté. Les formations extrémistes marquent des points jour après jour, notamment l’irrédentiste national-socialiste Golden Dawn dont les membres pratiquent ratonnades et molestent des politiques dans des émissions de télévision. Et de télévision publique, il n’y a donc plus sur le réseau hertzien. Les programmes de la chaine nationale ERT continue à émettre sur le seul net en streaming.
Déjà en 2011, la première chaine, ET1, avait été fermée ainsi que d’autres filiales de la télévision nationale. Cette fois, ce sont 2000 employés qui sont laissés sur le carreau, dont une division importante consacrée à l’information, la culture et le divertissement. Les locaux, en partie occupés par des ministères, sont promis à être revendus au privé avec l’hypothèse d’une relance d’une télévision dans quelques mois. Les partisans de cette mesure parlent d’une mauvaise gestion de la manne de la redevance, d’emplois fictifs, d’une faible audience par rapport aux sommes investies. Mais la mesure paraît aussi inefficace que les autres mesures imposées par la Troika (FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne), autant impopulaires dans les milieux intellectuels, culturels que sportifs (car la télévision retransmettait le saint football). Surtout, elle ne semble guère prioritaire comparée à l’évasion fiscale perpétuée par les grandes fortunes grecques, notamment les armateurs.
Avec le voisin turc ébranlé par les émeutes (la Place Taksim étant l’objet d’une répression musclée depuis le 10 juin, voir notre article), la Grèce rajoute à la fragilité de l’édifice européen. Où est passée la solidarité que la classe politique nous a tant vantée ? Verra-t-on des mesures similaires au Portugal, en Espagne ou en Italie ? Au-delà des bisbilles grandissantes entre le FMI et la Commission européenne, aucune autre politique et solution économique ne sont proposée pour sortir de l’ornière. N’est-ce pas cela le plus inquiétant ?
Didier Ackermann et Nicolas Roberti
Le peuple grec est anarchique et difficile à apprivoiser. Pour cette raison, nous devons frapper profondément dans leurs racines culturelles : peut-être alors arriverons-nous à les forcer à se conformer. Je veux dire, bien sûr, frapper à la base de leur langue, de leur religion, de leurs réserves culturelles et historiques, de manière à neutraliser leur capacité à se développer, à se distinguer, ou à triompher ; les éliminant ainsi comme obstacle à nos projets stratégiquement vitaux dans les Balkans, la Méditerranée et au Moyen-Orient. (propos d’Henry Kissinger en 1974)